Il suffira de descendre, tant les chemins ici mènent à la rivière, nous avait-elle dit qui connaissait les lieux, y traçant des cercles de cailloux au milieu des chênes verts, des bosquets sans ombre des eucalyptus. La pente est plus douce à gauche, le chemin plus direct à droite a-t-elle ajouté, le chemin de droite, jamais nous ne l'avons trouvé, le chemin de gauche, il a fallu le refaire entre les murets de granit aux algues véronèse d'où cascadaient des ronces torves qui nous écorchaient les mollets, puis les ruines d'horreos et de de moulins minuscules à quelques pas de la rive. Des cultures d'antan, plus rien que des pierres disjointes vomissant des lichens. Il faisait si chaud cet été là où les forêts des Landes brûlèrent, qu'on resta longtemps dans la rivière où nos corps blancs semblaient l'être exagérément, barbotant comme des enfants jusqu'à ce que rafraîchis, presque frissonnants, nous remontions d'entre les roches, comme des revenants caniculaires.
Le ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.
Ronde jaune et orange
Arpad Szenès, Ronde jaune et orange, 1955
jeudi 16 octobre 2025
mercredi 15 octobre 2025
Y croire quand même
A l'écart de la ville se tiendrait la chapelle, il faudrait connaitre le chemin pour voir sa façade surgir au détour d'un lacet, entre des bouquets d'arbres gris de poussière, ce serait peut-être là le lieu choisi, ce que pense l'amante, c'est là que je l'attends qui ne tardera pas, à peine un bruissement dans le feuillage argenté des peupliers en contrebas, le temps de me retourner, sa présence, son absolue présence et l'odeur au loin de son cheval. Sur la façade les emblèmes des évangélistes, et le lion et l'aigle, le veau de Luc, elle élit l'homme ailé de l'incarnation, trompe son attente, s'invente des jeux, compte les oliviers, voudrait entrer dans la chapelle y jouir de l'ombre et l'attendre là mais la porte est close et l'aimé ne vient pas, le soleil désolant l'écrase, miroir brisé de son désir, il n'est plus qu'à descendre à la rivière à qui l'eau manque pour chanter, ramasser des pierres, les lancer dans les derniers flaquets, lapider l'illusion, rentrer à la maison.
samedi 11 octobre 2025
Une manière d'épitaphe
J'ai pris hier, plus tard que d'ordinaire, la route de Rouen, il faisait bien clair dans la vallée du Bec, j'ai ralenti dans le virage où Mathieu mourut naguère. Plus exactement, j'ai pu, pour la première fois lire son prénom au cœur des fleurs artificielles, au pied de la croix -modeste- qui se trouve là depuis quelques mois. On meurt beaucoup sur les routes par ici, et il n'est pas rare de trouver sur le bas-côté, un petit monument, une plaque, un bouquet accroché à une clôture, un signe qui témoigne qu'à cet endroit-là quelqu'un perdit la vie. Rares cependant sont ceux dont on peut lire le nom, mais ce n'est pas pour ça que Mathieu, que je ne connais pas, me requit. Au printemps, c'était en mai je crois, j'étais passé par là et j'avais dû freiner pour laisser traverser un homme et deux enfants qui, à genoux dans le fossé fleurirent le virage, et je n'avais su qu'en penser. Qui étaient-ils, le frère de Mathieu, ses neveux, ses enfants peut-être? Quelle imprudence sans doute, mais surtout, la nécessité, l'urgence de poser une pierre contre l'oubli, faire un nœud au mouchoir du deuil, cela qui m'étreignit alors, cela que le nom lu hier raviva, Mathieu que je ne connais pas.
jeudi 2 octobre 2025
Chélidoine et colchique
Dira qui peut qui veut, il est des feuilles qui apaisent, des baisers qui guérissent, des gestes de passeurs de feu. Brûler n'est pas du jeu, ce qu'il faut c'est apprendre à aimer mieux, froisser la chélidoine en couper la tige, voir sourdre le latex d'un jaune de jonquille, tamponner la verrue, le durillon, c'est un poison attendrissant, j'en cueillais quand j'étais enfant, je m'inventais des cors au pied pour une goutte de soleil visqueux. C'est la saison des colchiques, on dirait du safran sans filament, du safran toxique, quel intérêt franchement? Le poison c'est question de dose, on le dit depuis la nuit des temps, il faut apprendre à aimer mieux, il faudrait vivre en herboriste, je boiterais bas sans le colchique, moi comme tous les podagres, il faut vieillir pour compatir aux maladies des vieux.
lundi 22 septembre 2025
A quoi s'en tenir
Le ciel entre par la fenêtre, encore pâle, affaibli par le feuillage, l'automne se devine, je regarde, avec les espérances de saison: qu'il reste quelques roses, que poussent les champignons avant que la maison ne rétrécisse autour du poêle, finalement la soupe au potiron ce n'est pas si mal, mais attendons un peu, ce matin le ciel bleu entre par la fenêtre, les feuilles frémissent sur les arbres, les premiers gels n'ont pas eu lieu, et vendredi encore, nous avons dîné dehors à Rouen, c'était agréable, c'était inquiétant, le chaos s'amorce, ces temps sont atroces, mais dieu qu'il fait bon.
mercredi 17 septembre 2025
Embrasser l'instant
On a guetté toute sa vie durant, on a guetté trop longtemps peut-être le bon moment. Ce que c'est, si seulement on le savait ce que c'est, on s'en serait saisi, on s'en saisirait, ça mordrait à l'hameçon, il n'y aurait plus qu'à ferrer le poisson d'argent, le poisson d'or et faire un vœu, or non, le bon moment, ça qu'on ignore, on y a rêvé souvent, à quoi ça ressemblerait faire la bonne chose au bon moment manger la poire mûre mais pas blette, guetter le rayon vert en juin sur une falaise de craie, décider qu'il est temps de boire le vieux vin? Le kairos, c'est pour les cuistres, nous ce qu'on veut, c'est embrasser l'instant, lui trouver du goût, du sens, le trouver bon, le moment, bon au point que ça valait la peine d'attendre.
dimanche 14 septembre 2025
Sous le vent
Il y a eu tant de dégâts, les nuages, on les laisse filer, on espère juste qu'ils crèvent un peu plus loin, qu'ils lapident ailleurs ou moins fort, un peu plus loin. Nous avons pu cueillir des quetsches, elles n'étaient pas formées lors de la grêle de juin, mais il ne reste que peu de coings, les poires sont tordues et noircies, les figues tombées par terre avant d'avoir mûri. Le petit ciel de la fenêtre a viré au gris, revient au bleu, c'est qu'il vente, on écoute le vent souffler, on fait des vœux pour qu'il vente ailleurs, qu'il aille plier d'autres haies, qu'il aille arracher d'autres arbres, ailleurs, les nôtres ils ont déjà souffert, feuilles déchiquetées, troncs grêlés à faire sauter l'écorce, alors oui nous craignons le vent, l'eau, les pierres tombées du ciel qui brisent les carreaux, les ardoises, qui hachent blé comme lin, on voudrait croire à l'accident, mais nous savons qu'il n'en est rien.
mardi 9 septembre 2025
Au téléphone (souvenir)
Voici quelques années, mon père venait de mourir, je l'avais appris un peu par hasard, j'en étais surpris, pas affecté, surpris, il était mortel après tout, j'avais fini par en douter, j'ai téléphoné à Maryelle et Jean pour les en informer, c'est lui qui a décroché, et avant que je puisse rien dire, il m'a appris la mort de son frère Roland, je n'ai pu que répondre mon père est mort aussi. S'ensuivit un silence, il a chuchoté à Maryelle Paul est mort, puis a repris nous avons une drôle de conversation, ce qui était exactement observé -mon oncle était un homme aussi bon que précis. Il n'a pas eu le temps d'ajouter je te passe ta tante, qu'impatiente elle avait pris le combiné et d'un souffle: De toute façon pour toi il était mort depuis longtemps, et c'était la vérité même, une parole de fée qui délivre d'un sort.
jeudi 21 août 2025
Synchrones
C'est l'été, disent les imbéciles en se voilant la face, les forêts ont toujours brûlé l'été, c'est la saison des chaleurs, il y du bonheur dans les glaces vendues en bord de mer, il faut profiter de l'eau chaude et du soleil, il faut profiter, c'est leur verbe, tant pis pour les forêts qui repousseront et pour le reste, la clim à fond et dieu pour tous.
Notre jardin souffre, les arbres perdent leurs feuilles, je ferais bien des danses de pluie, n'était la crainte du ridicule et la vanité de l'effort. On arrose modérément, les nappes phréatiques sont en baisse. Je ressemble au jardin, je vieillis, ça craint, mais au train où va le monde, il n'est pas certain que je n'en voie pas la fin, que nous ne soyons pas, pour une fois, synchrones.
vendredi 8 août 2025
Drôle d'été
Un peu de vent dans les feuillages, un ciel gris clair, dix minutes de crachin qui n'étaient pas prévues, la canicule tarde à pointer par ici, qui s'en plaindrait? Elle viendra dans quelques jours, durera moins qu'ailleurs, on ne lui tiendra pas rigueur de son départ, bon vent, bouffée de chaleur, jusqu'à la prochaine fois. Il faut arroser le jardin, l'estragon mexicain jaunit, il faudrait tondre, l'herbe est encore verte, comme un pré fleuri d'ombelles blanches -pourquoi tondre alors? les ombelles se balancent au vent dans un bourdonnement d'insectes qu'on souhaite mellifères, le glaïeul rose pointe sa hampe de survivant de la grêle, les aillets fleurissent au pied des rosiers chargés de boutons vitalité, fragilité, on ne sait trop, on ne choisit pas, on jouit de l'air chargé d'arômes, le persil monte en graine, et je confonds sarriette et serpolet.