Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

samedi 6 juillet 2013

Casablanquer 5

Ça grouille de nouveau, la ville apprivoisée se réveille et me mord la langue, me réveille et me jette au Palm Beach, gueule de bouge où dansent des sauterelles le ventre contracté, une main sur l'abdomen, un doigt dans la bouche. Des putes dont la ceinture est ornée de dirhams glissent aux musiciens des billets verts et rouges : qu'ils les enivrent de stridences, que la transe les prenne, elles vont battre du pied, balancer leurs cheveux teints en blond vénitien. Les clients s'accrochent à leurs bières, tu peux boire pour pas cher ici, ici tu tombes sous la table, ici il y a toujours des hommes qui attendent pour pisser. Elles crient, les putes, et les hommes rient gras. Si ça cogne, le videur au tricot violet décrochera les ongles des Érinyes hystériques, videra les blédards en se foutant de leur vessie pleine, de leurs couilles échauffées, ménagera l'honneur des notables, dignes jusqu'au coma éthylique. Qu'importe ! Ce soir les shirates dansent, ce soir elles chantent, et il me semble que je comprends leur langue. Casablanquez, shirates de satin, ce soir ils boiront tous à vos rivières, ils rêveront d'oasis, de luxure et de soie, casablanquez, je veux voir votre jambe où le demi bas plisse puisque vous martelez, lourdeurs fécondes, le plancher de cèdre. Casablanquez, putains sacrées qui rythment mes nuits blanches, guettez le prince arabe que vous attendez toutes, ce soir pas de taxi aux pneus lisses, ce soir ce sera limousine, chauffeur et palais de stuc. Je veux sentir les poils épilés de vos lèvres et l'odeur du linge que vous nouez autour du sexe et qui ne glisse que lorsque vous trépignez, les cheveux décolorés comme l'algue par l'iode, baignés par les courants de vos coutumes et c'est beauté que cette blondeur absurde, mobilité folle du col, caftan froissé, sueur aux plis qu'il doit cacher. Casablanquez chéries ignobles, il ne faut pas le reconnaître, le client dont la bague vous a cassé les dents, brillez de vos prothèses, oubliez la bière flag et la winston light que je n'ai pas offertes, buvez la sueur à saveur de teinture, oubliez la malédiction du père et les pleurs de la mère et la sœur qui est déjà morte, souriez au saoudien saoul comme un polonais, il vous ouvrira ses palais, sûr ! –pourvu qu'il prenne le vôtre. Casablanquez, mettez-y le prix, payez le joueur de luth à la mesure de son mépris, faites vous rembourser par le plus ivre des clients, qu'il vous paye au moins à boire. Souriez et retournez danser : insultez les hommes, vous en avez le droit, chantez les abandonnées les répudiées les mal mariées. Nommez les impuissants. Aucun ne se reconnaîtra.

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