Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

mercredi 3 novembre 2010

Arrière-saison

Il fait cru, tu dis, les fruits je les ai posés sur la corbeille, tu préfères le raisin italien. Passent les nuages dans des ciels très normands, Boudin Poussin, mêmes nuages au fond, ciels de Seine bouleversés. Septembre. C'est l'entre-temps, qui brouille dedans dehors, températures incertaines, le linge il ne sèche qu'à peine au fil de la voisine, ni le mien sur le palier. C'est trop tôt pour le chauffage, on ne veut pas tuer l'été, car c'est encore l'été, n'est-ce pas ? Les prunes, les fraises, ces goûts-là ne peuvent tromper. Pour plus tard les cèpes, les potimarrons, les vestes huilées sur nos chemises de flanelle.
Nous dormons l'un dans l'autre, nous dormons mieux, la fraîcheur du matin nous engourdit, c'est à qui n'ira pas chercher le pain (tu gagnes souvent, presque toujours à ce jeu-là). C'est la mucreur, on dit ici (nous avons des mots pour tous les états de l'eau).

mardi 2 novembre 2010

Flor do mar

Encore faut-il que la mer prenne la fleur qui lui fut jetée, qu’elle l’entraîne au cœur des marées, que le nœud des courants la tienne frêle sur la crête des vagues, et qu’elle infuse doucement, or du pollen, goût de safran tout le long des plages où l’on prie la déesse. C’est un pays de plages, on s’y tue en dansant.
Rouge l’hibiscus des menstruations vaines, blanche la tresse de jasmin : Il est une fleur pour chaque malheur, à la déesse on peut tout confier, le viol qui vous fit putain, la corde de guitare brisée, l’enfant qui n’est jamais venu, la déesse peut tout entendre, pourvu que la mer emporte la fleur loin de la grève. Elle peut tout comprendre, la déesse, intercéder, s’il le faut, auprès de la Vierge Marie, elle a très bien connu le Christ, à ce qu’on dit.
Verse un verre de rhum sur l’autel des Lares, lave d’eau de Lourdes la fleur que tu vas jeter. Pourvu que la mer la prenne, ta prière sera exaucée, la déesse peut tout entendre, la déesse peut tout apaiser, si elle accepte ton offrande, elle colligera sur le sable les restes de ta vie pour en faire un collier.

lundi 1 novembre 2010

Toussaint

Le vent sur le carreau qui tremble et mon oreille engourdie qui ne sait plus les bruits de la vieille maison, voici, de ce samedi, le poème inutile.
Je n'attends rien. Les choses adviennent. Nul ne sait plus ce qu'est le chaud, le froid, la passion ni l'envie dans ce cosmos gris qui pleure sur mon toit des foutaises d'harmonies.
Le vent passé devant ma porte a pris mon amant, mes amis, salaud de vent qui de la sorte m'oublie. Le seuil où l'on se tient seul ce n'est pas une vie, tu entres, tu sors, mais tu choisis.

Le vent sur le carreau fendu comme le cœur aux cartes siffle de compagnie. Les pauvres gens qui passent s'effacent sous la pluie.

Le seuil où je me tiens ni chaud ni froid ni rien.

dimanche 31 octobre 2010

Lost Song / Chant perdu

Un jour, juillet, j'ai
perdu le chant,
et de fait
accroupi dans le coin
dans l'angle mort de ma maison
il n'était plus rien à chanter

Et je suis devenu la pluie sur les ardoises
la pierre roulée dans les ruisseaux
et j'ai perdu le goût du thé

Les arbres ont jauni, sous lesquels des folles pleuraient
maigres de leur amour
les oiseaux dessinaient des inepties dans le ciel
et j'ai compris que cela ne reviendrait pas.

J'ai jauni moi aussi, entre l'index et le majeur
je suis devenu cendre de mon souffle
j'ai titubé de vins médiocres
et j'ai grimacé la jouissance.

samedi 30 octobre 2010

casablanquer 11

Ce jour est rouge et c'est de sang. Par la ville sèche, coule, bouillonne, de l'interstice des dalles jusqu'aux égouts engorgés la soupe rubiconde des moutons égorgés –odeur sucrée de protéine. le boucher passe et partout son couteau fend l'aorte et c'est le beau fleuve rouge de sang. Ce jour est rouge, à en coller aux pieds. Prêtres tachés du sacrifice, incisez les bêlements jusqu'au rauque des gorges, que la mer en rougisse, qu'on ait enfin la paix. Moi ? En ce jour je chante la joie des cafards et l'appétit des crabes.

vendredi 29 octobre 2010

Interruption

Du coup qui fut donné, la mort vint, aucun doute. Tête de fleur coupée d’un ongle acide. Le suc, poisseux, collait au pistil. Naîtrait de cette poix le rêve. On la brûlerait sous des fronts ténébreux, et les vapeurs du songe susciteraient un sourire pour une heure, puis les fronts caves reprendraient la résonance vaine du ressassement. Tombe le poing sur le crâne du songe creux. Dents d’or arrachées d’une misère admise. Comment gît ici celui qu’un fumeur de pierre fractura.

vendredi 22 octobre 2010

Happy together (together alone)

Le tango qu'ils dansaient ne les unissait pas, et les bières sur la table, ils en avaient trop bu pour rire, ils titubaient leurs pas, lorsqu'il fallait encore une fois aller pisser. Il avait proposé : repartons à zéro, ils étaient partis en effet, ils étaient partis en été ils étaient arrivés l'hiver, tout l'argent y était passé, il avait fallu travailler, apprendre la langue, louer une chambre, sourire aux touristes japonais qui ne comprenaient rien. Arrivés à zéro, dans l'exact envers du monde, ils ont cessé de s'aimer, ont fait lit à part, ont attendu que les mains cicatrisent et que l'hiver s'éloigne, dans des odeurs de nouilles chinoises. Le tango qu'ils dansaient ne les unissait pas. Étanches au monde, ils le devinrent l'un à l'autre, et celui-là qui se rendit seul aux chutes, n'en fut pas émerveillé. Reste la lampe dont la lumière tourne et repart à zéro dans les mains en larmes de celui qui n'a pas vu les cataractes.

mercredi 20 octobre 2010

La vieille chanson

On reprend c’est la vieille
Chanson qui revient
Dans notre sommeil
Et Verlaine le vieux
Démon qui nous tient

On lie comme on peut la botte
Des fredaines des refrains
Bouts de ficelles brins d’osier
Brins de paille petits riens
De rimes et rien qui vaille
La peine de la note

mardi 19 octobre 2010

Acanthes

Il dit qu’il couvrirait son corps d’acanthes, que dessiner c’est aussi ça, promettre ce qu’on ne tiendra pas : pardonnons au menteur qui promet la beauté. Feuilles d’acanthes au feutre vert, l’enfant déborde et c’est tant mieux. Regardons décillés ce qu’augurent les dessins des amants, les coloriages des enfants (Michaux dit : les commencements). On y lit les guerres, les conquêtes, les cadeaux des rois-mages. Des pères énormes avec d’énormes mains menacent l’horizon dont le soleil pâlit. Une mère à la robe triangulaire ressemble à la maison même, même triangle pour le toit. Son corps d’acanthes, il a dit ça, je couvrirai ton corps d’acanthes. Couronnement ? Funérailles végétales ? Et si ce n’était pas sa feuille ? Dans un drap de bain, blanc se tient l’enfant qui, César, prête vie, ou non. Lauriers dont l’enfant ceint le front de qui saura bien lui chanter les chansons qui l’endormiront. Sous un manteau de feuilles d’acanthes. Patiente la mère les broda. Le père ne pouvait pas : trop gros les doigts pour manier l’aiguille. Ces doigts que l’enfant dessina.

lundi 18 octobre 2010

Au marché

Ils parlent de la mort en marchandant des fruits, se donnent des nouvelles qui sont toujours mauvaises, le cancer de la cousine, l'infarctus du maire, la totale de la crémière. Jusqu'à leurs chiens qui sont malades, si malades qu'on ne sait plus de qui ils parlent, du corniaud, du grand-père, du docteur, du vétérinaire. Ils posent les cabas, se claquent des bécots, pourquoi ton mari n'est pas là ? Œil humide et polyclinique. Les commerçants font mine de les rouler, mais on la leur fait pas : c'est grand rire et plaisanterie normande. Ils savent exactement ce que valent les choses, exactement ce que contient leur porte-monnaie, connaissent à la virgule près leur taux de cholestérol. Elles ont les cheveux violets; ils sont chauves. Ils râlent contre la Sécu, ils font et défont la renommée des médicastres, ils apportent un pot de confiture vide, le font remplir de crème, ils apportent leur boîte à œufs. Ils trichent dans les queues. Les enfants ne viennent jamais les voir, les enfants viennent trop souvent, les petits enfants sont fatigants. Insuffisance respiratoire. Ils sortent des mouchoirs à carreaux, se mouchent. Rhume ou chagrin, on ne sait pas. Hors du cabas, la botte de poireaux.