Ce n'est pas bien sorcier d'écrire, t'écrire c'est juste nécessaire, sinon je me surprends à te parler, tête en l'air parfois j'espère insensé que tu me répondes, j'attends quelques secondes, et je me raisonne dans le silence retrouvé, écrire ça n'a rien de sorcier. Frère et sœur c'était le lien, ce lien parfait d'égalité d'entente d'enfance partagée, frère et sœur ce fut république idéale -je ne ferai pas l'inventaire des fibres qui nous ont liés, il suffit de dire que ce lien brisé m'effiloche mais je me tiens là et je t'écris. Les vieilles histoires disent aux sœurs comment faire avec le frère mort, le disputer aux bêtes, l'enterrer malgré tout, rassembler patientes les morceaux épars de son corps, le remembrer comme on ravaude un linge cher, les vieilles histoires disent aux sœurs comment faire. Les vieilles histoires ne disent rien aux frères, elles parlent aux amants, elles chantent les héros qui descendent aux enfers, elles ne disent rien aux frères qui ne savent que faire sans sœur et traînent sur la rive et cherchent un passeur auquel ils promettront des chansons.
Le ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.
La ville au bord de l’eau
dimanche 12 mars 2017
samedi 11 mars 2017
Ca revient
Ca revient, je sais bien, mais rien pareil, la lumière ce matin simule le printemps, ou peut-être ne ment-elle pas, peut-être le réchauffement en est déjà au point où le printemps c'est maintenant? Un printemps de brouillard rose, un printemps de particules en suspension dans l'air, il n'a pas tant plu que ça cet hiver, un printemps sans toi qui n'a même pas beaucoup toussé, un printemps à bout de souffle, d'arbres japonais en fleurs, de jonquilles dans les fossés, tu n'avais pas beaucoup toussé. Aujourd'hui l'anniversaire de Fukushima, un article dans le journal, une chronique à la radio, rien de nouveau sous le sarcophage, les robots sortent irradiés, on ne sait pas quoi faire du mausolée de notre orgueil. Tu sais -tu ne sais pas- je déteste mars où naquit le père où tu mourus, un mois de catastrophes, de tsunami nucléaire et d'éruption boréale. Ca revient, mars est là qui te vit mourir tu ne reviens pas.
mardi 7 mars 2017
Tact, (suite)
Aujourd'hui, au courrier, une enveloppe qui m'enjoint de choisir la tranquillité, une enveloppe à l'enseigne "Dignité funéraire" ("funéraire" en tout petit sous "dignité" , à peine lisible aux yeux des vieillards). La lettre est établie au nom des Pompes Funèbres et Marbrerie Evanno, Vannes. J'apprends que j'y ai un compte client, un code personnel depuis que j'ai réglé les obsèques de maman, que je suis doté d'un "conseiller funéraire" qui signe mais ne donne pas son nom, fiction publicitaire sans doute et qu'importe. On m'écrit pour formuler le vœu que les services des dites Pompes m'ont pleinement satisfait, on m'envoie le renouvellement de sentiments chaleureux qui me rappellent que de fait il y a bien renouvellement, puisque j'avais reçu quelques semaines après l'enterrement, une enquête de satisfaction qui m'avait stupéfiée. Aujourd'hui, cependant, un tout autre objet au courrier: m'inviter à souscrire un Testament Obsèques qui soulagera mes proches des formalités de mes funérailles, avec une remise de 200 euros si je souscris dans les six mois. Le Post-Scriptum m'assure que le contrat "se fait sans questionnaire médical ni examen de santé, et sans frais de dossier", ce qui est heureux puisqu'il s'agit de mourir et d'être enterré "dans le strict respect de vos volontés". Je vais attendre un peu.
samedi 4 mars 2017
Le pain du rêve
Ce fut un rêve dont maman fut, qui mangeait du pain azyme, le croirais-tu, je n'y comprends goutte, du pain sans mie, à peine croûte, elle semblait y prendre goût à ce pain du rêve où elle mordait, rajeunie. J'aimerais qu'ainsi tu me reviennes, tu mordrais du pain de mie, du pain de miel, du pain d'épices, on ne sait pas avec le rêve ce que l'on mange et même si l'on sent bien que les êtres aimés simulent un peu, on les remercie, on embrasse leurs ombres, leur effort pour revenir dans nos rêves qui les accueillent, la fadeur du pain azyme.
jeudi 23 février 2017
Tact
Il m'appelle l'employé de la filiale qui liquide l'assurance vie de maman, il veut me rassurer le liquidateur, il n'avait pas les papiers, il les a, je suis bien l'héritier, mais ça bloquait, il n'y était pour rien, moi non plus, en fait c'est de ta faute: c'est rare qu'un enfant "prédécède" (ça c'est un mot de notaire dans un courrier d'hier), ça a tout bloqué que tu "prédécèdes", car c'est bien ça, n'est-ce pas, votre sœur est bien morte? Je confirme, tu es morte il y a dix-huit mois, Ah ben non ça colle pas, moi j'ai noté mars 2015, le 19 c'est bien ça? Il n'y a rien à répondre, oui c'est ça, c'est plutôt deux ans que dix-huit mois alors il insiste il est lourd, rempli d'exactitude tatillonne il ne sent rien de mes envies de meurtre, comment lui en voudrais-je, il m'annonce une bonne nouvelle, le liquidateur, le dossier n'est plus bloqué, il a tous les papiers, je vais toucher de l'argent, comment ne serais-je pas content, dans quatre mois le versement et désolé pour le retard. Je raccroche, hébété par l'abruti, sa tranquille obscénité.
lundi 20 février 2017
Soleil prenant
S'agit-il de prendre la pente? La pensée de midi, est-elle si exacte au soleil? De la terrasse au sud d'une montagne que je découvre (le lieu d'où j'écris, je ne sais le nommer, au dessus de Luz, le voilà situé), je vois descendre de petits bonshommes carénés qui glissent sur la neige bien damée. Je fus l'un d'entre eux, avant, ailleurs, je ne le suis plus je ne le serai plus, corbeau d'Edgar Poe, perroquet du Nevermore. Ils sont jolis les corbeaux d'ici, ils sont joyeux, ils glissent, nous étions comme eux sur d'autres pistes, avec des skis plus longs, nous étions moins nombreux. Tu aimais la neige qui tombait plus fort, qui tenait plus longtemps, mais enfant tu craignais la pente, ma sœur un peu crispée, tu l'affrontais quand je glissais. L'œil du père qui nous surveillait, pesait son poids sans doute sur ta nuque tendue, je ne le voyais pas, je glissais loin du mauvais skieur qu'il était, soupirant de devoir l'attendre. J'ai glissé longtemps, avec aisance, toujours plus loin de lui, longtemps si léger sur la pente. Aujourd'hui vieux de ta mort, je n'ai pas loué de skis, je regarde les autres glisser, mon tour est passé, mais l'heure est belle au midi prenant pour voir dévaler les vivants et s'en trouver revigoré.
mercredi 8 février 2017
Renouvellement
Aller jusqu'à la petite ville où il reste un photographe se faire portraiturer quatre photos d'identité, dix euros à peu près, ressortir blafard bagnard de l'âge et de la fatigue, c'est très bien, dit le photographe, pour le passeport c'est parfait, ne pas sourire pas de lunettes regarder fixe voilà c'est fait, je me fais l'effet d'un cadavre, tu sais parfois je crois -c'est stupide et qu'importe- être aussi mort que toi, cette disgrâce que le sentir et le savoir, je suis un drôle de mort qui bouge encore, et puis non, je me reprends, je me ramasse je compte les dents qu'il me reste, j'entends moins bien mais j'y vois clair encore, encore un dernier passeport pour aller où? -On verra bien, je paye quatre-vingt-six euros de timbre fiscal, ce n'est plus un timbre mais un ticket de caisse avec un code 2D à scanner me dit le buraliste, vous pouviez l'acheter en ligne, plus besoin de se déplacer, c'est le progrès rit-il. Quatre-vingt-six euros pour un passeport sur lequel je tire la mine, pour voyager. Voyager ça me dit encore, tu vois je ne suis pas si mort que je le crois parfois, la Toscane pour avril me fait rêver en janvier comme une vieille dame anglaise percluse d'arthrose. Les Pyrénées en février: trop âgé pour skier qu'importe, voir la neige toucher le silence, partir, se saisir des bons jours possibles que les amis savent créer, m'inspirer de toi qui sus t'emparer du moindre moment propice de tes jours comptés pour en tirer bonheur de glisse, lumière italienne goût de vivre indompté.
mercredi 1 février 2017
Voilà voilà
Rien ne tombe du ciel mais l'averse. Il fait maigrement jour: sans toi, la lumière est plus chiche, c'est ce que je pense sous la pluie grise, il faisait plus clair du temps que tu vivais, peut-être aussi savais-je mieux m'en saisir, peut-être ça que je peine à dire, ta mort m'a fait tellement vieillir que je ne sais plus bien voir, que je ne suis pas bien sûr du printemps qui poindra, je ne guette pas les perce-neige, et maman ne s'inquiètera plus des violettes au bas de sa fenêtre, voilà, voilà. La bonne heure est passée, ne l'ai pas vue passer, tu es morte, voilà, puis maman, j'en reste tout crétin sur la terre désolée, voilà, voilà. Que faire du jour qu'il reste, la peine à remâcher en vaut-elle la peine et la lumière étouffée que peine-t-elle à éclairer? J'ai racheté un lave-vaisselle le mien fuyait, tout fuit décidément, le vendeur très gentil, très professionnel, m'engageait, si mon budget le permettait, à monter en gamme, un tiroir à couverts, un cycle silencieux, un bras de lavage articulé pour la saleté incrustée des plats. Faites-vous plaisir il l'a dit quatre fois, j'ai regardé la pluie tomber par la vitrine, le plaisir c'est donc ça? C'est donc ça le plaisir des vieux quand tout le monde est mort autour d'eux, un lave-vaisselle de luxe qu'on n'entend pas marcher, voilà, voilà, qu'elle est terne la vie sans toi, bien assez de silence pour ne pas l'augmenter, c'est un monde où tout tombe en panne que le monde des vieux, mon monde arrêté.
samedi 21 janvier 2017
Quant au bleu du ciel
Il ne dit rien le bleu du ciel, ni ton absence ni ma grelottante survie. S'y fige mon haleine blanche, s'y blesse ma peau rougie, je glisse sur la pente, celle de ma rue, vers la boulangerie. Si j'étais un peu courageux, j'irais tancer le marbrier, il doit faire trop froid pour graver le nom de maman, il faudrait aller vérifier, grimper la pente, celle du cimetière Saint-Léonard, retrouver le caveau des grands-parents que maman cherchait toujours trop haut, à peine s'il est à mi- pente, ce caveau où elle est enterrée. Que dirait-il le bleu du ciel de vos absences, de ma peine, ne dirait rien le bleu du ciel du grand pont blanc, du Havre sous le vent glacial, des larmes que le froid fait couler, des lèvres gercées qui se taisent, des baisers perdus, oubliés. Il ne promet rien non plus, et c'est pourquoi on lui pardonne au bleu du ciel d'être si coupant, si ardu qu'on en chancelle et qu'on s'en tient inconsolable au paysage indifférent, à l'inhumain soleil d'hiver.
dimanche 15 janvier 2017
En vain le vent
J'avais préparé des bougies pour le cas où. La lumière c'est fragile, l'électricité ne tient qu'à un fil par les campagnes éventées, sans ce fil, point d'étincelle pour la chaudière, pas de téléphone, pas de rougeur sur les plaques de la cuisinière, j'étais prêt pour une vanité moderne, une leçon domestique de ténèbres. Or non, deux minutes de nuit, pas le temps de battre le briquet, je n'ai pas eu à moucher les chandelles que je n'ai pas utilisées, ton ombre n'a pas dansé sur les murs, j'ai oublié ma méditation d'homme aliéné dans l'hiver, Jérusalem ne s'est pas tournée vers son dieu et Laurent n'a pas entendu son cerisier tomber dans la tempête (il a pourtant bien chu). J'ai pensé à Vannes, au vent sur le golfe, à toi les cheveux dans le vent, j'ai pensé à maman qu'inquiétaient les intempéries, et j'ai souri quand sa sœur a appelé de Suisse inquiète de mon toit qui ne m'inquiète pas, c'était si gentil mais je ne crains rien car je n'ai plus personne à perdre, vous ayant perdues.
Inscription à :
Articles (Atom)