Dans le fin fond du sac de sport un flacon brisé d'Habit Rouge. Un sac Adidas, un faux dans ces années fausses, mais le parfum lui, forçant l'évidence, fut voici vingt-cinq ans la signature d'un amour silencieux. C'était le temps des passions impossibles, des heures d'attente au bout de la terrasse, et lorsqu'il arrivait, inconscient de ses sortilèges, le précédaient les effluves d'Habit Rouge dont il usait immodérément. S'ensuivaient des brutalités d'enfant et des récits baroques -il fut, l'est-il encore? un grand conteur de carabistouilles.
Il a venté devant la porte, vingt-cinq ans de vents divers, d'averses consenties ont emporté récits comme amis, Habit Rouge, jasmin, poussières de grenades, tout balayé, bien propre le trottoir et bien mouillée la porte où nul ne veille plus. On change d'âge, de lunettes, les poils vous poussent, les cheveux tombent et la peau du cou pend. On change on a changé de dents, d'eau de toilette, on a changé de taille on mange plus, on rit moins, on gagne un peu plus d'argent.
Dans la rue commerçante, on s'arrête: on a besoin d'eau de toilette. La vendeuse archiféminine s'abstient de conseiller, propose de parfumer, offre à défaut des échantillons. Il suffit d'appuyer sur un des petits cylindres, et la voiture se transforme en copie de sac Adidas: qu'il revienne, l'homme en Habit Rouge et qu'il raconte des histoires: on l'écoutera, en prenant garde de n'y pas trop croire.
Le ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.
La ville au bord de l’eau
samedi 9 novembre 2013
mardi 5 novembre 2013
Ca jamais
Quand je ne serai plus qu'os douloureux, peau et dents tombées, plus qu'inquiétude hagarde dans la confusion d'Alzheimer, une infirmière à la bonté professionnelle répondra peut-être si j'appelle ma mère morte dans le noir.
Mais s'il me reste un peu de jugeotte à l'asile, je n'appellerai pas, et même sous curatelle, s'il ne me restait tout alité qu'un neurone pour clignoter, je l'emploierais à congédier la compétente compassion de l'infirmière qui répond oui quand j'appelle maman.
Mais s'il me reste un peu de jugeotte à l'asile, je n'appellerai pas, et même sous curatelle, s'il ne me restait tout alité qu'un neurone pour clignoter, je l'emploierais à congédier la compétente compassion de l'infirmière qui répond oui quand j'appelle maman.
lundi 4 novembre 2013
Aller bon train
Toute ma vie sur la ligne Paris/Normandie, pas celle de la Bête humaine, mais de Saint-Lazare à Bernay, comme un itinéraire: tout m'est familier qui glisse contre la vitre du Corail Intercités, la verrière sale des premiers mètres, les espaces indécis de Nanterre, l'université dont je ne vois qu'un bout de la tour de la BU, l'ile sur la Seine où se fiche un pilier du pont, Houilles-Carrières, très rapidement, Sartrouville à la gare perchée, Maisons-Laffitte à la gare enfouie, où ma mère habita, entre les deux la Seine pour boucler et séparer deux mondes, Poissy qui fut Simca qui fut Talbot qui est Peugeot, j'y changeais de train pour aller à Villennes, l'ile chic mais inondable, la maison de tante Marie, l'église romane, la gare vert d'eau, Médan, tiens revoilà Zola et la maison de l'oncle Dominique, une ile encore, celle d'une base de loisirs qui sentait bon l'été 36, j'accélère, je connais moins et je vieillis, filent bon train Verneuil, Vernouillet, les Mureaux, Mantes la pas trop jolie, quitter la Seine pour la plaine, tunnel avant de ralentir: Evreux où s'arrêtent des jeunes à casquettes, quand deux anglaises mangent des sandwiches qui sentent l'Angleterre, puis c'est l'église de Conches (un jour j'irai la visiter), au loin les ruines blanches de Beaumont, vallée de la Charentonne, Serquigny...
Je descends à Bernay, on m'attend sur le quai. Toute ma vie, quasi, à voir filer dans un Corail Intercités.
Je descends à Bernay, on m'attend sur le quai. Toute ma vie, quasi, à voir filer dans un Corail Intercités.
samedi 12 octobre 2013
La gloire de mon père, 3
Il chasse. Sa vie, posture de prédateur, affût, guet, planque. Il sait les mares où les bêtes vont boire, les allées où traînent les putes, les ombres où les pédés s'enfoncent. Tout lui est gibier, mais de ses chasses il ne rapporte qu'un bouquet d'ailes, un treillis plus crotté que sanglant.
Hors saison, il fait prendre l'air aux enfants, ce qui fait dire qu'il est bon père (c'était le temps où l'on était bon père à pas cher). Il leur fait cueillir des champignons, leur montre l'anneau, la volve des amanites, la barbe des pieds-de-mouton. Il suspend leur souffle d'un geste: il ne faut pas affoler les chevreuils qui vont brouter les chèvrefeuilles.
Il écarte les branchages, il surprend les lièvres au gîte, il déniche les oeufs turquoise des grives qu'il gobe, et parfois recrache, sous les yeux effarés des enfants aérés, la glaire d'albumine, sanglante d'un poussin.
Hors saison, il fait prendre l'air aux enfants, ce qui fait dire qu'il est bon père (c'était le temps où l'on était bon père à pas cher). Il leur fait cueillir des champignons, leur montre l'anneau, la volve des amanites, la barbe des pieds-de-mouton. Il suspend leur souffle d'un geste: il ne faut pas affoler les chevreuils qui vont brouter les chèvrefeuilles.
Il écarte les branchages, il surprend les lièvres au gîte, il déniche les oeufs turquoise des grives qu'il gobe, et parfois recrache, sous les yeux effarés des enfants aérés, la glaire d'albumine, sanglante d'un poussin.
dimanche 29 septembre 2013
In beauty I walk
Puisque perdue dans les pois, vous nous perdez sous les spots et liez les led en guirlandes d'un Noël sans arbre,
puisque à notre tour enfants dans le noir nous regardons à l'infini nos peurs et nos espoirs et nous titubons ivres dans le reflet de nos désirs quand nous marchons sur l'eau sans peine, sur l'eau noire,
puisque dentelles électriques, vos rêves de petite fille hantée nous valent cette averse de lumière,
Soyez remerciée, Yayoi Kusama, d'enchanter l'autre monde où sourient des ombres errantes.
puisque à notre tour enfants dans le noir nous regardons à l'infini nos peurs et nos espoirs et nous titubons ivres dans le reflet de nos désirs quand nous marchons sur l'eau sans peine, sur l'eau noire,
puisque dentelles électriques, vos rêves de petite fille hantée nous valent cette averse de lumière,
Soyez remerciée, Yayoi Kusama, d'enchanter l'autre monde où sourient des ombres errantes.
mardi 24 septembre 2013
Casablanquer, 2
Tôt le matin la corniche, les pêcheurs fatigués sortent des égouts sombres leurs boyaux à la main. Dans les hôtels de stuc on remplit les piscines, et les putains sont hâves qui hèlent les taxis. Les bidonvilles autour du phare tremblent de la saumure où gisent les lépreux. Dans les cils des enfants le sel fond sur les lentes qu'ils écrasent d'une main gourde de trois doigts. Bethsaïda. N'attendez rien du roi, rien des saoudiens, rien de l'Amérique, rien des coopérants français. N'attendez rien. Personne n'est là pour aider. Personne n'est là pour plaindre. La plainte c'est le vent c'est le vent de la mer et le sable des plages adoucit le boulevard d'un enrobage ocré. Les grèves, elles sont désertes des combats de la nuit. La police est passée quand dormaient les cadavres. Des coureurs en satin flottent en foulant la misère des nuits. Oubliez tout. Devenez coureurs comme Saïd Aouita, qui n'était rien, qui trône olympien dans sa villa d'Anfa. A quatre heures du matin les assassins des plages suspendent étourdis leurs crimes. Ivres de bière, fumeurs de kif, ils entendent des prières, ils pleurent prosternés ; chant des coqs, aboiements des chiens. La gloire de Dieu souffre une seule épithète. Des amants magnifiques ont joui cette nuit devant la presqu'île. La feuille de journal (Maroc-Soir) que l'humidité déchire, ne couvre plus le pare-brise, rien ne les protège de l'inquisition des phares. Dans les yeux de la fille, la larme du plaisir, la peur de la grossesse –elle a du sable autour du sexe. Il faut partir : on voit dans l'aube les murs chaulés du marabout sur l'isthme au ras des flots. Tôt le matin Casablanca, piège à sommeil, morsure de sable, brûlure de sel. J'ai roulé toute la nuit, les bars étaient fermés, j'ai roulé en veilleuses, j'ai cherché, je ne sais pas moi, l'ombre amicale d'une peau, la rondeur chaude d'une bouche. Je suis fatigué, seul, je mords une grenade, ma chemise est mouillée par la buée du matin. Je cherche un sommeil différent.
samedi 14 septembre 2013
Ce que chante le vieux jeune homme
Des femmes comblées au botox sourient comme des bougies fondues aux oeillades d'un vieux jeune homme dont le visage est lisse autant que ses bras tombent.
Il reste quelques mois, les mères affolées giflent des enfants maigres et un soldat au bras cassé baise les pieds d'un prêtre - c'est ce que chante le vieux jeune homme au masque énigmatique et ça fait vomir un pédé, et l'on sait aux larmes du vendeur de journaux que cette fois-ci c'est pour de vrai. Il reste cinq ans, chante le vieux jeune homme dont un œil pleure et l'autre sombre.
Il reste quelques mois, les mères affolées giflent des enfants maigres et un soldat au bras cassé baise les pieds d'un prêtre - c'est ce que chante le vieux jeune homme au masque énigmatique et ça fait vomir un pédé, et l'on sait aux larmes du vendeur de journaux que cette fois-ci c'est pour de vrai. Il reste cinq ans, chante le vieux jeune homme dont un œil pleure et l'autre sombre.
samedi 7 septembre 2013
Les dieux n'aiment pas donner
La torche fumeuse, tu l'épouses, elle meurt, le pied percé d'un croc. Les suivantes pleurent, où est passée la noce? Tu l'épouses, elle meurt, tu la pleures et tu descends la chercher.
Il n'est pas de porte, il n'est pas de guide, il n'est pas d'exploit: la catabase est sans encombre et tu parviens aux dieux sans gloire, sans histoire à raconter. C'est nu qu'il te faut chanter, c'est nu à faire pleurer les pierres, c'est nu qu'il faut la réclamer. La plainte, obscène, saisit les damnés, suspend l'éternité, fige et l'eau du baril et le rocher sur la pente, oblige les dieux à céder. Les dieux sont comme les fées qui n'aiment pas qu'on les oblige, ils conditionnent ils sont mesquins. Ce qu'ils donnent ils le reprendront et citrouille le carrosse, ombre à nouveau l'épousée qui remeurt, ravalée, car le chanteur s'est retourné qui n'a pas même pu l'embrasser.
Il n'est pas de porte, il n'est pas de guide, il n'est pas d'exploit: la catabase est sans encombre et tu parviens aux dieux sans gloire, sans histoire à raconter. C'est nu qu'il te faut chanter, c'est nu à faire pleurer les pierres, c'est nu qu'il faut la réclamer. La plainte, obscène, saisit les damnés, suspend l'éternité, fige et l'eau du baril et le rocher sur la pente, oblige les dieux à céder. Les dieux sont comme les fées qui n'aiment pas qu'on les oblige, ils conditionnent ils sont mesquins. Ce qu'ils donnent ils le reprendront et citrouille le carrosse, ombre à nouveau l'épousée qui remeurt, ravalée, car le chanteur s'est retourné qui n'a pas même pu l'embrasser.
mardi 3 septembre 2013
Briques à la sauce caillou
Elle faisait tout Denise, elle écossait les haricots, épluchait les pommes de terre, donnait à la cuisine une odeur de compote, disait des gros mots, et nous faisait jouer à cache-tampon, au bouchon, à tu gèles tu brûles, même jeu sous différents noms. Elle disait des mots gros comme ses doigts noirs dont les ongles fendus nous étaient une énigme: la misère on ne savait pas.
Ce qu'on voulait savoir -les enfants sont des estomacs, répétait la mère de la mère- c'était ce qu'on mangerait ce soir. Elle ne répondait pas c'était là son pouvoir, jouer sur les appétits des enfants des bourgeois. Elle nous disait des clous, des briques à la sauce caillou, des crottes de bique en zinc. Des crottes de bique en zinc! On ne voyait pas très bien mais on riait beaucoup.
dimanche 25 août 2013
Les enfants s'ennuient
C'est une maison très bourgeoise, maison de maître on dit ici, murs de briques, ampélopsis, glycine pleurant sur le côté, volets dont le vernis cloque l'été. Tout le jeu c'est, pour les enfants qui s'ennuient, de crever les cloques de vernis sur les volets du rez-de-chaussée, côté jardin, leur côté, côté des fruits, du sable enfui avec la pluie, des allées qui montent vers la prairie où courent les poules de Denise.
A l'étage, la chambre où la mère parle avec sa mère, une chambre avec un joli lit, directoire à ce qu'on m'a dit, des bergères tendues de toile de Jouy, et bergères elles-mêmes en Arcadie de provinciale bourgeoisie, elles parlent tout l'après-midi, les enfants qui frappent à la porte elles les congédient, les renvoient du côté des fruits, du jardin, du sable enfui, les enfants elles les oublient, et les enfants en veulent à l'aïeule de leur avoir ravi la mère, et les enfants cassent des branches du noisetier pour en faire de mauvais arcs, et les enfants shootent dans les pommes pourries, et les enfants mangent des fruits trop verts: Les enfants s'ennuient.
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