Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

samedi 29 avril 2017

Sucres acides et poisons

L'air gelé du matin passe par la fenêtre entr'ouverte, c'est une année où les fruits sont morts en fleurs, et c'est l'heure où je pense à toi, aux fruits du jardin de Honfleur, des framboises, du cassis, des groseilles, nous étions si petits, nous étions appétits nous picorions les fruits, impatients comme de jeunes merles, nous les mangions trop verts, maman nous voyant depuis la fenêtre de la chambre de sa mère, nous criait d'arrêter, nous aurions la colique et de fait nous l'avions et ce n'était pas grave, elle nous donnait du charbon qui noircissait la langue et les selles, et c'était très amusant de crotter noir les fruits rouges mangés trop verts. Nous y avons découvert que les cerises n'étaient pas toujours rouges, qu'il y avait de fausses reines-claudes, des pommes fragiles comme des chairs d'enfants, et il était tout naturel que bonne-maman préfère les Louise Bonnes, parce que bonnes, c'était un jardin de tautologie, de sucre et d'acide, car nous mordions aussi, nous étions si petits, nous étions appétits, les feuilles des plants d'oseille qui bordaient la rhubarbe dont nous n'aimions ni la tige dont on faisait des confitures filandreuses, ni les feuilles empoisonnées, on nous avait avertis, tu t'en souviendrais, des dangers du jardin. Les boules blanches qui surgissaient en mai sur les branches de tel arbuste, les feuilles de rhubarbe et le mouron des talus, on pouvait mourir du mouron, c'était simple, le mouron nous l'arrachions, puis retournions mordre les fruits dans le jardin de la tautologie.

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