La ville au bord de l’eau

La ville au bord de l’eau
La ville au bord de l’eau huile sur toile, 1947 Donation Pierre et Kathleen Granville, 1969 © Musée des Beaux-Arts de Dijon/François Jay © ADAGP, Paris

dimanche 3 avril 2022

Fleurs sous la neige

 Le ciel s'est rabaissé, après le sable du désert qui l'avait jauni, ce fut une crampe du nord, un retour d'hiver fatal aux jonquilles, aux fleurs des pruniers. Il a neigé lourd, cette neige aqueuse collante a grillé les bourgeons, les boutons, les pétales blancs des merisiers, la mare a de nouveau gelé où percent les feuilles des iris d'eau, fleuriront elles après le gel? La mésange bleue est revenue aux boules de graisse que nous suspendons sous le toit, le froid la rend à la nécessité, le nid elle verra après, quand la chaleur sera revenue, et avec elle les insectes. Les fruits frappés d'incertitude, tant pis, faire sans, ou peu, c'est ce qui attend chacun, après le froid, réchauffement, ce que cela dit, ce qu'on ne veut entendre.

jeudi 24 mars 2022

Plus le temps

 Le temps ne nous est plus donné, il faudrait le prendre, lui dire d'arrêter, fleurs de printemps en février, hellébores d'un parme tendre débordées de narcisses aux cœurs corail, magnolia dont les fleurs sont des obus roses: ralentir, ce qu'il faut, suspendre les tirs et la faux,  attendre sans se presser les blés pour juillet, les fleurs de lin pour juin on se cabre, on tire sur les freins, les patins font des étincelles qui révèlent par instants stupéfiés les abîmes où nous allons verser, où nous versons entraînant avec nous ce qui palpite, ce qui s'enracine, ce qui fructifie, qui s'essaime, qui copule, qui germine et saillit vers la grande noyade, le grand incendie, vertigineuse dégringolade, c'est l'humaine salauderie.

dimanche 20 mars 2022

D'huile et de blé

Alors printemps, j'aimerais y croire, comme le couple de canards sur la mare les pigeons fidèles qui nidifient dans les bambous, le coq faisan qui crie vers les lointains, pour le cas où il serait entendu. Les fusils se sont tus, j'entends ceux des chasseurs, pour la guerre à l'est on en est aux missiles aux villes détruites, aux malheurs sur tant de visages. C'est un pays de blé et d'huiles dit-on de l'Ukraine dont je ne vois que ruines en hiver sur les écrans, ils commencent à fleurir les champs de colza sur la plaine du Neubourg, je n'aime pas le colza qui jure sur le bleu du ciel, ensucre l'atmosphère d'une odeur écœurante, mais je n'aurais pas cru un jour devoir les associer aux couleurs de l'Ukraine, les regarder fleurir, souhaiter du tournesol sur les champs de bataille, souhaiter aux réfugiés un retour heureux au grenier, un retour d'huile et de blé.

lundi 7 mars 2022

Tulipier ou magnolia ?

 C'est un ciel plein de mésanges bleues, de chants nuptiaux, un sol gelé qui se dégivre, les tiges d'hellébores qui avaient ployé se rebiffent, les crocus pointent, et le grand débat devant l'arbre: tulipier ou magnolia? Un mouchetis de jonquilles par le pré, des pies qui sautillent et lapins de s'écarter, les chats ne pensent qu'à sortir, pour  rentrer et s'endormir au soleil de la véranda. Ce qu'il en sera quand notre agitation aura tout échauffé, cette inflammation que nous sommes au corps de la terre: un désastre d'oiseaux, des feuillages grêlés, la montée des eaux, le règne du désert, des enfants au ventre gonflé, des cadavres dans les rivières, des vieillards crevant de chaud, notre jardin ne saurait en réchapper. Je contemple la mare, l'imagine asséchée. Les arbres plantés par Tanguy n'ont pas cinquante ans devant eux, j'aurai donc vécu plus qu'un arbre, cette idée ne rend pas heureux.

vendredi 4 mars 2022

Blonds comme blés

 La guerre a surgi des jonquilles, elle manquait au tableau la guerre, à notre collection acharnée d’horreurs, le prunus en fleurs ne fait pas contrepoids, nous penchons donc happés par la pente ça allait trop doucement sans doute l’anéantissement, un peu mollassonne la sixième extinction, manquait de radiations tout ça,  de héros ensanglantés de chants martiaux de femmes violées, de président providentiel de torses bombés de commentaires imbéciles d’armes fatales et de convois de réfugiés idéalement blonds, manquait plus que ça, mon tulipier peut se rhabiller, planter des pommiers à quoi bon les réfugiés sont blonds comme blés, jusqu'à vitrification.

samedi 19 février 2022

Je dis fleur

Les hellébores effeuillées dévoilent leurs fleurs chiffonnées qu'on croirait fragiles, mais il ne faut pas s'y tromper, elles résistent au gel, les roses de Noël et s'épanouissent en février nuancier de mauve, de rose, de blanc cassé, et leurs charmes empoisonnés nous paralyseraient si par gourmandise nous prenait la fantaisie d'en mâcher une tige. Mieux vaut un bouquet.

mercredi 16 février 2022

Fleurs à venir

 Le jardin s'éveillant rappelle ceux de l'enfance, les tapis de primevères Honfleur, les jonquilles Villepreux, les crocus la pelouse en bas du chalet, à Château d'Oex, les hivers peu neigeux. D'autres fleurs ne me disent rien de précis, à peine si je sais les nommer, si je les reconnais, grappes jaunes du mahonia, les pousses me réduisent aux conjectures: pieds d'œillets, feuilles de tulipes, sans doute,  pavots peut-être -il y en avait là l'été dernier. Le jardin abandonné se révèle, que Tanguy taille, éclaircit, désherbe, des perspectives se dessinent, on y voit plus clair. Je plaide en vain pour le maintien d'une part de mystère, je ne plaiderai plus lorsque fleuriront les roses les glaïeuls et les pivoines, mais ferai des bouquets comme il y a longtemps mon grand-père le faisait, de grands bouquets dans la channe de cuivre.

vendredi 11 février 2022

Reverdie

 Alors les prémices surgissent de la nuit, à notre surprise renouée chaque année, car chaque année nous craignons davantage que le cercle se brise et l'enchantement s'évanouisse, mais non, nous n'en sommes pas encore là, il reste des pluies de tout calibre, du crachin jusqu'à l'allochée pour remplir la mare aux herbes épanchées. Le gel qui s'évapore fait fumer les planches pourries du portail,  les lapins se courent après, et dès potron-minet, les oiseaux chantent à gorge fendre sur les branches bourgeonnantes, au dessus des perce-neige et des premiers crocus. On guette dès que le soleil perce, ce qui pousse, ce qui est mort, on s'agace des écorces rongées -il a pris cher le cognassier- les jonquilles sont en boutons, les merles sifflent leur amour, on est repartis pour un tour, très volontiers, pour un peu on en chanterait.

mercredi 12 janvier 2022

Tombée du jour

L'hiver s'étire de nuage en nuit, une écharpe d'ombre grise où luit un lampadaire, cette lumière qui pleut dru, cône orange dès le soir tombé. Pas un bruit, calfeutrés nous sommes, nous attendons des jours plus longs -meilleurs on n'oserait le parier- en guettant le chant des oiseaux le sifflement du merle qui s'épanche dès février. Ne reste qu'à boire le thé sous les lampes du salon, fermer les volets, entrouvrir la porte pour que rentre le chat ou que l'autre chat sorte, c'est ainsi que le soir s'installe, et qu'il dure.

samedi 1 janvier 2022

Pour des prunes

 Un soleil de printemps point, les augures je n'en attends rien. La lumière verse par les fenêtres, Tanguy dehors plante un prunier qui donnera, un jour peut-être, des reines-claudes si le redoux de janvier ne l'induit pas à bourgeonner trop tôt et bourgeons de geler, fleurs de tomber en un printemps raté. A force de gober moucherons tardifs et araignées planquées, la petite chatte a vomi  sur les dalles, il a fallu tout nettoyer. La voilà qui repart en chasse et je nous prépare un café. Pour l'an nouveau ne rien souhaiter, faire le gros dos, planquer son nid, rêver que dans les plis d'un tout petit bocage on passe en contrebande une arche de Noé juste avant la grande marée. En sourire et préparer le déjeuner.