Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

dimanche 28 janvier 2024

Jardin d'enfants

 Dans ce jardin-là, ce qui s'est passé, ce qui se passa, un poirier foudroyé, des enfants roulant par la pente de la pelouse, le sable du bac s'écoulant vers septembre quand la pluie revenait, des merles tués par balles et j'ai gardé la carabine. Des aoûtats l'été, ça ne sert à rien de se gratter, la mère n'est pas là, elle parle avec sa mère dans la chambre de celle-ci, assise dans une bergère tendue de toile de Jouy, c'est joli non? c'est doux la bourgeoisie. La mère redevenue fille oublie, s'enivre de potins avec sa mère chérie, plus d'enfants -ils jouent au jardin- plus de mari, plus de place pour rien mais la joie d'abolir le temps et le chagrin, le temps qui s'éternise dans le jardin où les enfants jouent, où les enfants s'ennuient -il ne se passe rien le temps très lentement, le bruit des voitures à cheval des derniers paysans, samedi matin tôt, ils vont vendre au marché, le bruit franchit le mur, c'est un événement, on s'ennuie ferme, il ne faut pas déranger maman.

Dans ce jardin-là, ce qui s'est passé, ce qui se passa, un poirier foudroyé jadis, des tourterelles abattues d'une balle par le père, une odeur de plumes brûlées qui sort de la cuisine, le père range la carabine, le mère de la mère est contente, les roucoulements la réveillaient. Le tas de sable a fondu qui révèle des veines de terreau noir, impropre aux jeux d'enfants, les châteaux, les pâtés, on  pourra se gratter, il ne reste qu'à s'ennuyer, se courir après se cacher dans les buissons, dans les greniers, entre les rangs de groseillers, dans l'ombre où les pommes sommeillent sur des claies, dans la serre abandonnée où fleurissent les ruines de Rome et pourrissent des clapiers vides, c'est un deux trois soleil! cache-cache, cache-tampon, chasse au trésor, beaucoup de noms pour peu de jeux, des enfants qui restent dehors.

Ce jardin-là, ce qui s'y passa, ce qui s'y est passé ne passe pas, le poirier foudroyé n'était plus qu'une souche recouverte de lierre, on ne comprenait pas qu'il manque, on s'ennuyait autour, on aurait bien voulu sortir, où était le danger? la maison on la retrouverait, l'araucaria dominait le quartier, mais le portail restait fermé alors on jouait résignés. Le père parfois s'en mêlait, le père se mêlait aux jeux, dénichait les petites filles cachées comme des oisillons au nid, le père ne jouait qu'à son jeu, le père ne s'ennuyait pas qui jouissait, fille et nièces le subirent dans ce jardin-là, quand leurs mères parlaient à leur mère dans un décor de bergerie.

mercredi 17 janvier 2024

Verglas

 Des branches de verre sous le lampadaire qui pleurent, flaques par terre, parfois il pleut des pierres. La mare est prise où se réverbèrent silence fendillé et craquèlement des tiges ployées sous la la glace, fine carapace où glisse un merle aventureux. C'est un matin gris où luit la stalactite, où plient les bambous givrés qu'il aurait fallu couper l'été dernier, s'y perche la mésange charbonnière qui attend son tour pour picorer la boule de graisse de la mangeoire. Ce que je vois de ma fenêtre ne se laisse pas épuiser, c'est un monde incertain, dans l'entre deux: ce qui coule se pétrifie, ce qui fond se fige, la glace goutte, les flaques vitrifiées défient le marcheur téméraire. Il faudrait rentrer du bois, il est urgent d'attendre, on verra bien quel état choisit le monde, liquide ou solide, coulant, stupéfié, glacial ou radouci.

mercredi 10 janvier 2024

Paysage sous la neige

 La neige est tombée, pas des tonnes, non, mais assez pour faire revenir l'enfance, les bruits si nets, la qualité du silence, le froid, cette rareté qui nous stupéfie. La neige est tombée comme une surprise, au matin, et ce fut un cliché noir et blanc, Kertész, Kundelka, un photographe en K, un qui sait nous donner froid. Ce soir tout est un peu fondu -en Normandie la neige ne dure pas- un peu sali, du blanc rouillé, de la bouillasse, des brins d'herbe et les perce neige relevant leurs boutons qui veulent mériter leur nom, et c'est Arpad Szenes qui hante mon jardin, un lavis d'espaces ras, j'aurais préféré Maria Helena Vieira da Silva, je me serais perdu dans les bois, elle aurait peint un souriant labyrinthe, et, sans avoir l'air d'y toucher, d'une touche chantante, elle aurait apporté la lumière qui manque à la neige ce soir.


jeudi 28 décembre 2023

Jardin d'hiver

 Brouillée, la lumière du jour, mouillée, l'odeur du jardin, l'infusion des feuilles mortes dans la mare -il aurait fallu les ramasser, couper les bambous qui ont repoussé, mais non, cela reste à faire, quelle importance? Brouillées les lignes du jardin, qui ne sera pas bien propre et que m'importe? J'ai enfin coupé les vieilles tiges des glaïeuls, Tanguy a planté le poirier offert à Noël -un william bon chrétien- on verra bien. On l'aime comme il vient le jardin, le jardin c'est du temps qui passe, de la terre remuée, des taupinières de glaise molle, la haie de thuyas qu'il faudrait arracher -il est urgent d'attendre. Le jardin je n'y comprends rien -ça qui m'enchante- mais il me connaît bien, il dit les choses m'apaisent, me promet des fruits -ça n'engage à rien- des fleurs pour demain -un jardin c'est toujours demain.

mercredi 27 décembre 2023

Funérailles en boucle

 Est venu l'hiver tiède, l'interminable nuit pluvieuse qui poisse et embourbe. Les chemins ne sont plus qu'ornières où pleurer la mort de Ristat, le printemps perdu sans retour, les chemins sont creux qui recueillent nos larmes, on sourit au souvenir du capitaine des pompiers qui pleurait dans son casque, on se prend à rêver au reflet chromé du casque, comme une lumière incongrue, regarde Marceline, même les pompiers pleurent et le débord de leurs larmes fait trébucher le prince qui en meurt à son tour, ça ne nous console pas de la mort de Ristat.

vendredi 22 décembre 2023

Allumer un feu

Le feu je m'en étais passé après un hiver à brûler des stères, tant de bûches consumées dans l'âtre de l'ancien presbytère, cet hiver froid de mes trente ans, ce qu'il fallait brûler de bois pour dix-sept degrés, j'ai eu froid près de la cheminée, j'en ai charrié des paniers de bois, je revenais trempé de la remise, ça m'avait vacciné, le charme des flambées, la tiédeur douillette des chaumières, pas pour moi, pendant trente ans j'ai préféré les radiateurs, la chaudière, supporté l'odeur du fioul livré tous les six mois. Mais voilà qu'un poêle à bois ronfle dans la salle, qu'il fait bon voir danser les flammes derrière la vitre un peu noircie, que la braise lézarde les rondins, jusqu'à la mélancolie des cendres qu'on verse dans le jardin, vites refroidies, sitôt dispersées par le vent et la pluie, ça fait comme un raccourci, une vie brève, une vanité dans le jour qui tombe et dieu sait qu'il tombe ces temps-ci.

mercredi 29 novembre 2023

Si la neige

 Il y aura peut-être -ainsi va, pêle-mêle, la théorie des nuages- sur la plaine assombrie, les terres gorgées où pourrissent les semis d'hiver peut-être il y aura -quand auront couru loin le coq faisan et ses deux poules au plumage de feuilles mortes- des nuages tellement plus bas qu'ils raseront l'herbe d'une rosée glaciale et là, une vallée, une colline, un pont sur l'autoroute pour bloquer l'haleine blanche qui versera ses cristaux crissant. Et si l'enfance à jamais perdue s'exaltait à s'en brûler les mains, roulant bonhomme à chapeau cassé, nez de carotte, nous nous contenterons de voir les flocons choir, lourds ou farineux, fondants ou glacés, sur le sol détrempé, disparaitre puis tenir jusqu'à l'horizon désiré, ce silence dont la qualité même inquiète. Le jardin stupide aux formes estompées sera neuf à notre œil et des oiseaux perdus s'accrocheront aux mangeoires, éclats bleus de mésanges, traits vert pinson, angles droits des troglodytes, jusqu'à l'orangé chaud du plastron du rouge-gorge dont on voudrait tant qu'il échappe aux chats. C'est la chance de la neige, les chats ne sortent pas, les nôtres du moins, et les autres on les voit de loin sur fond blanc, ils peuvent jouer les indifférents, les oiseaux perchés ne s'y trompent pas.

samedi 25 novembre 2023

Un figuier

 Et ce fut la première gelée, on ne l'espérait plus, les feuilles lui en sont tombées au figuier qui fatiguait, restent ses figues couillonnes au bout des branches squelettiques, un figuier, quoi qu'on en ait, c'est toujours un peu fantastique, d'où qu'on le considère, torves racines, rebonds, tiges que rien ne contrarie, un acharnement à vivre offrant au ciel sa frondaison tardive, au sol ses sondes capricieuses, on l'aime pour cet appétit-là, dès lors c'est stupéfiant de le voir nu -un figuier nu c'est comme un vieillard pathétique, mais nous n'en serons pas la dupe, il se remettra bien du gel et ses figues pendouillantes des oiseaux savent les ouvrir et s'enivrer de la pulpe violette qui semble-t-il, a fermenté.

lundi 20 novembre 2023

Assassins sous la pluie

La pluie ne calme rien de nos passions mauvaises, nous avons la haine boueuse et l'anathème au bout du pébroque. Etonnant, à la fin, ce que nous remâchons de peurs rancies, de rancunes qui puent la moisissure. Vieux débris nous-mêmes d'une espèce navrante, il faut pourchasser plus haïssable sous l'averse et nous trouvons toujours un monstre dans la tourbe de nos rêves pour se persuader qu'il n'est d'autre issue qu'étriper son semblable sous de piteux oripeaux que la drache a trempés. La haine n'a ni rime ni raison, elle tue les enfants comme si rien ne comptait, elle nous veut inhumains, injustes, assassins sous le crachin qui ne lave rien des fautes mais alourdit la terre du sang de nos crimes, assassins transis, indifférents.

dimanche 12 novembre 2023

Vœux de novembre

 Quand seront tombées les dernières feuilles, que la lumière nous manquera encore davantage, nous brûlerons les branches des arbres abattus par la tempête, si elles ont séché. Le poêle ronflera, les chats se tiendront près et nous loin des rages du monde qui nous rattraperont bien assez tôt -car elles nous rattraperont, et ce qu'il adviendra du jardin, je ne sais. Tanguy a planté des arbres, choisis au Neubourg à la foire, les verrons-nous, les pêches de vigne et les cerises reverchon, les comices et les elstar, le gel deviendra-t-il rare au point que nous mangerons nos bergerons et les figues noires? Il faut parier sur les fruits, accueillir les abeilles et prier un dieu mort de ne pas injurier ce qui respire encore.