Le ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.
La ville au bord de l’eau
jeudi 20 juin 2013
Le concert des belles-soeurs
Elle arrive d'Amérique et le fait bien sentir, parle plus qu'il n'est de mise, rit trop fort, humilie l'air de rien ceux qui sont restés là, renvoyés à la petitesse, au passé, à la crasse de l'ancien monde. Les belles-soeurs la détestent, elle et ses robes de big mama, qui s'abat sur les choses, leur parle comme à des arriérées qu'il faudrait ménager et siffle en deux soirées la bouteille de cognac en racontant New-York, en comprenant tout, de loin très floue, myope, embrumée d'alcool. Elle pontifie, s'esclaffe et s'endort. De fait, comment mesurerait-elle le tranchant des femmes d'ici, leur modestie rageuse, fierté d'une vie d'effacement? Discrètement, elles laissent le bulldozer (ainsi la nomment-elles entre elles, au marché)occuper l'avant-scène et donner le spectacle de ses titubations. La condamnation n'a plus qu'à tomber et l'Américaine, vulgaire, alcoolique, n'a plus sa part au concert qu'elles donnent. Les belles-soeurs n'ont jamais bu, elles, jamais fumé, jamais joui. Elles élèvent leurs enfants comme on taille un bonsaï. Le linge est rangé, la vaisselle faite, parfaites elles sont les belles-soeurs du concert. Aux States, ça fait vingt ans qu'on a des lave-vaisselle, laisse tomber l'Américaine qui ne propose pas d'aider.
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