Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

dimanche 5 novembre 2023

Retour du vent

 Le ciel est sans mémoire, c'est au sol qu'on voit les traces, les branches brisées, les derniers dahlias couchés, et les fleurs de safran hachées par la pluie. Un sol d'automne, feuilles tombées, dix-huit coulemelles dans le pré, la tempête a glissé ici, sifflant ses vents de mauvaise haleine, faisant gémir le poêle dont les braises s'épuisaient. Vider dans le bac à compost le tiroir des cendres blanches, comprendre à les voir s'envoler que le vent reprend, les chats rentrent sans qu'on ait à les appeler, un rebond de bourrasque, le ciel lavé déjà s'oublie.

jeudi 19 octobre 2023

Dans les fougères

 Dans les couleurs d'automne enfin revenues émerge une image oubliée d'une forêt disparue, près de la mare aux sangsues, une forêt pauvre, trop de bouleaux, chênes étiques, des résineux faute de mieux, quelques bolets bais, les cèpes du pauvre, mais ceux qui hantaient les bois n'avaient  pas de panier cet automne-là. A surgi roux dans la rousseur des fougères un faune à la peau laiteuse, au visage grêlé de taches de son, la barbe d'un roux plus foncé que les cheveux, la fièvre dans les yeux bleus, les mains dans les poches de son survêtement. Il faut aimer l'ombre des arbres, les troncs rugueux, le craquement des glands sous les bottes, l'odeur des aiguilles de pin, la sève des lactaires orange, aimer la larme qu'on essuie, le jean mouillé, les joues en feu. Il faut aimer la pluie qui tombe et qui vous trempe sans vous transir, dans la fièvre transmise, les fougères couchées, les aiguilles dans les cheveux qu'on ôte, déjà relevés.

samedi 14 octobre 2023

Une odeur de brûlé

 Du chagrin dans le crachin, mais hier tout autrement des vents chauds qui soulevaient des poussières de terres et des feuilles vertes et sèches, un camaïeu caméo qui tourbillonnait donnant  au bocage un air de camouflage, tandis que régnait à nouveau, sur Rouen,  une odeur de brûlé (Jeanne d'Arc? Lubrizol? Non, en ces temps mondialisés c'était l'odeur de Madère en feu, qu'apportaient de délirants vents tropicaux). J'ai tâché d'écouter la radio, impossible, trop pour moi. Je vis  dans un pays où l'on hait le vivant, les doux, les fragiles, où l'on se repaît des morts, où l'on canonne et canonise, où l'on hommage et anathématise, où l'on égorge et panthéonise. Les morts je les préfère vivant, je songe à ce monsieur qui fit corps défendant, en mourut pour que d'autres vivent, ce mort ils l'embaument d'odeur de sainteté, j'aurais tant voulu qu'il survive. 

mercredi 11 octobre 2023

Bien aises

Il pleut du soleil sur la mare, le bambou repoussé jaunit, c'est l'invraisemblable été qui s'éternise sous des jours raccourcis et la lumière oblique engourdit les chats qui s'étirent, qui sur mon bureau, qui au seuil de la porte entrouverte. C'est une fin du monde bien agréable, ne peut-on s'empêcher de penser. "Bien aises" disait l'aïeule dans la tiédeur de juillet, "nous sommes bien aises", bénaises disait le jardinier, c'était en juillet, ces mots me reviennent en octobre, en toute obscénité, ils sont la douceur même, la douceur qui effraie dans un monde hurlant d'égorgements, d'anathèmes, de familles déchirées, la torpeur heureuse de l'été étouffera l'espèce qui redouble d'horreurs et ne veut pas savoir que ses jours sont comptés.

dimanche 8 octobre 2023

Méconnaissable

 Le jadis s'insinue, l'ai-je été, ce jeune homme aux angles aigus, qui battait la campagne au printemps froid des saints de glace, je me souviens mais m'y perds, que reconnaître du révolu, je me souviens de la salle des pas perdus, du tabac froid, de Saint-Lazare, des regards croisés, des briquets battus, des trains pris trop tard. On se souvient, un peu honteux, des faux-fuyants, des faux amis, comment on fit défaut dès lors qu'il s'agissait d'aimer, on se souvient du temps perdu à s'efforcer d'être léger, on le fut, pauvre blague. Reste si peu (de jours, d'abeilles, de neige, de pluies à l'horizon), on s'est arrondi, on s'endort vite, on ne court plus, on regarde les grives, on perd son temps, on aime encore dans ce monde de sang, cela m'est doux, c'est pas trop tôt, c'est un peu tard, non, c'est ainsi.

samedi 7 octobre 2023

S'arranger du désordre

 Les arbres naissent de l'ombre et l'ombre des arbres. C'est la ronde des futaies sombres, des mousses vert bouteille et de l'eau noire des mares où hésitent à tomber les feuilles qui tardent à jaunir, c'est la ronde des taillis obscurs que rompt le soleil attardé qui perce la canopée, dessèche les moiteurs fécondes, invente d'autres corruptions, génère des théories de larves au mois où les premiers gels devraient poindre, mais non. Les cèpes sont nombreux mais pourris de vers, les pommiers déboussolés fleurissent tandis qu'on prépare un folklore de sorcières et de potirons sous un ciel d'été. Les arbres meurent de chaleur, nous suffoquons un peu, nous cherchons l'ombre née des arbres qui meurent, nous voudrions dormir en paix mais nous allumons inconséquents le grand incendie spectacle ultime de notre effarant théâtre.

mercredi 4 octobre 2023

Feu le jadis

 Il fut un temps, je l'ai connu, où les garçons naissaient de l'ombre des arbres dans la nuit des forêts, et c'étaient eux qui brûlaient, pas les branches, incendiant les passants de l'amadou de leur peau blanche. Aujourd'hui où les arbres brûlent et brûlent mille fois, cendrant Brésil, Grèce, Canada, sont-ils cendres eux-mêmes, les garçons dont le sillage sentait le tabac froid, les faunes masqués d'after-shave? Ce qui a brûlé, ce qui brûle, n'est-ce pas aussi le désordre railleur de Puck, l'enfance de Poucet? Où se perdre sinon, quel fourré, quel taillis pour faire gîte en lagomorphe, oreilles dressées?

Ce jadis de la cachette d'où jaillissaient urgent le désir d'aimer comme celui de mordre, ou plus caravagesque et plus trivialement le briquet battu et la braise d'une cigarette, a brûlé dès avant les arbres, faisant des forêts incendiées nos sœurs, réduisant en fumée le cœur de nos amants.

dimanche 1 octobre 2023

Eté d'octobre

 La petite chatte ne fait pas de quartier, tue le rouge-gorge dans l'été d'octobre, joue avec le petit corps pas encore raidi, puis l'abandonne -les oiseaux elle n'aime pas les manger. Ca piaille autour de la mare, même si manque le rouge-gorge, restent les merles, les grives, des pépiements plus indistincts, elle fait semblant de rien la chatte, on la croirait indifférente, mais elle est tout ouïe, il y a des oiseaux qui chantent encore, on peut bondir à l'improviste et jouer de l'imprudent jusqu'au silence, à l'immobilité un peu sanglante, à la gorge rouge du rouge-gorge. Dans l'été d'octobre, cependant, elle peut décider qu'un papillon c'est aussi amusant, et si l'automne advient -c'est la fin du monde, on n'est sûr de rien- une feuille voletante fera tout aussi bien l'affaire, elle est légère la petite chatte, elle s'amuse d'un rien, ça tombe bien, c'est vers le rien qu'on tend.

vendredi 15 septembre 2023

Boucler

 Si, de l'été qui s'éternise ne restait plus que cendres d'arbres et torrents de boue, ciels rouges de sables sahariens, mers surchauffées et marées de méduses, il y aurait quand même, dans les villas aux bords des plages ravinées, des vieillards qui rangent, qui ferment sur l'été-même la porte des vacances, même si c'est la fin du monde ils passent au minium les ferrures des balcons, huilent les serrures et les gonds, fixent les barres de sécurité en travers des volets, arment l'alarme électronique. Le bateau est en cale sèche, paré pour l'hivernage et la voiture blindée de bagages attend le conducteur qui refait le tour de la maison, avoir tout bien fermé, rien oublié, tout est paré, on rentre, on reviendra à Pâques -ou à la Trinité, on reviendra en juin rouvrir ce qu'on a fermé, fin du monde ou pas on reviendra.

jeudi 6 juillet 2023

L'ombre des cerisiers

 C'est tout un motif la cerise, il en est des pâles et des sombres, des fermes et des fondantes, de petites aigres et de suaves rondes, précoces ou tardives, qui font la joie des merles qui s'enivrent et le bonheur des couples de pigeons sur le fronton des armoires normandes. Le printemps c'est estampe japonaise il neige des pétales, ça presque plus important que le fruit même -la merise amère nait d'une fleur candide. Il a fallu l'an passé abattre un cerisier malade, les arbres abattus m'attristent, ce beau bois rouge et miel couché sur l'herbe, nous en planterons un autre, il faut planter des arbres, il faut créer de l'ombre pour retenir l'eau, il faut des cerisaies pour ne rien regretter, des vergers pour retrouver notre innocence, des jardins forêts où se perdre, mordre aux fruits qui s'offrent, s'aimer et partager avec les oiseaux qui sont sans rancune.