Le ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.
La ville au bord de l’eau
dimanche 14 avril 2013
Gravir les collines
Digues rompues, par la ville noire on voit des corps flotter, des courants indécis qui tourbillonnent, et nos regards à leur tour s’affolent. La mer a-t-elle tout emporté de la plage et du port, des bateaux et des galets, jusqu'aux immeubles de son front ? Rats glabres chassés des conduits modernes, nous remontons essoufflés les collines, gras d'huile de palme hydrogénée. Notre cœur n'y tiendra pas, qui bat contemplant le mascaret remonter l'estuaire, déborder les méandres, noyer la centrale, engloutir les troupeaux. S'effondre le clocher de Notre-dame-de-Bon-Port, s’affalent par pans les vieilles falaises ravinées qui se déchirent à travers bois de valleuses insoupçonnées. Les haubans des ponts sont tombés les premiers : les rives désormais s'ignorent.
Quand l'eau se retirera, si elle se retire, nous descendrons des points de vue et chercherons dans les gravats les corps des êtres aimés, que d'autres rats auront dévorés.
dimanche 10 février 2013
Onzième nocturne à l'ange
Nous sommes silencieux
nous les isolés de l’obscur
à guetter les signes
voir trembler les étoiles
dans l’eau glauque des mares
et l’âme absinthe de la lune
Anxieux nous sommes au rendez-vous de l’ange
qui tarde, cavalier de nos songes verts
et nous dormons lorsqu’il survient
incendiant les buissons sans la moindre lumière
et nous nous réveillons sous une aube de cendres.
samedi 2 février 2013
L'impondérable
De ce poids-là que je comprends, les pierres de vos poches. Le tissu tendu pour tendre vers le bas, que ce qui pèse l'emporte sur le pauvre instinct d'émerger. Vos cheveux dans l'eau, le chignon défait enfin le chignon défait qui vous délivre et et le courant dans vos cheveux pour dessiner d'autres figures, soit.
L'âge venant, le poids des choses et la fatigue je les comprends et marcher dans la vase je sais quel effort le corps consent pour en être quitte. Devenir enfin l'indifférence de la rivière, peser plus qu'il ne faut pour toucher le fond, se fondre, chignon défait, dans des remous qui ne signifient rien.
samedi 26 janvier 2013
La vue basse
Qui ne le sent pas monter, à lui seul il est trois petits singes et l'étoupé. Qui n'entend pas sa mère étouffer sous son masque, qui ne se lève pas pour apaiser l'angoisse et desserrer l'étau ne mérite pas le sommeil. Qui ne voit pas son ombre progresser sous ses pas ne peut marcher sous le soleil. Qui ne la sent pas s'étirer au fil des heures pour se fondre dans la nuit, s'ignore et nous insulte.
jeudi 24 janvier 2013
John est mort
Mick m'écrit que John est mort, je le crois, je m'y attendais. John sidéen depuis vingt ans, a trompé la mort trente fois au moins mais le voilà mort, qui n'est pas mort du SIDA... Crises cardiaques répétées, son cœur à bout, angioplastie, ses artères ravagées par les trithérapies. Vingt ans de molécules incertaines, raisons de sa survie, ont causé sa mort.
Mick m'écrit que tout fut digne. J'espère que la mort fut douce. Je ne sais ce que ça signifie, je comprends même que ça ne veut rien dire, espérer quand tout est accompli. La douceur de la mort, fantasme de vivant. John est mort. Je réponds à Mick trois lignes dans un mauvais anglais, je peine à dire, je suis triste comme un vendredi saint, je suis con comme un vendredi treize. John est mort, mardi dix. Je l'apprends ce matin sous un ciel hébété.
Lenteur des steppes
La moto fumait plus bleu que les gitanes de ma mère, et qui l’aurait volée ne serait pas allé loin. Elle leur restait donc, on la leur rapportait même, les soirs où le père était trop bourré pour rentrer avec, trop bourré même pour se rappeler où il l’avait laissée. Ils traversaient sans regarder le passage à niveau, mais aucun risque, aucun vertige : les trains étaient rares par la plaine, un seul s’arrêtait à la gare, les vieilles elles préféraient prendre le car cacochyme qui fumait plus noir que la moto ne fumait bleu. Elles l’avaient attendu des heures, c’était un temps où tout prenait des heures, ce n’était pas la fin de l’histoire, non, puisque rien, jamais, n’avait commencé, on savait bien qu’au delà de l’horizon, c’était encore la plaine, on avait la sagesse de ne pas aller vérifier. Tout était patience, jusqu’au cours de la rivière, au sourire des filles. Ce n’était pas l’ennui non plus : le désir trouvait sa solution. Allongés la nuit sur le bord du chemin ils écoutaient les peupliers bruisser, le long de la rivière ils regardaient l’eau fuir comme l’amour. Mélancolie kirghize.
mardi 15 janvier 2013
Serre-livres
Il fut un temps quelque temps pas longtemps
temps de jeunesse, moment d'enfance où
nous espérions.
Il fut un temps quelque temps pas longtemps
dans l'allégresse de l'ignorance, fous
nous avions confiance.
Qu'avons-nous perdu dans le temps gaspillé
et la lumière éteinte?
Cette photographie déteinte
et nos souvenirs détrempés
Voilà ce qui demeure et qu'il faudrait chérir
pour le temps qu'il nous reste.
Ce temps qui fut, ce temps fut, oh qu'il fut
bon ce temps qui fut, il y a longtemps de cela
et plus une photo qui reste, il a plu sur le carton du temps perdu.
Gestes ensoleillés et maillot de bain rouge
- ce qu'il reste il faut fouiller, les sables des plages différents sous le pied, le gros grain de Port-Lin je m'en souviens dans les sandales, ce qu'il reste il faut l'arracher aux sables (sable plus fin à Valentin, les enfants y font des pâtés).
Ce temps qui fut qui a fui oh qu'il fut bon ce temps
le temps de l'innocence, de la confiance, des confidences.
J'avais une photo mais elle fut inondée lors d'un dégât des eaux pour parler assurances, pleurer le temps perdu.
Peaux de cuivre tannées, brûlées peaux pelantes, tignasses blondies par la mer, dentelles de sel sur le maillot de bain rouge sur la peau rouge et les yeux rouges après la nage, des écorchures sur les rochers, glissades estafilades éclaboussures, ce qu'il reste il faut l'arracher.
dimanche 28 octobre 2012
Memento 1 variante
Un an durant, tous les jours qu'il fit, nous avons joué au Monopoly. Il fallut plus d'un an à jouer tous les jours pour que je gagne une partie. Gagner c'était sans importance. On disait que tu avais de la chance. On ne savait pas, comme on sait aujourd'hui.
mercredi 17 octobre 2012
Memento 1
Un an durant, qu'il vente, pleuve, neige, chaque jour qui fut nous vit jouer au Monopoly. Tu gagnais tous les jours, il fallut plus d'un an c'est invraisemblable mais c'est vrai, pour qu'enfin je l'emporte et qu'importe, j'ai toujours été bon joueur, j'entends, jamais un gagnant, jamais un gagneur.
Et de ce jour on ne joua plus.
Ca ne rime à rien, ça ne rime à rien.
mercredi 5 septembre 2012
Souverains de la marée basse
Et tous deux accroupis ma sœur, les mares nous étaient mondes à notre échelle, crabes minuscules qui ne faisaient pas peur, crevettes translucides battant l’eau transparente, fuyant nos épuisettes maladroites. Forêts d’algues vertes, cascades de moules enchevêtrées, berniques cramponnées sur le flanc des rochers, une mer miniature, un vaste coquillage. Souverains de la marée basse, nous écrasions des moules pour les anémones que nous regardions absorber de leurs bras pourpres la chair déchirée, jaune, visqueuse. Et parfois, joyeusement, par justice, nous écrasions de nos sandales en plastique les anémones repues, avec un frisson de plaisir dégoûté.
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