Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

mardi 21 mai 2013

Plexus solaire

Lorca dit "amour de mon ventre" et certes je l'ai connu, et la souffrance douce de la crampe au plexus je l'ai éprouvée, et par elle je me suis senti vivre quand mes yeux s’abîmaient dans une poussière d'alumine. J'aime les étrangers d'une passion sans faille et leurs noms je les serre et les garde pour moi: c'est un trésor à trois sous, de la pacotille sonore, mais quand je vous prononce, noms aimés, je palpite encore, je ne suis pas tout à fait mort. J'ai aimé des peaux de toutes les couleurs, et le foisonnement du vivant, j'en reste ébloui à l'heure où l'ombre s'allonge sur mon désir fatigué.

lundi 20 mai 2013

La médaille d'Esméralda

Quand tombe le talisman du cou, voilà nue la danseuse dont l'enchantement tinte sur le pavé. La fille de feu n'est plus qu'une bohémienne, la salamandre un lézard jaune. Reprends ta marche loin du désir, colle tes mots pleins de savoir sur la peau palpitante qui t'avait fait frémir et ferme tes yeux désabusés. Le poignet et la cheville, le tambourin brandi, illusions penses-tu, tentation ricanes-tu. Vanité des chairs offertes. Mais vanité bien pire, la pensée satisfaite qui méprise la joie des corps.

mercredi 15 mai 2013

Paraphrase de du Bellay

Heureux celui qui peut vivre parmi les siens, et qui, sans rêver sa vie, sans crainte, sans envie, sans ambition, habite sa maison. Celui-là n'est pas hanté par le profit ni la conquête, celui-là aime sans intéressement, désire sans passion, jouit de ce qu'il a, de ce qu'il est. Il ne s'aigrit pas des manœuvres des autres, et fonde en lui seul son propre espoir, il est à lui-même son propre monarque, et ne reconnaît pour maître que lui-même. Il ne s'épuise pas dans l'exil, ne s’abîme pas dans la servitude, et se contente de sa propre richesse.

dimanche 12 mai 2013

Music for a while

La pianiste jouait pour les pauvres, dans la salle du réfectoire. Du Bach et du Chopin. Ceux pour qui elle joue pleurent, même ceux qui ne se souviennent de rien, même ceux qui n'ont plus de tête, plus de voix plus rien, ceux qui se frappent dans les couloirs et ceux qui dorment à en oublier les repas. Un vieux lui dit viens dans ma chambre, tu verras c'est joli, j'ai des cahiers plein de chansons et des images de chiens. Des chansons c'est bien répond-elle, et il y a encore du piano dans le rire du vieux.

samedi 11 mai 2013

La dame de Monterfil (Récit bref)

J'étais passé par Monterfil, ses maisons de schiste violet, dans la boue d'une déviation. J'apportais de l'herbe pour la nausée de la sœur, et quand j'ai expliqué mon retard, la mère s'est exclamée: "La dame de Monterfil!" (c'était le temps où elle pouvait encore s'exclamer). Quoi, la dame de Monterfil? Eh bien c'était un homme. Un homme qui se croyait femme, et qui ne se découvrit homme que lorsque les gendarmes vinrent le chercher lors de la mobilisation de 1914. La dame de Monterfil était donc un homme et comme tel mourut à la guerre, dans la boue d'un uniforme et le deuil impossible de ses robes.

samedi 4 mai 2013

Quant au vieil âge de ma mère, 3

Tu n'étais plus en réanimation, et lorsque j'ai trouvé ta chambre dans le service de pneumologie, tu m'as regardé, hagarde, et j'ai entendu les machines biper et les gargouillements de tes glaires dans les tuyaux.Je t'ai donné l'ardoise magique qui me rappelle toujours Georges Perros, et trois fois tu as écrit "enfer". Tu m'as écrit de m'en aller, tu étais trop épuisée. Je me suis assis dehors, sur les marches du bâtiment et j'ai pleuré sans pouvoir m'arrêter. Les gens entraient et sortaient en détournant le regard, par crainte de la contagion, sans doute.

Saint Mathurin à la Mailleraye (vue sur Seine)

Des manèges bouchaient la vue sur le méandre, et entre les attractions bâchées,des jeunes par grappes, des filles qui s’entraînaient au twirling bâton pendant que des garçons leur volaient des baisers. Quelques uns, coiffés comme des footballeurs, frissonnaient sous leurs survêtements à bandes dorées et affectaient des pauses d'affranchis en allumant des cigarettes sous le vent. Par trois fois, surgissant d'entre les camions, un bateau a surgi qui semblait fondre sur le quai, mais passait au ras de la berge dans un grondement tranquille. La fille au maillot rose a lâché son bâton pour se blottir contre le mec siglé Adidas et soudain il a fait moins froid dans la nuit tombante.

jeudi 2 mai 2013

L'impardonné

L'enfant roux guettait ses sœurs depuis les branches du marronnier et les bombardait de bogues quand elles venaient à sortir. L'une d'elles, plus rousse encore, rentrait en pleurant se plaindre à la mère qui sommait son cadet de descendre, et infligeait la punition. Tu as toujours eu le cul rouge, qu'il s'agisse des fessées de ton tromblon de mère, ou des brûlures que t'infligeait l’abbé qui tenait lieu de maître d'école et qui te faisait asseoir sur le poêle. Fesses en feu et cheveux roux, te consumant d'une rancune inépuisable, fesses rouges et cheveux de flammes, c'est à ce titre qu'il faudrait te pardonner la violence et l'inceste et le sang et le sperme. Mais à seulement y penser ma main se serre sur la première pierre du chemin.

mercredi 1 mai 2013

Couteau

Il fouille le ventre des femmes, cherche trace de sa naissance, soupçonne le vide au-delà du gant de chair que son impatience déchire. Qu’elle gise ou geigne, il cure de ses cartilages le creux intolérable, et la laissera morte, pantelant d’une violence fichée là comme le drapeau d’une nation sans merci.

mardi 30 avril 2013

Fonds de culotte

C’est la peur qui les fait jouir, c’est ça le grand secret. Je les flaire, je les connais, seule la peur les fait bander. Ils veulent des geôles, des uniformes, des pauvres en haillons, des victimes innocentes. Ils veulent des coupables noirs comme la suie, ils veulent des enfants de Marie dans un halo bleu pâle, sans désirs, sans sexe. Ils ont des rêves de petits garçons diabétiques, d’obèses en culottes courtes, ils votent des crédits pour un autre porte-avion, ils rient des jupons du ministre. L’an prochain, ils commanderont un sous-marin, si la crise leur en laisse les moyens. Ils hument la queue des arabes, ils frémissent au spectacle des nègres, s’affligent du mariage des pédés, y voient la fin de leur race, pure, forcément pure. Et, dans le ciel de leur bêtise, ils déploient en pleurant un cœur vendéen rouge.