La ville au bord de l’eau

La ville au bord de l’eau
La ville au bord de l’eau huile sur toile, 1947 Donation Pierre et Kathleen Granville, 1969 © Musée des Beaux-Arts de Dijon/François Jay © ADAGP, Paris

mercredi 22 janvier 2025

Au bas du ciel

 Il faudrait s'emparer nous dit-on du ciel tant qu'il est bas, s'entendre dire qu'il s'est mis à notre portée, il faudrait y croire un peu, pas d'étoile à décrocher, non, juste raccommoder les plaies d'où fuient les nappes de brouillard et les rideaux d'averses. Le temps n'est pas à l'espoir, le temps il en reste peu, il pleut des langues de feu, il flambe une pluie barbare, les arbres sont en crue les rivières en flammes, l'azur, cette pauvre blague! -elle est morte l'idée, le ciel est trop bas, l'idiotie triomphale: nous a giflé l'aile imbécile, en sommes morts béats béants crétins dociles, le ciel trop bas décidément.

jeudi 16 janvier 2025

Etat des lieux

Nous sommes partis au sud avant qu'à son tour il ne brûle et qu'on y pleure les villas calcinées des riches, on y a vu la belle lumière, les élégants musées, les oliviers qu'on croirait millénaires, Menton, ses citronniers, pas de doute, ça va brûler. Au retour, retrouver la mare prise par le gel, les herbes vitrifiées, le brouillard qui ne se lève guère, heures sans fin de l'hiver, désespérer du jardin. Brûler les bûches dans le poêle, particules fines, je sais bien, je me blottis comme un vieux chat, le jardin  je n'y vais plus guère et c'est à tort: pointent les perce neige, les boutons d'hellébores. L'eau de la mare baigne le pied du laurier. Il faudrait que ça baisse un peu, il faudrait un peu de soleil, quelques signes de vie, un écureuil dans le cerisier. Il faudrait que la vie soit tempérée, qu'on ne se noie ni ne se brûle, nous n'en prenons pas le chemin, je ne sors plus dans le jardin.

vendredi 27 décembre 2024

Calfeutré

 Le ciel nous a rejoint qui rase les haies, les terres à nu, l'eau débordant la mare. M'est tombé sur le dos, le ciel, bas et lourd, je le confirme, un brouillard d'il y a cinquante ans, ces jours-ci il ne fait pas jour, le ciel tombe et voilà, la nuit persiste, des nuances léonines, il fait si gris qu'on se serait pas surpris de trouver la mère de Whistler assise dans la cuisine, elle n'y est pas, dieu merci. Le ciel sur le dos, on lit, on a pris au hasard une nouvelle de Jünger, on l'aimait bien le raide prussien jadis, on en est moins dupe aujourd'hui. Chez lui on médite, on  est servi par des domestiques, on considère la catastrophe à venir, on en reste interdit, on rêve d'une élite qui peut-être, éviterait le pire, elle n'a rien évité du tout l'élite, et le pire reste à venir. La nuit est tout à fait tombée, il faut fermer le livre, faire chauffer l'eau du thé, reprendre la lecture: d'un coup de couteau Gaspard le lorrain vide une morue noire et rince le poisson dans l'eau grise de la mer, sans rien dire, et somme toute cela vaut de le lire.      

mercredi 18 décembre 2024

Enfermé dehors

Il ne tue pas l'aimée celui qui se retourne: le ci-devant s'inverse qui dans sa volte-face embrasse un simulacre puisque sitôt retourné, le voici revenu sur sa promesse. Les souvenirs s'évanouissent et s'impose le malheur de n'être plus qu'à rebours de son désir, mort à soi-même mais interdit d'enfer, enfermé dehors, sur la lèvre de la blessure forclose. Pas une plainte, pas un soupir de la promise ravalée, tandis que repoussé sur terre il subit les oiseaux qui s'enivrent d'argouses. C'est un éden désolé, où sa lyre grelotte d'écailles disjointes de la carapace. Douleur à faire pleurer les pierres et tomber les dents des tigres, douleur qui suspend le vol des émouchets, peine qui s'insinue comme lançon dans le sable et scintille d'un éclat d'acier  par la dentelle du rivage. 

Qui s'est retourné vers n'a pas tué l'aimée. L'avenir se cogne à sa nuque pendant que sa voix d'eau de roche invente l'élégie, quand déjà le thyrse des mégères déchire la herse des taillis, se heurte aux branches des lauriers.

jeudi 21 novembre 2024

Jardin sous la neige

 Ce qui tombe neutralise, la lumière en perd son souffle, ce qui tombe une neige grise et les dernières feuilles, stupéfiées, ploient sous le poids, croulent, se brisent. Elle en restera au bouton la dernière rose de la saison, et les grelots du fuchsia blanc perlent comme un chant de cygne. Dire adieu au persil, à l'estragon, la ciboulette -un adieu relatif: ils reviendront au printemps. Thym et romarin résistent, la neige tombe comme à Gravelotte, giboule, efface les contours des arbres, gomme, arrondit, estompe toute forme, bâillonnerait les bruits s'il en était encore par le hameau comme saisi. Ronfle la cheminée qui réclame une bûche, on la lui fournit. Nous prend une envie de laine, de thé noir aux épices, c'est un matin à écouter de la viole, La Rêveuse de Marin Marais, la neige tient dessus la route, pourra-t-on quitter le jardin, on doute, les chats font le dos rond, on écoute dans le silence des tourbillons, c'est la mélancolie même, on se souvient qu'est morte Sophie Watillon, la mélancolie même, on lui offre la dernière fleur du fuchsia blanc.

dimanche 17 novembre 2024

Dernières trompettes

 La nuit ne cesse de tomber qui semble fuir la maison la saison, mes yeux usés. J'ai épluché des trompettes de la mort, des bêtes ont échappé à ma vue basse, j'ai croqué un cloporte réfugié dans la corolle où il a cuit recroquevillé. Dernières trompettes avant l'apocalypse, non, avant la goutte froide qui, peut-être, nous vaudra de la neige -on ne sait qu'en penser, désir d'enfant, crainte de vieillard raidi par l'arthrose, on balance. Les arthropodes et les limaces n'avaient pas hésité, tous aux abris dans les trompes noires où l'hiver ne viendrait pas les chercher, l'hiver non certes, mais mon couteau vengeur, novembre est un mois sans pitié.

jeudi 14 novembre 2024

Lire les signes

 On ne veut pas savoir, la passion d'obscurcir nous possède, la pulsion nous déborde, nous abattons des oies en vol pour briser les auspices, et les cygnes qui n'iraient pas dans notre sens, nous les sortons du temple. Mais têtu persiste le réel qui déçoit notre désir et détisse le voile tendu pour le masquer. Nu, le voici qui  s'impose et nous assigne à notre contingence. Ce qu'il donne à voir à nos yeux décillés de la petite mort, ce sont des singes arrogants aux mains ensanglantées. Ils ont lapidé leurs rivaux qui contestaient leurs rêves d'empire et serrent la pierre qui fracassera celui qui par malheur rira du hochet qu'ils prennent pour un sceptre, bêtes alphas, analphabètes.

dimanche 10 novembre 2024

Marcher juste

Des champignons d'automne, nous en avons tant cueilli, trompettes, chanterelles, pieds de mouton, coulemelles, giroles, cèpes, sur la mousse, sous les feuilles, une vie de cueilleurs, on hume, on cherche la lumière, les bons arbres, les fossés propices, les étendues de fougères, on ajuste son pas, le champ du regard, on prend son temps: qui marche au cèpe de chêne en chêne ne distinguera pas les trompettes, qui court la lépiote ne voit pas le bout de ses pieds, piétine des touffes de chanterelles sous les châtaigniers et les hêtres, ignore la morille blanche près des pins. Des rythmes, des choix, ne discutons pas: chacun suit sa pente, chacun trouve sa joie, sauf qui vain s'impatiente et ne comprend pas le bonheur des bois, celui là on le plaint qui court sur le chemin pour rien.

vendredi 8 novembre 2024

Morts-vivants

 On jurerait que non, c'est un novembre ordinaire, feuilles tombantes, brouillard tenace, pas de gel pour autant et des chanterelles plein les bois, quelle menace? le mois des morts est si vivant, les araignées rentrent dans la maison, la chatte les gobe d'un coup de dents, qui pourrait croire à ce qui se passe pourtant, la disparition des hérissons, plus de crevettes dans la nasse, de crevettes grises j'entends, celles du jadis à Honfleur, le poissonnier propose des gambas d'élevage, des bios mais non merci, c'est de mon enfance qu'il s'agit, d'une saveur disparue, le cri perdu des femmes qui les vendaient par les rues, des baleines remontent l'estuaire et s'y tuent, des phoques s'échouent à Pont-Audemer, mais de crevettes il n'y en a plus, la mer plus chaude et les tempêtes, et les pollutions de la Seine, les causes sont légion, la cause est connue, connaitre n'a plus d'importance, toute l'énergie brûle à des fins d'illusions, nous sommes rentrés dans la caverne, nous allumons des simulacres et leurs fumées nous étoufferont.

dimanche 3 novembre 2024

Veste orange

 Au fond du vallon la veste orange d'un chasseur posté au bord d'un champ de maïs oublié par la moissonneuse. Ce qu'il attend, pas de mystère, il rêve de lièvre et de faisan, reviendra la gibecière lestée d'un pigeon. Hier ce fut un festival de détonations dans le brouillard presque tangible -d'où l'intérêt des vestes orange- et l'on se félicita que nos chats, trouillards à bon droit, ne s'éloignent guère de la maison, chassent au jardin ou chez les voisins et préfèrent, l'automne venant, la chaleur du poêle et l'assurance de la pâtée au lapin fuyant par les champs. Ca les reprendra au printemps, quand le jour revenant disparaitront pour la saison souriante les éclats sinistres des vestes orange perçant la brume de leurs coups de feu et les pelages de taches de sang.