Le soleil point entre les arbres dont il reste des feuilles aux branches, la tempête au nom d'enfant ne les a pas toutes arrachées, se dessinent pourtant entre les troncs en contrejour comme les doigts d'un hiver approchant, c'est dimanche le changement d'heure, la nuit à cinq heures, la mélancolie du thé les lampes allumées, le règne des soupes au potiron, des purées de patates douces, en a-t-on envie, vraiment? On essaiera le gratin de courges, on chargera le poêle pour l'amour de son ronflement, on farcira des patidoux avec des trompettes de la mort, on pochera des poires à la verveine, on s'assurera de la chaleur et des parfums, de la saveur faute de lumière, on compensera d'un verre de vin le frisson triste du soir précoce, des amis viendront tuer la mélancolie, la mauvaise bête des vieux jours.
Le ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.
Ronde jaune et orange
Arpad Szenès, Ronde jaune et orange, 1955
vendredi 24 octobre 2025
lundi 20 octobre 2025
Volets ouverts
Tantôt le vent se lève, il faudra rentrer les bêtes, poser pierres et parpaings sur la bâche du bois sec, fermer le portail, s'assurer des volets, espérer qu'aucun arbre ne tombe, craindre la grêle, l'ordinaire des temps déréglés. Nous n'en verrons pas la fin me dit un vieil homme, je crains que si, répond le vieil homme que je suis, ce n'est pas là bonne nouvelle, c'est vrai les arbres sont malades et les oiseaux plus rares, comment se pourrait-il que nous allions bien? Des pantins font semblant d'ordonner le chaos, des clowns couronnés se prennent pour le pape, les pauvres meurent de faim, les migrants disparaissent et les tyrans sont populaires, comment pourrions-nous aller bien? Tantôt c'est la tempête, il faudra rappeler les chats qui n'aiment pas le vent, rentrer du bois auparavant pour le poêle, espérer qu'aucun arbre ne tombe, guetter les éclairs, laisser portail et volets ouverts comme des bras, tant pis s'ils claquent, qu'il y ait de la lumière ici, que l'étranger soit accueilli, c'est ainsi que nous irons mieux.
jeudi 16 octobre 2025
Baixar ao río
Il suffira de descendre, tant les chemins ici mènent à la rivière, nous avait-elle dit qui connaissait les lieux, y traçant des cercles de cailloux au milieu des chênes verts, des bosquets sans ombre des eucalyptus. La pente est plus douce à gauche, le chemin plus direct à droite a-t-elle ajouté, le chemin de droite, jamais nous ne l'avons trouvé, le chemin de gauche, il a fallu le refaire entre les murets de granit aux algues véronèse d'où cascadaient des ronces torves qui nous écorchaient les mollets, puis les ruines d'horreos et de de moulins minuscules à quelques pas de la rive. Des cultures d'antan, plus rien que des pierres disjointes vomissant des lichens. Il faisait si chaud cet été là où les forêts des Landes brûlèrent, qu'on resta longtemps dans la rivière où nos corps blancs semblaient l'être exagérément, barbotant comme des enfants jusqu'à ce que rafraîchis, presque frissonnants, nous remontions d'entre les roches, comme des revenants caniculaires.
mercredi 15 octobre 2025
Y croire quand même
A l'écart de la ville se tiendrait la chapelle, il faudrait connaitre le chemin pour voir sa façade surgir au détour d'un lacet, entre des bouquets d'arbres gris de poussière, ce serait peut-être là le lieu choisi, ce que pense l'amante, c'est là que je l'attends qui ne tardera pas, à peine un bruissement dans le feuillage argenté des peupliers en contrebas, le temps de me retourner, sa présence, son absolue présence et l'odeur au loin de son cheval. Sur la façade les emblèmes des évangélistes, et le lion et l'aigle, le veau de Luc, elle élit l'homme ailé de l'incarnation, trompe son attente, s'invente des jeux, compte les oliviers, voudrait entrer dans la chapelle y jouir de l'ombre et l'attendre là mais la porte est close et l'aimé ne vient pas, le soleil désolant l'écrase, miroir brisé de son désir, il n'est plus qu'à descendre à la rivière à qui l'eau manque pour chanter, ramasser des pierres, les lancer dans les derniers flaquets, lapider l'illusion, rentrer à la maison.
samedi 11 octobre 2025
Une manière d'épitaphe
J'ai pris hier, plus tard que d'ordinaire, la route de Rouen, il faisait bien clair dans la vallée du Bec, j'ai ralenti dans le virage où Mathieu mourut naguère. Plus exactement, j'ai pu, pour la première fois lire son prénom au cœur des fleurs artificielles, au pied de la croix -modeste- qui se trouve là depuis quelques mois. On meurt beaucoup sur les routes par ici, et il n'est pas rare de trouver sur le bas-côté, un petit monument, une plaque, un bouquet accroché à une clôture, un signe qui témoigne qu'à cet endroit-là quelqu'un perdit la vie. Rares cependant sont ceux dont on peut lire le nom, mais ce n'est pas pour ça que Mathieu, que je ne connais pas, me requit. Au printemps, c'était en mai je crois, j'étais passé par là et j'avais dû freiner pour laisser traverser un homme et deux enfants qui, à genoux dans le fossé fleurirent le virage, et je n'avais su qu'en penser. Qui étaient-ils, le frère de Mathieu, ses neveux, ses enfants peut-être? Quelle imprudence sans doute, mais surtout, la nécessité, l'urgence de poser une pierre contre l'oubli, faire un nœud au mouchoir du deuil, cela qui m'étreignit alors, cela que le nom lu hier raviva, Mathieu que je ne connais pas.
jeudi 2 octobre 2025
Chélidoine et colchique
Dira qui peut qui veut, il est des feuilles qui apaisent, des baisers qui guérissent, des gestes de passeurs de feu. Brûler n'est pas du jeu, ce qu'il faut c'est apprendre à aimer mieux, froisser la chélidoine en couper la tige, voir sourdre le latex d'un jaune de jonquille, tamponner la verrue, le durillon, c'est un poison attendrissant, j'en cueillais quand j'étais enfant, je m'inventais des cors au pied pour une goutte de soleil visqueux. C'est la saison des colchiques, on dirait du safran sans filament, du safran toxique, quel intérêt franchement? Le poison c'est question de dose, on le dit depuis la nuit des temps, il faut apprendre à aimer mieux, il faudrait vivre en herboriste, je boiterais bas sans le colchique, moi comme tous les podagres, il faut vieillir pour compatir aux maladies des vieux.