Le lendemain de la mort de Chéreau, qui nous avait tant dit du monde et du désir,
tu as pris la voiture et tu es retournée voir la maison blanche où le père
n'était pas. C'était octobre après l'été d'Elektra, jamais je n'avais pleuré
comme cela, de ce que Chéreau savait du frère et de la sœur, du sang des
familles. Tu es partie ce lundi-là d'octobre, jour de lumière sur la presqu'ile,
tu es passée devant la maison blanche et vide, tu as fait le tour de la Pointe,
tu as reconnu sans reconnaître les lieux qui nous ont faits, qui nous ont
défaits, et tu as pris la rue des coquillages, jusqu'à la petite plage d'où
jadis nous partions sur le Traict en planche à voile surprendre les oiseaux près
des marais salants et nous émerveiller de la rouille des salicornes, de
l'améthyste des statices et du bleu des chardons de sable. Tu m'as dit plus tard,
que ce lieu était celui où tout retrouver, lorsque je voudrai, à mon tour, me
retourner. Tu étais déjà malade, et toi aussi, tu allais mourir, et lorsque tu
as appris la mort de Chéreau, du cancer lui aussi, tu es partie et tu es passée
à Port-Lin, et tu as longé la villa de granit où le grand-père tâcha d'avoir une
pelouse qui grillait à chaque tempête, tu as longé la plage, dépassé le Club
Mickey où nous avons fait de la gymnastique, la plage où Chéreau –le savais-tu
?– a tourné Son frère que je n'avais pas voulu voir. Tu as dû repenser à La
solitude des champs de coton, dans cet hiver glacial à la manufacture des
œillets d'Ivry, il jouait brutalement et dansait comme un ours sur un morceau de
Massive Attack, nous étions ressortis altérés, jamais nous n'avions vu plus fort
que ce théâtre-là, cette vérité des corps. Le lendemain de la mort de Chéreau,
tu as fait le tour du passé, pour vérifier que tu vivais encore.
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