La tristesse se fixe en de menus agacements. Dans la nuit qui tombe, la voix enregistrée d'une clerc de notaire me réclame des "informations pour le dossier de succession de votre maman". C'est le mot maman qui m'exaspère, ce mot la concernant nous appartient, et toi morte, moi seul suis à même de le prononcer. Ce mot doux comme un linge usé, à peine un mot, presque une onomatopée, le reste d'un balbutiement comme doublé d'un possessif, ce mot commun et singulier, cette voix n'a pas titre à le dire, pas accès à l'affectif car je suis l'affecté, et moi seul le droit de nommer ainsi ma mère, l'évoquant aux intimes qui la connurent et qui l'aimèrent. Maman c'est un nom propre, qui ne désigne qu'une mère à la fois, chacun en désigne sa mère, c'est le mot de l'appel, et qui l'emploie me rappelle que je ne puis plus appeler ma mère. Je ne dis jamais ma maman, ça sonne comme un pléonasme, des lèvres prises de tremblement. Maman, c'est une couverture posée sur l'enfant qui dort, sur l'enfant mort en moi, et nul ne peut s'en emparer sans mettre à nu la plaie, m'injurier dans mon dénuement.
Le ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.
"m'injurier dans mon dénuement": que ces mots sont justes et tranchants... Et tous les autres aussi. Merci.
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