Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

lundi 26 février 2024

Saint-Benoît-des-Ombres

 Il y avait, ces années-là, un homme à Saint-Benoît-des-Ombres, plus seul que cet homme-là, cela ne se peut pas. C'est dans un pli des bois du Vièvre sur le bord du plateau, on peut descendre bien bas, mais c'est un beau village, s'y tient un pèlerinage, on en repart avec une branche d'if béni qui protège du mal fait (mais si le mal est fait, qu'y faire? -je ne sais pas); c'est le jour du printemps et de la Saint Benoît, la petite église est remplie jusqu'au caquetoire, on y vient de l'Orne on y vient de loin, on protège maisons et troupeaux, le saint bonhomme y veille sinon en personne, du moins en effigie (sur le caquetoire, sa statue de bois). A la Saint Benoît, l'homme restait chez lui, avec son crayon gris, l'if béni ne suffisait pas, l'église il  la préférait vide, elle l'était la plupart du temps, pour graffiter de son crayon comme un journal de sa misère sur l'enduit, entre les Ex-Voto "Reconnaissance à Saint Benoît", les épisodes de sa vie encalminée là, Saint-Benoît il n'en bougeait pas, pas le permis, rien pour partir, sa prière elle revenait quelques fois, avoir assez d'argent pour prendre le bus et fuir, jusqu'à Evreux peut-être, mais où prendre le bus, il n'y a pas de bus, sauf ramassage scolaire, Saint-Benoît il n'en bougerait pas, il sera l'ombre de Saint-Benoit, l'ombre c'est encore trop peut-être.

dimanche 18 février 2024

Point de lendemain

 A peine sorties, déjà courbées, les jonquilles ploient sous la pluie, ce dimanche gris comme ventre de souris, le vent qui vous saisit de biais ne vous transit pas pour autant, ce sont des rafales tiédies, les chats ne sortent pas, qui craignent le vent  plus que la pluie, le chat noir dort près du poêle ronflant, Tanguy écoute la messe en ut, qui pourrait croire à la guerre qui gronde, à la mer qui monte, à la fin du monde? Laurent ne viendra pas ce jour chercher les pierres qui lui manquent, partie remise, un autre dimanche, rien ne presse, la guerre ce n'est pas pour demain quand-même, nous sommes de ces chanceux qui ne savent pas ce que c'est, cela nous paraît insensé, les bambous plient sous le vent tiède, ce qui advient, pas pour demain, c'est la fin du lendemain même, et bambous de se balancer.

samedi 17 février 2024

Trop tôt

 Ce qu'on se dit du temps qui passe, entre deux avis de décès, le bois qu'on a brûlé, les cendres qu'on a répandues, les braises qui se sont éteintes, ce qu'on se dit à voir le chat se rouler dans la poussière grise, à humer l'odeur de la fumée dehors, du temps qui passe, qui accélère tout, c'est l'hiver il fait chaud, les crocus sont arrivés, orange les premiers, puis les violets, on attend les préférés blancs veinés, on attend peu, trop peu, sont arrivées les premières fleurs sur le prunus et toutes les jonquilles, c'est février c'est le printemps ce qu'on se dit du temps qui passe, on reprend les tours de jardin, les fruitiers en boutons bien trop tôt, avril mordra les fleurs d'un gel fatal aux fruits, ce qu'on se dit, ça va trop vite c'est bien trop tôt la fin de la dormance, les oiseaux s'enchantent, on ne leur dira rien, des étourneaux, leur laisser l'insouciance, la grâce des murmurations.

dimanche 4 février 2024

Un frémissement

 Le soleil point c'est un peu tôt mais la terre frémit on voit les taupinières, ça se réveille, les jonquilles boutonnent, les hellébores fleurissent les primevères tapissent, revient l'envie du jardin, se mouiller les pieds pour voir si jamais les crocus mais pas encore, la première fleur du camélia mais non les oiseaux chantent tôt le matin la vérité du merle de Gautier, chanter trop tôt, célébrer dès avant fi du gel le printemps parce que l'hiver fatigue, il n'est pas encore temps mais nous vivons  d'impatience et nos élans sont ceux de vieux enfants.

dimanche 28 janvier 2024

Jardin d'enfants

 Dans ce jardin-là, ce qui s'est passé, ce qui se passa, un poirier foudroyé, des enfants roulant par la pente de la pelouse, le sable du bac s'écoulant vers septembre quand la pluie revenait, des merles tués par balles et j'ai gardé la carabine. Des aoûtats l'été, ça ne sert à rien de se gratter, la mère n'est pas là, elle parle avec sa mère dans la chambre de celle-ci, assise dans une bergère tendue de toile de Jouy, c'est joli non? c'est doux la bourgeoisie. La mère redevenue fille oublie, s'enivre de potins avec sa mère chérie, plus d'enfants -ils jouent au jardin- plus de mari, plus de place pour rien mais la joie d'abolir le temps et le chagrin, le temps qui s'éternise dans le jardin où les enfants jouent, où les enfants s'ennuient -il ne se passe rien le temps très lentement, le bruit des voitures à cheval des derniers paysans, samedi matin tôt, ils vont vendre au marché, le bruit franchit le mur, c'est un événement, on s'ennuie ferme, il ne faut pas déranger maman.

Dans ce jardin-là, ce qui s'est passé, ce qui se passa, un poirier foudroyé jadis, des tourterelles abattues d'une balle par le père, une odeur de plumes brûlées qui sort de la cuisine, le père range la carabine, le mère de la mère est contente, les roucoulements la réveillaient. Le tas de sable a fondu qui révèle des veines de terreau noir, impropre aux jeux d'enfants, les châteaux, les pâtés, on  pourra se gratter, il ne reste qu'à s'ennuyer, se courir après se cacher dans les buissons, dans les greniers, entre les rangs de groseillers, dans l'ombre où les pommes sommeillent sur des claies, dans la serre abandonnée où fleurissent les ruines de Rome et pourrissent des clapiers vides, c'est un deux trois soleil! cache-cache, cache-tampon, chasse au trésor, beaucoup de noms pour peu de jeux, des enfants qui restent dehors.

Ce jardin-là, ce qui s'y passa, ce qui s'y est passé ne passe pas, le poirier foudroyé n'était plus qu'une souche recouverte de lierre, on ne comprenait pas qu'il manque, on s'ennuyait autour, on aurait bien voulu sortir, où était le danger? la maison on la retrouverait, l'araucaria dominait le quartier, mais le portail restait fermé alors on jouait résignés. Le père parfois s'en mêlait, le père se mêlait aux jeux, dénichait les petites filles cachées comme des oisillons au nid, le père ne jouait qu'à son jeu, le père ne s'ennuyait pas qui jouissait, fille et nièces le subirent dans ce jardin-là, quand leurs mères parlaient à leur mère dans un décor de bergerie.

mercredi 17 janvier 2024

Verglas

 Des branches de verre sous le lampadaire qui pleurent, flaques par terre, parfois il pleut des pierres. La mare est prise où se réverbèrent silence fendillé et craquèlement des tiges ployées sous la la glace, fine carapace où glisse un merle aventureux. C'est un matin gris où luit la stalactite, où plient les bambous givrés qu'il aurait fallu couper l'été dernier, s'y perche la mésange charbonnière qui attend son tour pour picorer la boule de graisse de la mangeoire. Ce que je vois de ma fenêtre ne se laisse pas épuiser, c'est un monde incertain, dans l'entre deux: ce qui coule se pétrifie, ce qui fond se fige, la glace goutte, les flaques vitrifiées défient le marcheur téméraire. Il faudrait rentrer du bois, il est urgent d'attendre, on verra bien quel état choisit le monde, liquide ou solide, coulant, stupéfié, glacial ou radouci.

mercredi 10 janvier 2024

Paysage sous la neige

 La neige est tombée, pas des tonnes, non, mais assez pour faire revenir l'enfance, les bruits si nets, la qualité du silence, le froid, cette rareté qui nous stupéfie. La neige est tombée comme une surprise, au matin, et ce fut un cliché noir et blanc, Kertész, Kundelka, un photographe en K, un qui sait nous donner froid. Ce soir tout est un peu fondu -en Normandie la neige ne dure pas- un peu sali, du blanc rouillé, de la bouillasse, des brins d'herbe et les perce neige relevant leurs boutons qui veulent mériter leur nom, et c'est Arpad Szenes qui hante mon jardin, un lavis d'espaces ras, j'aurais préféré Maria Helena Vieira da Silva, je me serais perdu dans les bois, elle aurait peint un souriant labyrinthe, et, sans avoir l'air d'y toucher, d'une touche chantante, elle aurait apporté la lumière qui manque à la neige ce soir.


jeudi 28 décembre 2023

Jardin d'hiver

 Brouillée, la lumière du jour, mouillée, l'odeur du jardin, l'infusion des feuilles mortes dans la mare -il aurait fallu les ramasser, couper les bambous qui ont repoussé, mais non, cela reste à faire, quelle importance? Brouillées les lignes du jardin, qui ne sera pas bien propre et que m'importe? J'ai enfin coupé les vieilles tiges des glaïeuls, Tanguy a planté le poirier offert à Noël -un william bon chrétien- on verra bien. On l'aime comme il vient le jardin, le jardin c'est du temps qui passe, de la terre remuée, des taupinières de glaise molle, la haie de thuyas qu'il faudrait arracher -il est urgent d'attendre. Le jardin je n'y comprends rien -ça qui m'enchante- mais il me connaît bien, il dit les choses m'apaisent, me promet des fruits -ça n'engage à rien- des fleurs pour demain -un jardin c'est toujours demain.

mercredi 27 décembre 2023

Funérailles en boucle

 Est venu l'hiver tiède, l'interminable nuit pluvieuse qui poisse et embourbe. Les chemins ne sont plus qu'ornières où pleurer la mort de Ristat, le printemps perdu sans retour, les chemins sont creux qui recueillent nos larmes, on sourit au souvenir du capitaine des pompiers qui pleurait dans son casque, on se prend à rêver au reflet chromé du casque, comme une lumière incongrue, regarde Marceline, même les pompiers pleurent et le débord de leurs larmes fait trébucher le prince qui en meurt à son tour, ça ne nous console pas de la mort de Ristat.

vendredi 22 décembre 2023

Allumer un feu

Le feu je m'en étais passé après un hiver à brûler des stères, tant de bûches consumées dans l'âtre de l'ancien presbytère, cet hiver froid de mes trente ans, ce qu'il fallait brûler de bois pour dix-sept degrés, j'ai eu froid près de la cheminée, j'en ai charrié des paniers de bois, je revenais trempé de la remise, ça m'avait vacciné, le charme des flambées, la tiédeur douillette des chaumières, pas pour moi, pendant trente ans j'ai préféré les radiateurs, la chaudière, supporté l'odeur du fioul livré tous les six mois. Mais voilà qu'un poêle à bois ronfle dans la salle, qu'il fait bon voir danser les flammes derrière la vitre un peu noircie, que la braise lézarde les rondins, jusqu'à la mélancolie des cendres qu'on verse dans le jardin, vites refroidies, sitôt dispersées par le vent et la pluie, ça fait comme un raccourci, une vie brève, une vanité dans le jour qui tombe et dieu sait qu'il tombe ces temps-ci.