Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

samedi 11 décembre 2010

Confiture d'abricots

Elle vient toujours en juin, elle reste trop longtemps, elle rangerait bien mes placards, elle n'éteint jamais la radio, elle devient la radio puisqu'elle parle sa langue : parfois à l'entendre je voudrais débrancher le poste, la séparer de France Inter. Je renonce. De toute façon que lui dire ? Je ne dis rien. Je la regarde vieillir, je l'entends rétrécir. Son monde palpite de vieilles cousines que je n'ai jamais vues, de querelles familiales de la première importance. Ce que j'en pense ? Rien. Je n'en pense rien. Et nous préparons des confitures dans la bassine de cuivre. Elle trouve toujours les fruits trop cher, toujours moins beaux que l'an passé. Elle aime par dessus tout la confiture d'abricots. En épluchant les fruits, elle parle de sa mère. Sa mère avait toujours raison. Nous irons fleurir sa tombe. Elle me rappellera qu'elle y a sa place, qu'elle a hérité de la concession. Elle est incapable de la retrouver dans le cimetière, elle la voit toujours plus haut, la tombe, il faut toujours redescendre d'au moins trois rangées de fleurs de plastique, d'anges en faux bronze et de photos vitrifiées. Malade, malade d'elle-même, elle souffre, dit-elle, à en crier, ne crie pas. Elle m'attend le matin au petit déjeuner, me parle France Inter, les dernières hécatombes dont elle est très émue. Je ne réponds rien, je bois mon thé, je me demande comment je vais l'occuper - quand elle s'occupe, elle souffre moins. Je la regarde et j'ai pitié. Je déteste cette pitié.

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