Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

samedi 25 mai 2013

Requiem déconstruit


Pour ceux qui sont tombés, les voici descendus de leurs rêves de fer, les voici plus rien dans la terre et l'idée de dieu même il faut en rabattre, et l'on ne sait à qui demander le repos, et notre bouche est trop blessée pour louer ces morts sans nom, à Sion ni à Jérusalem. Il ne convient de louer personne, et nul n'est voué à la lumière infinie.
Pour les innocents qui sont morts, il n'y aura plus de lumière, et leur sommeil c'est un repos d'égorgés, et leurs membres partout dispersés par la ville : il n'y a pas lieu de louer, il n'y a pas de mémoire éternelle. Bientôt nos monuments seront tous érodés. Nul ne libérera les âmes mortes du lac où nos sondes sont vaines, et la gueule du lion, elle les a déjà dévorées.
Nous qui survivons à la haine, nous connaîtrons des jours de colère, nous respirerons les cendres du monde. Ivres de ces poudres, nous rirons dans la terreur et nous croirons voir dieu commettre quelque archange à trancher droit dans la vie brûlante, dans Jéricho dévasté. Nous connaîtrons des jours de larmes, ils ont tout juste commencé.
Pour ceux qui sont tombés, qu'ils reposent loin des mensonges d'éternité, qu'ils mangent avec la terre dans laquelle ils se mélangent les promesses pour lesquelles ils sont morts, qui ne seront jamais tenues : jusqu'au rien toute chair se ravale, dans la grande absence du dieu que nos efforts inventent, et qu'importe son nom puisque partout c'est imposture, ces noms que gravent tous les couteaux du sacrifice, ces noms dont se réclament tous les hurlements de vengeance, je crache sur leurs lettres, je préférerais ne pas savoir les lire.

Je ne comprends rien aux chats

Comme un cri de bébé dans le jardin, c'est un chat mouillé qui geint , et toujours ma fenêtre ouverte qu'il regarde, pesant s'il osera entrer ou pas. En général, il n'ose pas, et quand il ose, c'est pour ressortir aussitôt. Depuis la pelouse, son regard en chien de faïence.

jeudi 23 mai 2013

Sur des photos d'Hervé Guibert

Avant que plus rien ne me touche, avant d'avoir si peur d'aimer, sans doute il y eut un autre temps. Avant que les larmes ne coulent à la mort des aimés, ce jeune homme que je fus n'a pas su les étreindre, et l'homme que je suis en reste pantelant, leur survivant par habitude. Pulvérisés le cercle des parents, la ronde des amis. L'homme que je suis marche sur les cendres et ne s'y brûle pas, car les braises sont éteintes dès longtemps. Le cœur tiédi, l'homme que je suis regarde des photographies, les confronte aux sourires des jeunes gens du jour, qui eux aussi courent joyeux à leur perte. C'est leur tour d'être en la carrière et je sais qu'il est vain de les mettre en garde, de prendre soin d'eux. Ce n'est plus mon temps, ce n'est plus mon tour. Courez légers, jeunes gens, c'est dans l'élan qu'est la grâce.

mardi 21 mai 2013

Plexus solaire

Lorca dit "amour de mon ventre" et certes je l'ai connu, et la souffrance douce de la crampe au plexus je l'ai éprouvée, et par elle je me suis senti vivre quand mes yeux s’abîmaient dans une poussière d'alumine. J'aime les étrangers d'une passion sans faille et leurs noms je les serre et les garde pour moi: c'est un trésor à trois sous, de la pacotille sonore, mais quand je vous prononce, noms aimés, je palpite encore, je ne suis pas tout à fait mort. J'ai aimé des peaux de toutes les couleurs, et le foisonnement du vivant, j'en reste ébloui à l'heure où l'ombre s'allonge sur mon désir fatigué.

lundi 20 mai 2013

La médaille d'Esméralda

Quand tombe le talisman du cou, voilà nue la danseuse dont l'enchantement tinte sur le pavé. La fille de feu n'est plus qu'une bohémienne, la salamandre un lézard jaune. Reprends ta marche loin du désir, colle tes mots pleins de savoir sur la peau palpitante qui t'avait fait frémir et ferme tes yeux désabusés. Le poignet et la cheville, le tambourin brandi, illusions penses-tu, tentation ricanes-tu. Vanité des chairs offertes. Mais vanité bien pire, la pensée satisfaite qui méprise la joie des corps.

mercredi 15 mai 2013

Paraphrase de du Bellay

Heureux celui qui peut vivre parmi les siens, et qui, sans rêver sa vie, sans crainte, sans envie, sans ambition, habite sa maison. Celui-là n'est pas hanté par le profit ni la conquête, celui-là aime sans intéressement, désire sans passion, jouit de ce qu'il a, de ce qu'il est. Il ne s'aigrit pas des manœuvres des autres, et fonde en lui seul son propre espoir, il est à lui-même son propre monarque, et ne reconnaît pour maître que lui-même. Il ne s'épuise pas dans l'exil, ne s’abîme pas dans la servitude, et se contente de sa propre richesse.

dimanche 12 mai 2013

Music for a while

La pianiste jouait pour les pauvres, dans la salle du réfectoire. Du Bach et du Chopin. Ceux pour qui elle joue pleurent, même ceux qui ne se souviennent de rien, même ceux qui n'ont plus de tête, plus de voix plus rien, ceux qui se frappent dans les couloirs et ceux qui dorment à en oublier les repas. Un vieux lui dit viens dans ma chambre, tu verras c'est joli, j'ai des cahiers plein de chansons et des images de chiens. Des chansons c'est bien répond-elle, et il y a encore du piano dans le rire du vieux.

samedi 11 mai 2013

La dame de Monterfil (Récit bref)

J'étais passé par Monterfil, ses maisons de schiste violet, dans la boue d'une déviation. J'apportais de l'herbe pour la nausée de la sœur, et quand j'ai expliqué mon retard, la mère s'est exclamée: "La dame de Monterfil!" (c'était le temps où elle pouvait encore s'exclamer). Quoi, la dame de Monterfil? Eh bien c'était un homme. Un homme qui se croyait femme, et qui ne se découvrit homme que lorsque les gendarmes vinrent le chercher lors de la mobilisation de 1914. La dame de Monterfil était donc un homme et comme tel mourut à la guerre, dans la boue d'un uniforme et le deuil impossible de ses robes.

samedi 4 mai 2013

Quant au vieil âge de ma mère, 3

Tu n'étais plus en réanimation, et lorsque j'ai trouvé ta chambre dans le service de pneumologie, tu m'as regardé, hagarde, et j'ai entendu les machines biper et les gargouillements de tes glaires dans les tuyaux.Je t'ai donné l'ardoise magique qui me rappelle toujours Georges Perros, et trois fois tu as écrit "enfer". Tu m'as écrit de m'en aller, tu étais trop épuisée. Je me suis assis dehors, sur les marches du bâtiment et j'ai pleuré sans pouvoir m'arrêter. Les gens entraient et sortaient en détournant le regard, par crainte de la contagion, sans doute.

Saint Mathurin à la Mailleraye (vue sur Seine)

Des manèges bouchaient la vue sur le méandre, et entre les attractions bâchées,des jeunes par grappes, des filles qui s’entraînaient au twirling bâton pendant que des garçons leur volaient des baisers. Quelques uns, coiffés comme des footballeurs, frissonnaient sous leurs survêtements à bandes dorées et affectaient des pauses d'affranchis en allumant des cigarettes sous le vent. Par trois fois, surgissant d'entre les camions, un bateau a surgi qui semblait fondre sur le quai, mais passait au ras de la berge dans un grondement tranquille. La fille au maillot rose a lâché son bâton pour se blottir contre le mec siglé Adidas et soudain il a fait moins froid dans la nuit tombante.