Ce qui tombe neutralise, la lumière en perd son souffle, ce qui tombe une neige grise et les dernières feuilles, stupéfiées, ploient sous le poids, croulent, se brisent. Elle en restera au bouton la dernière rose de la saison, et les grelots du fuchsia blanc perlent comme un chant de cygne. Dire adieu au persil, à l'estragon, la ciboulette -un adieu relatif: ils reviendront au printemps. Thym et romarin résistent, la neige tombe comme à Gravelotte, giboule, efface les contours des arbres, gomme, arrondit, estompe toute forme, bâillonnerait les bruits s'il en était encore par le hameau comme saisi. Ronfle la cheminée qui réclame une bûche, on la lui fournit. Nous prend une envie de laine, de thé noir aux épices, c'est un matin à écouter de la viole, La Rêveuse de Marin Marais, la neige tient dessus la route, pourra-t-on quitter le jardin, on doute, les chats font le dos rond, on écoute dans le silence des tourbillons, c'est la mélancolie même, on se souvient qu'est morte Sophie Watillon, la mélancolie même, on lui offre la dernière fleur du fuchsia blanc.
Le ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.
Sans titre
Tal Coat
jeudi 21 novembre 2024
dimanche 17 novembre 2024
Dernières trompettes
La nuit ne cesse de tomber qui semble fuir la maison la saison, mes yeux usés. J'ai épluché des trompettes de la mort, des bêtes ont échappé à ma vue basse, j'ai croqué un cloporte réfugié dans la corolle où il a cuit recroquevillé. Dernières trompettes avant l'apocalypse, non, avant la goutte froide qui, peut-être, nous vaudra de la neige -on ne sait qu'en penser, désir d'enfant, crainte de vieillard raidi par l'arthrose, on balance. Les arthropodes et les limaces n'avaient pas hésité, tous aux abris dans les trompes noires où l'hiver ne viendrait pas les chercher, l'hiver non certes, mais mon couteau vengeur, novembre est un mois sans pitié.
jeudi 14 novembre 2024
Lire les signes
On ne veut pas savoir, la passion d'obscurcir nous possède, la pulsion nous déborde, nous abattons des oies en vol pour briser les auspices, et les cygnes qui n'iraient pas dans notre sens, nous les sortons du temple. Mais têtu persiste le réel qui déçoit notre désir et détisse le voile tendu pour le masquer. Nu, le voici qui s'impose et nous assigne à notre contingence. Ce qu'il donne à voir à nos yeux décillés de la petite mort, ce sont des singes arrogants aux mains ensanglantées. Ils ont lapidé leurs rivaux qui contestaient leurs rêves d'empire et serrent la pierre qui fracassera celui qui par malheur rira du hochet qu'ils prennent pour un sceptre, bêtes alphas, analphabètes.
dimanche 10 novembre 2024
Marcher juste
vendredi 8 novembre 2024
Morts-vivants
On jurerait que non, c'est un novembre ordinaire, feuilles tombantes, brouillard tenace, pas de gel pour autant et des chanterelles plein les bois, quelle menace? le mois des morts est si vivant, les araignées rentrent dans la maison, la chatte les gobe d'un coup de dents, qui pourrait croire à ce qui se passe pourtant, la disparition des hérissons, plus de crevettes dans la nasse, de crevettes grises j'entends, celles du jadis à Honfleur, le poissonnier propose des gambas d'élevage, des bios mais non merci, c'est de mon enfance qu'il s'agit, d'une saveur disparue, le cri perdu des femmes qui les vendaient par les rues, des baleines remontent l'estuaire et s'y tuent, des phoques s'échouent à Pont-Audemer, mais de crevettes il n'y en a plus, la mer plus chaude et les tempêtes, et les pollutions de la Seine, les causes sont légion, la cause est connue, connaitre n'a plus d'importance, toute l'énergie brûle à des fins d'illusions, nous sommes rentrés dans la caverne, nous allumons des simulacres et leurs fumées nous étoufferont.
dimanche 3 novembre 2024
Veste orange
Au fond du vallon la veste orange d'un chasseur posté au bord d'un champ de maïs oublié par la moissonneuse. Ce qu'il attend, pas de mystère, il rêve de lièvre et de faisan, reviendra la gibecière lestée d'un pigeon. Hier ce fut un festival de détonations dans le brouillard presque tangible -d'où l'intérêt des vestes orange- et l'on se félicita que nos chats, trouillards à bon droit, ne s'éloignent guère de la maison, chassent au jardin ou chez les voisins et préfèrent, l'automne venant, la chaleur du poêle et l'assurance de la pâtée au lapin fuyant par les champs. Ca les reprendra au printemps, quand le jour revenant disparaitront pour la saison souriante les éclats sinistres des vestes orange perçant la brume de leurs coups de feu et les pelages de taches de sang.
vendredi 1 novembre 2024
Douceur de novembre
Puisqu'il faut entrer dans novembre, transformer la véranda en remise, y abriter le laurier rose, y serrer courges et oignons, allumer le poêle au matin pour que l'étage chauffe, s'accommoder d'un espace rétréci mais tiède -c'est douillet chez nous aurait-on dit jadis (ma langue vieillit, un peu confite, un peu compote, ma langue de saison, pomme de calville, purée de potimarrons, odeur de chanterelles)- ce que je dis devient brumeux, ce n'est pas ma vue qui s'étoupe, c'est le ciel si bas qu'on marche dessus. Perce du gris laiteux le feu du liquidambar -remettre une bûche sur la braise qui faiblit- le chat noir ne veut plus sortir qui va de sieste en sieste et ronronne sur nos genoux, c'est doux novembre ainsi loin des crues, des tempêtes, des massacres, des incendies, le brouillard a tout étouffé, nous tenant à l'écart des fureurs du monde. C'est cette douceur qui nous trompe, tandis qu'à Valence on compte les noyés, qu'à Gaza les morts sont indénombrables, c'est Toussaint, nous pourrions fleurir et nettoyer les tombes des nôtres, mais ailleurs, pas si loin, combien restent sans sépulture?