La ville au bord de l’eau

La ville au bord de l’eau
La ville au bord de l’eau huile sur toile, 1947 Donation Pierre et Kathleen Granville, 1969 © Musée des Beaux-Arts de Dijon/François Jay © ADAGP, Paris

mardi 23 février 2016

Un autre temps

J'aurais aimé te raconter cela, ce retour d'enfance impromptu dimanche. Celui qui me parle je ne le connais pas, mais très vite il évoque les Yvelines, Villepreux, Chavenay où il habitait, comme c'est étrange ce que les lieux reviennent. Dans une haie, à Chavenay, coulait une source claire où nous rêvions de boire, mais le père nous le refusait, à raison sans doute. Il me rappelle que le collège s'appelait Léon Blum, qu'un garçon avec qui je suis allé en classe à l'école Jean Rostand habitait chemin de Rambouillet, ils étaient scouts ensemble, et le nom revient, Philippe Gautier. En vieux professeur de français, je me demande si Gautier souffrait un "h" ou non, je ne sais plus, mais je revois son visage tout en longueur, et plus tard je me demande si je n'ai pas confondu avec Frédéric Leclerc, c'est bien possible, les retours sont si incertains. Resurgissent les noms des voisins, des copains, Yann Delpech, Ronan Kérodren, et le chemin de Rambouillet pris chaque jour pour aller au collège, lentement, car Laurent interdit de vélo par sa mère déposait son cartable sur mon porte-bagage. Lui évoque d'autres lieux, la piscine où l'on m'a poussé à l'eau pour m'apprendre à nager, le lotissement du Prieuré, le théâtre du Val de Gally, et à ce nom tu m'apparais concentrée un jeudi après midi à fabriquer des émaux à l'atelier de travaux manuels qu'animaient des réfugiés chiliens -c'était un autre temps, les réfugiés on les accueillait dans les municipalités socialistes, socialistes ça voulait dire de gauche, et Villepreux était de gauche, même le curé disait la messe en pull-over rouge devant grand-père indigné. C'était un autre temps où les familles de droite comme la nôtre envoyaient sans crainte leurs petites filles fabriquer des émaux avec des réfugiés chiliens. Au théâtre du Val de Gally, j'ai vu Le malade imaginaire joué par une troupe africaine, et cela m'a beaucoup surpris, j'avais dix ans, et je n'ai pas ri. Dans la même salle plus tard, au ciné club, nous avons vu plein de films pas de notre âge -c'était un autre temps où une mère catholique qui faisait le catéchisme aux enfants ne voyait nul inconvénient à ce que les siens voient des films ardents, Bergman à quatorze ou quinze ans, Sonate d'automne et toi pleurant à mon grand étonnement.

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