Ronde jaune et orange

Ronde jaune et orange
Arpad Szenès, Ronde jaune et orange, 1955

mercredi 3 décembre 2025

Compote

Il est en moi un vieil enfant qui réclame les goûts d'antan, madeleines d'un monde mort, glaces Frigécrème, sucettes Pierrot Gourmand, clafoutis, gâteau de semoule. Les enfants d'aujourd'hui ne me croiraient pas si je leur révélais que la compote compotait longtemps dans la cocotte, que toute la maison respirait la pomme, qu'il restait toujours quelques pépins noirs dans les bols, sauf à l'avoir passée au moulin à légumes, minauderie grotesque, râlait l'aïeule, on a des dents, c'est pour mâcher, de fait elle était granuleuse la compote, aux antipodes de l'onctueuse substance que suçotent les gosses depuis des poches de plastique, poubelle jaune, illico. Que diraient-ils des pommes au four, les jeunes buveurs de compote, ont-ils seulement de leur vie connu le vide-pomme qui creuse le puits au fond du fruit qu'on remplissait de gelée de groseille? Nous ne les aimions pas trop, ces boules ratatinées au cœur rouge, à la peau fripée, parfois éventrées par la cuisson, elles pouvaient être acides, il arrivait aussi  que le vide-pomme ait raté son office, et n'ait pas extrait dans la carotte de chair tous les pépins de la reinette, et c'était grimace encore, et l'aïeule râlait, vous avez des dents, servez vous en.