Sans titre

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Tal Coat

mercredi 11 juin 2025

Happy days

 On le sait dès longtemps, mieux aurait valu ne pas -parler, jouir, fumer, boire, manger gras, écrire, naître sans doute, mais voilà, le mieux, le pas, c'est bien gentil mais il faut vivre, le pas le mieux, ils ont beau jeu les devins qui prédisent le passé, ce que je sais le mieux c'est de ne pas trop retourner sur ses pas, s'abimer dans ses traces, qui s'effacent, elles sont faites pour ça. Je crois qu'il faut dès matin regarder par la fenêtre, y trouver de la bonne humeur, j'ai l'âge de mes douleurs, disait l'aïeule en drama queen, c'est un peu vrai mais il faut en sourire, se souvenir de Jean Genet, de Divine portant son dentier comme un diadème, "Merde mesdames, je règnerai quand-même!" (je cite de mémoire, vérifie qui voudra). Par la fenêtre, ce qu'on voit, il faut parfois beaucoup de bonne volonté pour vivre avec, mais voilà, un rosier blanc, un bout de ciel, le soleil va percer, j'ai de la chance, une belle journée.

vendredi 6 juin 2025

Mother Nature's sons

 On avait allumé un feu pour effrayer les bêtes et déchirer la nuit, dans un cercle de pierres les braises avaient  pâli, et au réveil plus froid que jamais pas même blottis, on était jeunes, on n'osait pas. On était partis dans les bois, chercher le loup peut-être, on s'était perdus, à dessein peut-être, faute de loup, trouver le froid, on ne savait pas, on voulait apprendre, on avait trop lu, il nous fallait juger sur pièces. Nous nous connûmes et ce ne fut pas beau, nous ne serions pas les héros de nos romans secrets, ce que nous avons compris, la leçon, amère.

dimanche 1 juin 2025

Fruits d'été

J'ai cueilli des cerises, les merles en avaient laissé, c'est la première année qu'ils partagent, elles sont charnues, sucrées, les pêches grossissent sur le jeune pêcher, nous semble promis un été de fruits, n'était la grêle qui peut toujours venir hacher les espérances, gâcher la joie des confitures, mais pour l'heure espérons, cela fait vivre dit-on, et l'échéance est raisonnable. J'aimerais surtout goûter au seul abricot de l'abricotier, cet effort d'un fruit dès la première année, mais il ne grossit plus guère, encore n'est-il pas tombé, j'attends un peu pour en désespérer, et s'il tombait n'en serais point amer: me resteraient les grappes de groseilles, de cassis, s'annoncent les framboises en nombre, et le figuier courbe sous le poids de ses figues, énormes dès avant l'été, un été de fruits, ce qui  nous est promis.

mercredi 28 mai 2025

Ohimé

 C'est bientôt l'été. Le temps ne fait que passer dirait-on, à voir les nuages par légions déferler sur l'horizon vague. C'est bientôt l'été, ohimé, le temps ne fait pas que passer, il roule le temps, furieux camion, gros fardier, ohimé, nous brise les os sous les horions, je suis un boxer groggy sous les coups de l'âge, le vieillard  qui divague et titube en ivrogne sur le chemin qu'incendient les digitales. C'est bientôt l'été, j'embrasse son ombre et crains le soleil désormais, ohimé, je tiens à ma peau qui s'écaille, chagrin de lézard albinos qui voyant poindre l'astre, cherche crevasse, anfractuosité où rétracter sa carcasse, bientôt l'été, ohimé, c'est dégueulasse le temps qui passe, j'aurais tant voulu vieillir avec grâce, ce ne me sera pas donné.

vendredi 23 mai 2025

L'effacement

 Voici dix ans passés que tu ne réponds plus, longtemps je t'ai parlé, maintenant plus, j'ai perdu le souvenir de ta voix, peut-être est-elle enregistrée au détour d'un film, je ne sais plus si vous filmiez les premiers pas de vos enfants, c'est possible, je ne me souviens plus. Dix ans sans toi, ton effacement, j'ai lutté sans succès, on sait qu'on va perdre, on lutte pourtant, mais tu ne cesses de disparaître, cela qui t'effrayait tant. Sans toi, plus d'enfance commune, plus de témoin, mon passé, comme une fiction, s'échappe, un rêve de frère et sœur qui ne survit pas à mon réveil, a-t-elle seulement existé l'enfance que j'évoque à tes enfants, toujours étonné que tu leur aies si peu parlé de toi, de nous petits. De tout cela que reste-t-il, pas grand chose, de moins en moins, on s'approche du rien, mais si tu ne cesses de disparaitre, c'est que tu n'as pas disparu, pas totalement disparu, le rien qu'on approche est hors d'atteinte, la flèche de Zénon ne touche pas son but.

dimanche 18 mai 2025

Provisoire Arcadie

 Passe avec l'heure la brume de mai. Le pavot a tombé la coque et déploie son éclat froissé sous le soleil revenu. Le figuier croule sous des fruits étonnamment précoces, les poires promettent d'être nombreuses, les cerises rosissent, les groseilles aussi: chacun se hâte de vivre de prendre le soleil qui s'offre, de boire l'eau de la terre et la mare s'en est ressentie. Ici on entend les grives glorieuses et l'âne nain qui braie comme un grand. On pourrait croire que rien ne change, chaque mouton à tête noire  porte une cloche qui teinte le soir, on se dit quand on rentre qu'on échappe au chaos, que l'extinction, pas ici, on se trompe évidemment, mais dans l'effondrement général, l'illusion aide à vivre, une Arcadie de provision, roucoulement de pigeons, cri du paon qui vague au hameau, éclair roux de l'écureuil qui grimpe au charme, un enchantement, un sort heureux jusqu'à ce que.

samedi 10 mai 2025

Maille à l'envers

 Il suffirait de tirer le fil, de faire rouler la pelote, quitte à détricoter le pull comme  s'y employait la tante experte, jadis, lorsque la marraine avait encore imaginé le filleul comme un être aux bras trainant par terre, et la petite dame rousse reprenait la laine perdue des manches infinies pour ajouter au torse les rangs de mailles qui manquaient. Cela prenait du temps, il fallait de la patience, de l'attention, compter, penser aux diminutions, mais à la fin de l'été le chandail -on disait ainsi- était prêt, aux mesures de l'adolescent maigre paré pour affronter l'automne. On rêve qu'il en aille de même des souvenirs, qu'on puisse en reprendre la trame, renouer les points, réparer les erreurs, mais on s'esquinterait en vain, rien n'est rattrapable, alors on laisse filer.

mercredi 7 mai 2025

Rue Saint Léonard

 Et puis la rumeur de la ville, à peine une rumeur, à peine une ville à vrai dire, ne nous parvenait qu'à peine. Si je m'en souviens? Bien sûr. La nuit -c'étaient de vieux carreaux dans la maison de briques, de ceux qui gondolent la vue du dehors- on entendait approcher les voitures et la chambre était balayée par les phares en dépit des persiennes, je n'ai pas oublié, ni les bruits ni les cris des marchandes qui remontaient la rue au rythme des marées. La chambre de l'aïeule donnait sur le jardin qui l'entendait ronfler en paix, je me souviens je me souviens. Et tôt le samedi matin résonnaient comme des cymbales les dernières carioles aux roues cerclées qui descendaient vers le marché, ce son du passé dans notre présent, nous courrions au Passant observer les chevaux et la rue pour un temps sentait un peu le crottin, je m'en souviens bien, ma vie d'homme a roulé sur les pavés, les pavés disjoints disparus, on n'y butera plus, le temps glisse sur la chaussée mouillée, ma mère, ma mère, voici longtemps que je ne suis passé -la pierre de ta tombe a-t-elle gardé son reflet bleu?

lundi 14 avril 2025

Le bal du pont

 Dans cette histoire, une belle un pont, la belle s'appelle Hélène et voudrait y aller danser. Un bal sur un pont, drôle d'idée mais admettons, pont du nord, pont de Nantes, peu importe à la mère qui l'envoie promener, voici la belle dans sa chambre en pleurs, cloîtrée, des impatiences plein les pieds. Les frères n'aiment pas voir leurs sœurs pleurer. Celui-là qui a navigué, revient chercher Hélène, lui dit de s'habiller, robe de bal, ceinture dorée, il faut sécher les larmes, il va l'emmener danser la sœurette la faire tournoyer sur le pont où le bal se donne, elle pourra lancer ses gambettes sans craindre les mauvais garçons, le frère veille, pas d'embêtements. Elle s'élance Hélène et la première danse la grise comme un verre de vin blanc, il faut qu'elle recommence, la belle aime l'ivresse des virevoltes et tournoiements, mais dès le troisième tour, le pont s'effondre, la belle tombe, le frère plonge pour la sauver, elle coule à pic, robe blanche ceinture dorée, le frère ne peut la retirer qui sombre et les voilà noyés, un bal sur un pont qui branle c'était une mauvaise idée. Le tocsin sonne qui réveille la mère des enfants obstinés, on l'informe de leur mort, c'est à son tour de pleurer.

jeudi 3 avril 2025

Peine perdue

 Dans cette histoire une fontaine, une route, une belle, il ne manque qu'un pont mais ce serait autre chanson, de pont nous nous passerons mais pas de la fontaine ni des larmes de la belle qui pleure comme une Madeleine, les belles pleurent près des fontaines  où chantent les oiseaux, les merles moqueurs qui picorent le cœur des belles, bécotent la pulpe purpurine des cerises en juin. Qui viendra consoler la belle qui sanglote à gros bouillons? -elle pourrait, dit-on, faire déborder la fontaine. On vient bientôt, pas de mystère, la fontaine est en bord de route, qui vient? un prince, un cantonnier, un crapaud?  non, vient tout un bataillon qui s'intéresse au chagrin de la belle et veut lui chanter des chansons. A tout bataillon capitaine, c'est lui qui pose les questions, c'est grâce à lui qu'on sait le prénom de la belle -un nom de fleur, Garance? Mais non, l'éplorée de la fontaine sur la route de Dijon répond au nom de Marjolaine. C'est un doux nom sourit le capitaine qui s'inquiète de sa peine, Marjolaine a beaucoup de peine, mais l'histoire dit qu'il la console quand même, lui et tout son bataillon. C'est sur la route de Dijon qu'on plaint la pauvre Marjolaine pour pareille consolation. Les hommes sont des vauriens, des brutes, des ruffians, pleure la belle à la fontaine au comble de l'affliction.