Sans titre

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Tal Coat

mercredi 28 mai 2025

Ohimé

 C'est bientôt l'été. Le temps ne fait que passer dirait-on, à voir les nuages par légions déferler sur l'horizon vague. C'est bientôt l'été, ohimé, le temps ne fait pas que passer, il roule le temps, furieux camion, gros fardier, ohimé, nous brise les os sous les horions, je suis un boxer groggy sous les coups de l'âge, le vieillard  qui divague et titube en ivrogne sur le chemin qu'incendient les digitales. C'est bientôt l'été, j'embrasse son ombre et crains le soleil désormais, ohimé, je tiens à ma peau qui s'écaille, chagrin de lézard albinos qui voyant poindre l'astre, cherche crevasse, anfractuosité où rétracter sa carcasse, bientôt l'été, ohimé, c'est dégueulasse le temps qui passe, j'aurais tant voulu vieillir avec grâce, ce ne me sera pas donné.

vendredi 23 mai 2025

L'effacement

 Voici dix ans passés que tu ne réponds plus, longtemps je t'ai parlé, maintenant plus, j'ai perdu le souvenir de ta voix, peut-être est-elle enregistrée au détour d'un film, je ne sais plus si vous filmiez les premiers pas de vos enfants, c'est possible, je ne me souviens plus. Dix ans sans toi, ton effacement, j'ai lutté sans succès, on sait qu'on va perdre, on lutte pourtant, mais tu ne cesses de disparaître, cela qui t'effrayait tant. Sans toi, plus d'enfance commune, plus de témoin, mon passé, comme une fiction, s'échappe, un rêve de frère et sœur qui ne survit pas à mon réveil, a-t-elle seulement existé l'enfance que j'évoque à tes enfants, toujours étonné que tu leur aies si peu parlé de toi, de nous petits. De tout cela que reste-t-il, pas grand chose, de moins en moins, on s'approche du rien, mais si tu ne cesses de disparaitre, c'est que tu n'as pas disparu, pas totalement disparu, le rien qu'on approche est hors d'atteinte, la flèche de Zénon ne touche pas son but.

dimanche 18 mai 2025

Provisoire Arcadie

 Passe avec l'heure la brume de mai. Le pavot a tombé la coque et déploie son éclat froissé sous le soleil revenu. Le figuier croule sous des fruits étonnamment précoces, les poires promettent d'être nombreuses, les cerises rosissent, les groseilles aussi: chacun se hâte de vivre de prendre le soleil qui s'offre, de boire l'eau de la terre et la mare s'en est ressentie. Ici on entend les grives glorieuses et l'âne nain qui braie comme un grand. On pourrait croire que rien ne change, chaque mouton à tête noire  porte une cloche qui teinte le soir, on se dit quand on rentre qu'on échappe au chaos, que l'extinction, pas ici, on se trompe évidemment, mais dans l'effondrement général, l'illusion aide à vivre, une Arcadie de provision, roucoulement de pigeons, cri du paon qui vague au hameau, éclair roux de l'écureuil qui grimpe au charme, un enchantement, un sort heureux jusqu'à ce que.

samedi 10 mai 2025

Maille à l'envers

 Il suffirait de tirer le fil, de faire rouler la pelote, quitte à détricoter le pull comme  s'y employait la tante experte, jadis, lorsque la marraine avait encore imaginé le filleul comme un être aux bras trainant par terre, et la petite dame rousse reprenait la laine perdue des manches infinies pour ajouter au torse les rangs de mailles qui manquaient. Cela prenait du temps, il fallait de la patience, de l'attention, compter, penser aux diminutions, mais à la fin de l'été le chandail -on disait ainsi- était prêt, aux mesures de l'adolescent maigre paré pour affronter l'automne. On rêve qu'il en aille de même des souvenirs, qu'on puisse en reprendre la trame, renouer les points, réparer les erreurs, mais on s'esquinterait en vain, rien n'est rattrapable, alors on laisse filer.

mercredi 7 mai 2025

Rue Saint Léonard

 Et puis la rumeur de la ville, à peine une rumeur, à peine une ville à vrai dire, ne nous parvenait qu'à peine. Si je m'en souviens? Bien sûr. La nuit -c'étaient de vieux carreaux dans la maison de briques, de ceux qui gondolent la vue du dehors- on entendait approcher les voitures et la chambre était balayée par les phares en dépit des persiennes, je n'ai pas oublié, ni les bruits ni les cris des marchandes qui remontaient la rue au rythme des marées. La chambre de l'aïeule donnait sur le jardin qui l'entendait ronfler en paix, je me souviens je me souviens. Et tôt le samedi matin résonnaient comme des cymbales les dernières carioles aux roues cerclées qui descendaient vers le marché, ce son du passé dans notre présent, nous courrions au Passant observer les chevaux et la rue pour un temps sentait un peu le crottin, je m'en souviens bien, ma vie d'homme a roulé sur les pavés, les pavés disjoints disparus, on n'y butera plus, le temps glisse sur la chaussée mouillée, ma mère, ma mère, voici longtemps que je ne suis passé -la pierre de ta tombe a-t-elle gardé son reflet bleu?

lundi 14 avril 2025

Le bal du pont

 Dans cette histoire, une belle un pont, la belle s'appelle Hélène et voudrait y aller danser. Un bal sur un pont, drôle d'idée mais admettons, pont du nord, pont de Nantes, peu importe à la mère qui l'envoie promener, voici la belle dans sa chambre en pleurs, cloîtrée, des impatiences plein les pieds. Les frères n'aiment pas voir leurs sœurs pleurer. Celui-là qui a navigué, revient chercher Hélène, lui dit de s'habiller, robe de bal, ceinture dorée, il faut sécher les larmes, il va l'emmener danser la sœurette la faire tournoyer sur le pont où le bal se donne, elle pourra lancer ses gambettes sans craindre les mauvais garçons, le frère veille, pas d'embêtements. Elle s'élance Hélène et la première danse la grise comme un verre de vin blanc, il faut qu'elle recommence, la belle aime l'ivresse des virevoltes et tournoiements, mais dès le troisième tour, le pont s'effondre, la belle tombe, le frère plonge pour la sauver, elle coule à pic, robe blanche ceinture dorée, le frère ne peut la retirer qui sombre et les voilà noyés, un bal sur un pont qui branle c'était une mauvaise idée. Le tocsin sonne qui réveille la mère des enfants obstinés, on l'informe de leur mort, c'est à son tour de pleurer.

jeudi 3 avril 2025

Peine perdue

 Dans cette histoire une fontaine, une route, une belle, il ne manque qu'un pont mais ce serait autre chanson, de pont nous nous passerons mais pas de la fontaine ni des larmes de la belle qui pleure comme une Madeleine, les belles pleurent près des fontaines  où chantent les oiseaux, les merles moqueurs qui picorent le cœur des belles, bécotent la pulpe purpurine des cerises en juin. Qui viendra consoler la belle qui sanglote à gros bouillons? -elle pourrait, dit-on, faire déborder la fontaine. On vient bientôt, pas de mystère, la fontaine est en bord de route, qui vient? un prince, un cantonnier, un crapaud?  non, vient tout un bataillon qui s'intéresse au chagrin de la belle et veut lui chanter des chansons. A tout bataillon capitaine, c'est lui qui pose les questions, c'est grâce à lui qu'on sait le prénom de la belle -un nom de fleur, Garance? Mais non, l'éplorée de la fontaine sur la route de Dijon répond au nom de Marjolaine. C'est un doux nom sourit le capitaine qui s'inquiète de sa peine, Marjolaine a beaucoup de peine, mais l'histoire dit qu'il la console quand même, lui et tout son bataillon. C'est sur la route de Dijon qu'on plaint la pauvre Marjolaine pour pareille consolation. Les hommes sont des vauriens, des brutes, des ruffians, pleure la belle à la fontaine au comble de l'affliction.

samedi 22 mars 2025

Corde au cou

 Dans cette histoire pas de fontaine, mais les larmes de la belle qui pleure à si gros bouillons qu'elle en devient fontaine, aussi s'étonne-t-on. La belle est encore fille, c'est pour cela augure-t-on qu'elle sanglote à fendre le cœur des pierres, peur de coiffer Sainte Catherine croit-on - on est un con. On lui promet un beau garçon, mieux encore le fils d'un prince, au pis celui d'un baron. Au mariage princier, à l'anneau qui brille, Jeannette -tel est son petit nom- dit non, son cœur est pris et qui l'a pris est en prison, n'importe! qui elle aime s'appelle Pierre, c'est lui qu'elle mariera, prison ou pas prison. Sa réponse déplaît, à l'effrontée pleureuse, ici on aime dire la loi, les filles dociles et les contes de fée. "- Puisqu'il en est ainsi, ton pendard de Pierre on lui nouera la corde, il se balancera, tu pourras pleurer tout ton soûl Jeannette, au bout d'une corde Pierre pendouillera." 

- La corde je la veux au cou, le nœud  coulant qu'il me serre la gorge, j'exige ce collier de chanvre, mon cou c'est mon annulaire, pendue j'épouserai Pierre, éperdus nous danserons  au dessus des patibulaires au grand bal de Montfaucon."

Ainsi fut fait, dit-on.

vendredi 14 mars 2025

L'eau claire

 Dans cette histoire la belle trouve belle l'eau claire, et sans plus s'y mirer se baigne à la fontaine. On dit qu'elle revient de noces, qu'elle n'a pas le cœur gai mais aime que le rossignol trouve lui cœur à chanter tandis qu'elle s'essuie à la feuille du chêne. Un rossignol, c'est comme un jeune homme, un ténor léger, chante rossignol dit-elle, pour un peu elle pleurerait, l'ami Pierre l'a trouvé légère, elle s'en défend, elle rend à la fontaine les larmes qui lui viennent, sur la plus haute branche chante le rossignol, chante. La voilà délaissée pour un bouton de rose trop tôt donné, si peu de chose, et voilà la noce gâchée, elle voudrait raccrocher la rose au rosier, que Pierre lui revienne, elle voudrait rossignol t'entendre chanter qu'il ne s'est rien passé.

jeudi 6 mars 2025

Sur la route

 Dans cette histoire, les routes des provinces s'emmêlent, de Rennes ou de Lorraine la route où claquent les sabots de la belle, de la duchesse, de la vilaine on ne sait pas trop, toujours est-il qu'elle marche, mais où ses pas la mènent l'histoire varie sur ce point aussi, ce qui nous ravit, c'est la variation même. On dit qu'elle allait vers Paris, de Bretagne ou par la Lorraine, Paris ça vous pose une belle, les sabots ce n'est pas un problème quand le fils du roi vous aime, voilà ce qu'elle dit, la belle. A qui elle le dit, l'histoire varie sur ce point aussi, ça qui me réjouit, trois dames ou trois capitaines, landeri mirlitontaine, la belle a de la répartie, et ses sabots d'Ille et Vilaine ne l'empêcheront pas d'être reine si le bouquet de marjolaine -un don du Dauphin transi- qu'elle a planté sur la plaine, si le bouquet refleurit elle règne, mais s'il meurt, peine perdue, dondaine, elle repartira vers Rennes, passera par la Lorraine, en sabots toute honte bue.