Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

vendredi 24 juin 2016

Trappeur

Il y avait Marly, il y avait Saint-Germain, c'étaient les domaniales, les grandes forêts où nous menait le père aux joies dégoûtantes, évitant les clairières et les larges allées où jouaient les autres enfants pour préférer les broussailles où dénichant la grive ou le merle, il nous montrait comment percer l’œuf bleu turquoise, souffler dedans pour en extraire la glaire d'albumine et l’embryon sanglant. S'en souvenir, c'est rester incrédule, mais notre écœurement je le revois, et la collection d’œufs soigneusement classés dont tu avais la garde, je m'en souviens, des cases de plastique, du coton de couleur, les mouchetis étranges sur le calcaire translucide des coquilles vidées. De même, au Croisic, en été, des papillons épinglés, les plus beaux, les plus rares à nos yeux, le paon du jour, le machaon, la grande tortue et le vulcain. A Marly, à Saint-Germain, il fut bien à sa manière un petit ogre flairant champignons et lapins, comme au fond des jardins de famille il piégeait les petites filles. Marly ou Saint-Germain, même forêt au fond, mais le père divisait au gré des saisons, des cueillettes, de ses pulsions, c'était Marly ou Saint-Germain, c'était son territoire qu'il arpentait en forestier, nous stoppant d'un regard lorsqu'un chevreuil apparaissait, humant le terrier d'un renard. Passages de bêtes herbes couchées, collets, bauges de sangliers, poils laissés dans les ronces, empruntes dans la glaise auprès des mares vertes, il inventoriait en trappeur haletant les traces, il poursuivait sa guerre dans un monde de signes dont il tirait jouissance.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire