La ville au bord de l’eau

La ville au bord de l’eau
La ville au bord de l’eau huile sur toile, 1947 Donation Pierre et Kathleen Granville, 1969 © Musée des Beaux-Arts de Dijon/François Jay © ADAGP, Paris

dimanche 29 septembre 2024

A la chaleur du poêle

 On a refait du feu, la maison est humide, la braise nous ranime, on brûle le saule-pleureur mort voici deux ans, c'est un bois léger qui se consume vite, flammes élégantes, cendres fines, pas un bois pour l'hiver, nous n'en sommes pas là. Là où nous sommes, nous faisons comme si la paix allait durer, des efforts de fleurs, de potager, de cuisine, de chats repus sur les fauteuils, une vie paisible, mais les écrans hurlent et des visages tordus de haine éructent des obscénités, qu'ils crèvent dit un jeune imbécile dont le père a été quelqu'un, je ne veux la mort de personne, pas non plus celle du jeune crétin, je veux accueillir l'étranger, celui qui fuira le cyclone, les bombes, les tyrans, la faim, je veux envisager l'autre, vivre en bon voisinage, et tout homme m'est prochain.

mercredi 25 septembre 2024

Passe avec la pluie

 Ce qu'il y a dans le bruit de la pluie, le clapotis clair sous les nuages gris, peu de lumière mais un hachis d'espaces indéfinis, ce qui se dit du temps qu'il fait tant pis, ce qu'on a fait du temps aussi, c'est à l'averse qu'on se plie, baleine tordue de parapluie, on perle trempé, perclus, soupir.

Enfant tu lançais des pierres dans les flaques et la boue t'étoilait des bottes au kabig rouge, et parfois nous y sautions à pieds joints -l'âge bête, disait la mère, l'âge bête cela expliquait tout mais n'excusait pas les taches de boue.

On ne court plus sous la pluie, on ne glisse plus dans la boue, c'est le temps qui pleut et fuit, nous laissant comme pierres au lit, moi fourbu presque à terre, toi dessous.

dimanche 15 septembre 2024

Non-anniversaire

Tu aurais eu soixante ans hier mais non, dix années bientôt  que tu ne vieillis plus. Au cimetière les anniversaires, ta tombe  je n'y suis jamais revenu, pas voulu pas pu, choisit-on seulement ce qu'on fait? Le temps décide pour nous, le temps, certaines réticences, j'entends par là qu'albums photos, pèlerinage et chambre verte, très peu pour moi, je n'ai pas les yeux en dedans, non pas besoin, chaque jour je me souviens de toi, je n'y peux rien, telle lumière le matin, le sourire de ta fille quand elle vient , une chanson de Stéphane Eicher que tu aimais bien, ça qui revient, ni reliques ni talismans, du vivant, du sensible, tu reviens avec le vent, la pluie sur les roses Meilland, les grains de beauté d'un enfant, ton souvenir de la chaux vive, le non-anniversaire d'Alice.

dimanche 18 août 2024

En faire son dimanche

 On pourra bientôt chanter le retour des colchiques, lumière grise, on a changé, le ciel s'en est allé brûler ailleurs. Fin d'été, Whistler, rivages presque monochromes, encore beaucoup de fleurs et des prairies vertes, et des concombres au potager. La mare débroussaillée reflète enfin les althéas blancs, on y a découvert un peuplement, grenouille crapaud, tritons, la mare est là qui nous surprend, trainées de lentilles d'eau, suspension d'herbes molles. Les chats tuent des lapereaux qu'ils dévorent jusqu'aux oreilles puis s'en vont dormir sur le lit, câlins, repus, innocents jurerait-on, si on ne les avait vus, s'il ne nous avaient offert tel trophée dans la salle de bain, surgissant de la fenêtre entrouverte. On laisse la lumière entrer, on met à la porte le chat et ce qu'il reste de sa proie, un dimanche, fin d'été, un dimanche bientôt passé.

mardi 30 juillet 2024

Volets fermés

 Il fera chaud ce jour, j'ai fermé les volets pour garder la fraicheur, comme je l'avais appris en Espagne jadis, en vacances: on se levait tôt, on allait au marché, on rentrait faire la sieste, pour ne sortir qu'au paseo, diner tard, se coucher quand enfin l'air revenait. A Casa, on versait de grands seaux sur les carrelages de septembre, quand l'été n'en finissait pas. Je n'en suis pas là, mais j'ombre la maison basse tapie dans le bocage, le soleil est monté d'un cran, il faut s'en garder, attendre la pluie promise pour la nuit.

jeudi 25 juillet 2024

La joie des flaques

Sous la pluie revenue,  reprendre au ciel gris de l'enfance, la teinte des étés perdus. Que faire des enfants qui s'ennuient les jours d'été pluvieux, les femmes avaient des stratégies, tissaient leurs ruses douces entre parties de Monopoly, préparation de pâte à crêpes, promenades en Kway sous l'averse -ça se lève, disait immanquablement la mère, ça se lève- et nous macérions sous la toile enduite, la sueur nous trempait, pas la pluie, c'était là l'essentiel, il fallait être hermétique. Les flaques, c'était la revanche des enfants sur le sort, on y sautait à pieds joints, on y brouillait le reflet du ciel maussade, on s'éclaboussait, exaspérant celles qui avaient décidé de la promenade par devoir, par hygiène, on ne sait pas trop bien: c'était le culte du bon air en ce temps là, les enfants c'était comme les bêtes, il fallait les sortir, les fatiguer, ainsi on les coucherait tôt, on aurait la paix, mais non, les enfants sautaient dans les flaques, les enfants s'énervaient qui seraient privés de crêpes, c'était la menace, personne n'y croyait.

lundi 8 juillet 2024

Le bel été

 Il pleut ici comme un été de ma jeunesse. Les hortensias n'ont pas grillé, nous dormons fenêtres fermées les nuits sont fraîches. Les grives s'enivrent de cerises, les chats guettent l'aubaine, il pleut sur le lapin qui mange les fleurs de trèfle. La catastrophe est remise à plus tard, ailleurs, aux feux de Californie, à la montée des eaux -une carte dessine les nouvelles îles les possibles atlantides, les futurs fjords et jeunes abers. Mais pour l'heure il est permis de vivre et nous respirons ici mieux qu'hier même si chacun sait  le moment fragile et l'accalmie trompeuse, n'importe, on a cueilli deux kilos de groseilles, un de cassis, et ce soir c'est confiture (les gelées nous ennuient).

lundi 24 juin 2024

Aux absents

 Parfois, sans crier gare, quelque chose nous prend comme nous saisit le vent qui fait pleurer -Etretat, en janvier, on pleure on est cinglé, où êtes vous passés? Le temps de se retourner, le trou dans l'eau s'est refermé sur vous, il a fallu continuer sans. Les absents manquent et si le trou se referme, l'absence n'est jamais comblée, elle creuse en nous des courants d'air glacés mais ce qui nous transit, c'est de comprendre qu'on ne cesse de vous perdre, qu'on vous oublie pied à pied, ce combat perdu qu'on mène, qu'on ne cesse de perdre, vos mains, vos voix, vos yeux qu'on ne sait plus susciter, qui pourtant nous appellent dans un monde indifférent.

vendredi 21 juin 2024

Ich habe genug

 Peut-être rien ce jour, un rayon de soleil qui passe ou qui perce, le buffet qu'on a fermé, on lui préfère la fenêtre ouverte où les chats s'attardent, les fleurs des capucines cramoisies, il est des jours où une fleur suffit. Ce qui chante, oiseaux plus ou moins communs du jardin, bouleversants barytons allemands, Schubert, Messiaen, peu importe finalement qui chante, ce qu'ils chantent, il faut être reconnaissant, ceux qui chantent repoussent la fin même, inventent mon présent. Que le vieux temps reste au buffet, quant au bel avenir, c'est du boniment, du vent: à qui nous ment répondre par le chant, cueillir la capucine, l'éclaircie de maintenant je l'ai vue.  Que le chanteur épouse le hautbois, sa voix la joie, avant que tout ait disparu.

jeudi 13 juin 2024

Monter à Grâce

 Je n'aime pas me souvenir, je préfère que ça me revienne, un baiser d'aube, une boule de neige, le jasmin la nuit, ma sœur qui courait de curieuse manière, ce qui fait retour et suspend le temps, il faut le laisser ressurgir ne rien forcer, être patient, peut-être rien ce jour, peut-être l'essoufflement, le point de côté quand on avait pris le chemin de la côte de Grâce -pour mieux voir le Havre en face, il fallait un franc et la lunette nous projetait vers le port, la cheminée de la centrale et les réservoirs de carburant, qui aurait voulu mettre un franc pour voir des fumées et des pétroliers? On nous refusait le franc, on rentrait dans la chapelle, puisqu'on aimait les bateaux, on admirait les ex-voto,  cela faisait rêver les voiliers suspendus et les marins sauvés, des plaques de marbre remerciaient la vierge. Rentrer ce n'était rien, on dévalait le chemin, indifférents aux toits de la ville, joie de la pente, perspective du goûter.