Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

mercredi 12 janvier 2022

Tombée du jour

L'hiver s'étire de nuage en nuit, une écharpe d'ombre grise où luit un lampadaire, cette lumière qui pleut dru, cône orange dès le soir tombé. Pas un bruit, calfeutrés nous sommes, nous attendons des jours plus longs -meilleurs on n'oserait le parier- en guettant le chant des oiseaux le sifflement du merle qui s'épanche dès février. Ne reste qu'à boire le thé sous les lampes du salon, fermer les volets, entrouvrir la porte pour que rentre le chat ou que l'autre chat sorte, c'est ainsi que le soir s'installe, et qu'il dure.

samedi 1 janvier 2022

Pour des prunes

 Un soleil de printemps point, les augures je n'en attends rien. La lumière verse par les fenêtres, Tanguy dehors plante un prunier qui donnera, un jour peut-être, des reines-claudes si le redoux de janvier ne l'induit pas à bourgeonner trop tôt et bourgeons de geler, fleurs de tomber en un printemps raté. A force de gober moucherons tardifs et araignées planquées, la petite chatte a vomi  sur les dalles, il a fallu tout nettoyer. La voilà qui repart en chasse et je nous prépare un café. Pour l'an nouveau ne rien souhaiter, faire le gros dos, planquer son nid, rêver que dans les plis d'un tout petit bocage on passe en contrebande une arche de Noé juste avant la grande marée. En sourire et préparer le déjeuner.

jeudi 30 décembre 2021

Jour de chat

 Le chat noir s'est battu, a vaincu (touffes de poils gris comme un trophée), est revenu et s'étend apaisé sur mon bureau, la patte boueuse sur les copies non corrigées. Il me regarde un temps puis ses yeux se perdent et finissent par se fermer: il n'est de bonne matinée qui n'aboutisse à une sieste. La vie ce n'est pas si compliqué: le territoire est assuré, la pitance acquise et la chatonne admirative, il faut savoir s'arrêter, savourer la paix près du radiateur, s'étirer satisfait en renversant un livre (aujourd'hui c'est La maison Tellier).

vendredi 24 décembre 2021

Un éclat bleu

 Les branchages sombres griffent le ciel gris, on fait feu d'ampoules pour lire à l'abri, même le vert vire au vert-de-gris, la saison sans doute, l'époque peut-être, l'air du temps est au moisi, ce pourquoi je me suis blotti, cette longère un nid décidément, un terrier peut-être, un trou de hobbit où se terrer dans l'espoir de temps plus cléments -ça ne tient pas debout, je sais, décembre est un mois détestable, on se vautre, on régresse. Surgit à midi comme d'une coulisse -de fait la haie de thuyas vert empire qu'il faudra arracher un jour (fatigue rien que d'y penser)- un paon qui me regarde et c'est un éclat bleu, du lapis lazuli qui se détache du vert pisseux de la prairie, du ciel qui n'est pas bleu mais d'un gris pas si clair, pas même laiteux. Il se pavane par le jardin il anoblit ce qu'il effleure promet un monde de couleurs, le manteau de la vierge dont Champaigne couvre Marie, c'est lui, il déploie sa roue, effraie les chats.  Le paon se perche sur mon toit, sur un des poteaux du portail, il sait prendre de la hauteur -prendre la pose aussi-  il fait refluer la vermine, appelle un pape qui ne vient pas (je crois bien qu'il est mort), et dépité rentre chez lui.

mercredi 22 décembre 2021

Pierre fendre

 La croûte blanche a tout saisi, le caillou rebondit sur l'eau transie de la mare où les lentilles vertes sont prises parmi les tiges vitrifiées, alors c'est encore vrai qu'il gèle encore, parfois, un peu? On aime la buée sur les fenêtres qui troublent la vue sur les arbres, et le chat noir qui se détache sur l'herbe cotonneuse de givre reste moins longtemps dehors, douillet qu'il est, frileux un tant soit peu; le rêver tel alors qu'il accourt au bruit de la porte ouverte. C'est l'hiver, la semaine des fêtes insanes, et tout est bon pour calmer les bêtes. Les loups sont de retour, on offre des spectacles, on projette sur les murs calcaires des églises des images , des coloriages, les loups rêvent-ils en couleur? Les enfants ont-ils peur du loup, le loup  qui peuple leurs images? C'est l'hiver, on bondit d'une nuit à l'autre et le gros chat gris à qui on a ouvert la porte n'en revient pas de l'aubaine dort sans discontinuer, et gémit quand il rêve. Tout est prétexte à bougies, guirlandes, flambées, nous tuerions pour lacérer l'ombre d'un éclat de briquet, d'une torche de téléphone -étrange objet. La nuit nous brûle, on voudrait éprouver la glace de la mare on voudrait patiner, mais la couche reste mince, et l'âge nous a passé de chausser les patins. La nuit nous pèse, c'est l'hiver, on s'invente des parfums de thés, fleurs de cerisier, jasmin, on laisse le printemps infuser pendant que la nuit gagne le temps d'une tasse, comme le négatif d'un nuage de lait (on n'en met jamais dans le thé).

jeudi 2 décembre 2021

Marcher sur les cendres

 Je ne te parle plus la mort nous a gagnés j'entends par là qu'à ton silence il n'est rien à répondre et que tu n'en peux mais. Le jardin de décembre se tait dans la nuit précoce et le gel sur les haies crispe les dernières feuilles en des convulsions brunes, et les troncs des arbres dessinent tous les possibles squelettes du vivant. Où tu gis je sais, je n'y vais jamais, les toussaints sont des sabbats tristes, et je suis juif errant dans le deuil de mon deuil. La tombe de maman j'y vais, sa mort j'y ai consenti, la tienne s'est imposée, lentement brutale, avec elle l'existence alourdie, la survie coupable. Je ne te parle plus ton fils est malheureux qui croule sous les deuils mais qui pleure désormais, ce que je voulais dire, ce que tu n'entends pas, c'est qu'il m'appelle quand il est mal, faute de toi, et que j'accueille sa douleur, tâchant vaille que vaille de me faire passeur de feu.

vendredi 19 novembre 2021

Caduc

 Le jour nait difficilement, les feuilles se font rares, le figuier ressemble au squelette d'un monstre préhistorique. L'érable blessé par la tempête nous aura offert un bain de sang sur l'herbe jaune, le doux chat noir a saigné sans haine une musaraigne dont il reste peu. De l'automne rouge à l'hiver noir, il s'en faut de quelques jours, quelques semaines au plus pour que noircissent à leur tour les feuilles tombées au sol, et seuls à demeurer houx et lierres d'un vert sombre, et la mésange charbonnière perchée sur le réverbère kitsch, et nous calfeutrés, à se demander si le jour va naître -il semblerait que non-  s'il ne serait pas temps d'installer la mangeoire avec la boule de graisse et les graines de tournesol -d'évidence oui. Mais où l'installer dans la nuit, hors d'atteinte du chat noir dont le grelot tragique menace le rouge-gorge que la faim rend audacieux? Ce sont nos graves questions, les graines de courges iront aussi, l'or, le sang, la nuit noire le jour hésitant.

vendredi 12 novembre 2021

Le jardin sans nom

 Il fait froid ce matin et décidément le bureau plus froid que les autres pièces, mais aussi la première à prendre le soleil qui s'élève au dessus des arbres et frappe les carreaux. Les dernières feuilles, caduques, perlent et gouttent du gel fondu, celles du figuier pendent comme des torchons sales et tomberont avant les fruits verts qui n'auront pas mûri, tant pis, c'est le hasard des fruits, cette année n'était pas celle des fruitiers, ça reviendra, sans doute, encore, ça reviendra les prunes, les pommes et les poires, nous n'avons pas encore brisé tous les cycles. Restent des roses vitrifiées par le gel, qui persistent à s'ouvrir, deux fleurs de primevères égarées dans l'automne, et tant que je ne sais pas nommer. Il faudrait  noter les noms qu'on nous indique, dessiner un plan du jardin dit Patrick, Tanguy n'en est pas persuadé, on ne notera rien, on laissera pousser, les noms se feront oublier, les fleurs nous les rappelleront.

mercredi 3 novembre 2021

Le temps qu'il fait

 Il faut maintenant désapprendre, vivre chaque matin comme une nouvelle ignorance, se méfier des mots précis et des phrases qui s'ourlent comme une robe trop bien coupée pour être honnête, se réjouir des insectes insensés qui peuplent le jardin, reconnaître qu'on a tout oublié des fleurs et des simples, qu'on n'identifie que les roses et les arbres, et encore, pas tous -on avait pris le catalpa pour un noyer, va pour le catalpa, les noix me donnent des aphtes. Une branche de l'érable est tombée dans la mare, un pont rouge sur les eaux noires, cela ne me rappelle rien, ça qui me fait du bien, c'est une vie sans précédent, des premières fois tout le temps dans le jardin dans la maison le pire n'est pas toujours certain, on plante un rosier black baccara, nom ridicule, pourpre velouté, on plante des arbres comme si rien n'allait se passer, rien de fâcheux, le temps qu'il fait, comme si tout allait continuer, les feuilles jaunes de novembre, les herbes blanches des premières gelées, il gèle encore, il pleut sur le bocage, il pleut encore pas mal, l'eau pas encore rare ici, on ferme les volets sur le temps qu'il fait, le temps que nous avons défait.

jeudi 28 octobre 2021

Planter un arbre

 On a acheté un poirier, un petit poirier avec sa motte de terre, c'est moi qui l'ai choisi, et comme je n'ai pas de fantaisie, j'ai pris un poirier de jadis, un "louise-bonne", à la foire aux plantes du château d'Harcourt. Elle s'appelle les Automnales, la foire aux plantes, on met du prétentieux partout, c'est l'air du temps, c'est l'ère du rien, avec bien peu en faire beaucoup, prendre la pause, donner à la foire un petit goût de festival, moi je m'en fiche, je repars avec mes espoirs de poires un peu rouges, ce sont de petites poires me dit Patrick, ce n'est pas grave, c'étaient les poires de Honfleur -il y avait aussi des williams et des passe-crassane si je me souviens bien des arbres en espalier contre le mur de pierre. Les louise-bonne c'étaient celles que ma grand-mère goûtait, c'étaient ses poires à elle, au grand-père les pommes qu'il gaulait d'un coup de béquille, ce n'était pas malin, elles s'abimaient en tombant les pommes fragiles qu'il aimait tant qu'il n'y avait qu'une sorte de pommes dans tout le jardin, j'en ai déjà parlé, il les aimait pour leur nom, les "transparentes de croncels", pour leur chair translucide, juteuse et sucrée, qu'elles se gâtent avait peu d'importance, elles pourrissaient dans l'allée, on glissait dessus, c'était un peu dégoûtant, il y en avait tant qu'il en restait toujours assez pour les compotes et les gelées. J'ai demandé au vendeur d'arbres s'il en avait, il en avait eu mais il les avait vendus ses pommiers, pas de veine, mais moi je me trouvais bien veinard quand-même de tomber sur un vendeur de transparentes de croncels, même de loin, même de l'Orne, même de Domfront -même si Domfront c'est plutôt les poires et le poiré- et décidément de la veine j'en ai car le vendeur d'arbres de Domfront me propose d'en réserver un qu'il apportera au marché aux arbres du Neubourg mi-novembre, un marché aux arbres qui s'appelle "marché aux arbres", c'est plutôt bien, on ne change rien, on reprend un pommier de jadis, on va retrouver le goût des transparentes de croncels.