La ville au bord de l’eau

La ville au bord de l’eau
La ville au bord de l’eau huile sur toile, 1947 Donation Pierre et Kathleen Granville, 1969 © Musée des Beaux-Arts de Dijon/François Jay © ADAGP, Paris

dimanche 10 novembre 2024

Marcher juste

Des champignons d'automne, nous en avons tant cueilli, trompettes, chanterelles, pieds de mouton, coulemelles, giroles, cèpes, sur la mousse, sous les feuilles, une vie de cueilleurs, on hume, on cherche la lumière, les bons arbres, les fossés propices, les étendues de fougères, on ajuste son pas, le champ du regard, on prend son temps: qui marche au cèpe de chêne en chêne ne distinguera pas les trompettes, qui court la lépiote ne voit pas le bout de ses pieds, piétine des touffes de chanterelles sous les châtaigniers et les hêtres, ignore la morille blanche près des pins. Des rythmes, des choix, ne discutons pas: chacun suit sa pente, chacun trouve sa joie, sauf qui vain s'impatiente et ne comprend pas le bonheur des bois, celui là on le plaint qui court sur le chemin pour rien.

vendredi 8 novembre 2024

Morts-vivants

 On jurerait que non, c'est un novembre ordinaire, feuilles tombantes, brouillard tenace, pas de gel pour autant et des chanterelles plein les bois, quelle menace? le mois des morts est si vivant, les araignées rentrent dans la maison, la chatte les gobe d'un coup de dents, qui pourrait croire à ce qui se passe pourtant, la disparition des hérissons, plus de crevettes dans la nasse, de crevettes grises j'entends, celles du jadis à Honfleur, le poissonnier propose des gambas d'élevage, des bios mais non merci, c'est de mon enfance qu'il s'agit, d'une saveur disparue, le cri perdu des femmes qui les vendaient par les rues, des baleines remontent l'estuaire et s'y tuent, des phoques s'échouent à Pont-Audemer, mais de crevettes il n'y en a plus, la mer plus chaude et les tempêtes, et les pollutions de la Seine, les causes sont légion, la cause est connue, connaitre n'a plus d'importance, toute l'énergie brûle à des fins d'illusions, nous sommes rentrés dans la caverne, nous allumons des simulacres et leurs fumées nous étoufferont.

dimanche 3 novembre 2024

Veste orange

 Au fond du vallon la veste orange d'un chasseur posté au bord d'un champ de maïs oublié par la moissonneuse. Ce qu'il attend, pas de mystère, il rêve de lièvre et de faisan, reviendra la gibecière lestée d'un pigeon. Hier ce fut un festival de détonations dans le brouillard presque tangible -d'où l'intérêt des vestes orange- et l'on se félicita que nos chats, trouillards à bon droit, ne s'éloignent guère de la maison, chassent au jardin ou chez les voisins et préfèrent, l'automne venant, la chaleur du poêle et l'assurance de la pâtée au lapin fuyant par les champs. Ca les reprendra au printemps, quand le jour revenant disparaitront pour la saison souriante les éclats sinistres des vestes orange perçant la brume de leurs coups de feu et les pelages de taches de sang.

vendredi 1 novembre 2024

Douceur de novembre

 Puisqu'il faut entrer dans novembre, transformer la véranda en remise, y abriter le laurier rose, y serrer courges et oignons, allumer le poêle au matin pour que l'étage chauffe, s'accommoder d'un espace rétréci mais tiède -c'est douillet chez nous aurait-on dit jadis (ma langue vieillit, un peu confite, un peu compote, ma langue de saison, pomme de calville, purée de potimarrons, odeur de chanterelles)-  ce que je dis devient brumeux, ce n'est pas ma vue qui s'étoupe, c'est le ciel si bas qu'on marche dessus. Perce du gris laiteux le feu du liquidambar -remettre une bûche sur la braise qui faiblit- le chat noir ne veut plus sortir qui va de sieste en sieste et ronronne sur nos genoux, c'est doux novembre ainsi loin des crues, des tempêtes, des massacres, des incendies, le brouillard a tout étouffé, nous tenant à l'écart des fureurs du monde. C'est cette douceur qui nous trompe, tandis qu'à Valence on compte les noyés, qu'à Gaza les morts sont indénombrables, c'est Toussaint, nous pourrions fleurir et nettoyer les tombes des nôtres, mais ailleurs, pas si loin, combien restent sans sépulture? 

mardi 29 octobre 2024

Le bel aujourd'hui

 Le soleil presque laiteux ce matin dans ce ciel bleu layette donne à Mozart des parfums d'automne, de boskoop à la peau rugueuse, saveur de passe-crassane un peu pierreuse, les quatuors dédiés à Haydn  esquissent des danses de feuilles heureuses, il n'est pas poisseux Mozart, les feuilles scintillent d'une rosée tardive, dernières roses perlées, derniers dahlias ployant sur des tiges trop fragiles, l'automne a ce sourire timide de vieillard pendant l'éclaircie, c'est maintenant, c'est aujourd'hui. Les écrans vomissent des haines recuites, des joies mauvaises, il ne les éteint pas Mozart, du moins on aime croire qu'il les affaiblit (pas si sûr, disons qu'il les met en sourdine, déjà ça, ce repli qu'il permet, cette joie fragile). 

On aimerait que traverse ici l'écureuil qui zèbre le jardin dans sa razzia d'octobre (les noisettes y sont toutes passées), voir s'enfouir sous les feuilles le hérisson menacé d'extinction, s'assurer qu'il passera l'hiver, un rêve d'arche de Noé, Mozart s'alanguit, c'est une autre mouvement, plus mélancolique, que reste-t-il du vivant? Le jardin frémit, juste un peu de vent, Palestine, Liban, atrocités sur les écrans, ce qui se passe est accablant, le jardin n'en peut mais, on a coupé Mozart, horrifiés on regarde jusqu'où la rage à l'horizon toujours renouvelé.

lundi 28 octobre 2024

Le temps nous manque

 Il ventait à la Torche, sur la pointe du Raz, sur la côte sauvage, on en était saisis, comme si rien ni jamais ne pourrait changer là, comme si l'écume jaune et blanche, comme si la stupeur du granit, la houle fracassée entre vert, bleu, gris et bronze, comme si le ciel, l'élémentaire orgie jouait d'un autre temps, qui ne pouvait être le nôtre. Et cependant la côte recule, les abers nous annoncent le destin des fleuves, on a empierré, c'est un peu vain, les bords de la plage où nous avons dormi derrière un un rideau théâtral, à Plougasnou où cinq surfeurs attendent inlassablement la vague de bonne période, question de rythme, affaire de temps. Le temps nous manque la dentelle blanche de l'éventail se déploie sur la grève brunie d'algues, laminaires arrachées des fonds par la marée, par la tempête, comme le furent les pins les cupressus qui protégeaient le jardin Georges Delasselle au bout de Batz -je nomme le jardin, pas la tempête. Le temps nous manque et cependant on a reconnu la Laïta, ses dix kilomètres ses restes d'abbaye dans une lumière inchangée un chêne beau comme un poème, jusqu'au Pouldu cet étrange estuaire dont la barre d'écume brille comme l'acier, brisant la douceur de l'anse. On s'est arrêté là, c'est là qu'on reviendra, une autre fois, qu'on tâchera de retrouver.

mercredi 9 octobre 2024

Lachrimae

 Il pleut des cordes, des chats des chiens des seaux, ça tombe du ciel, pas la manne pas un fléau, rien que de l'eau, un mois de pluie en quelques heures, un déluge sans radeau, de quoi remplir la mare et la citerne enfouie, de quoi verser dans l'automne, ciel bas, feuilles déchues, chats dormant sur le bureau, où nous en sommes, chaleur du poêle, lampes de bureau, des airs de Dowland, goûter la mélancolie même, la Normandie sous ce vent là c'est campagne anglaise, on va faire siffler la bouilloire, boire un mug de thé noir, pas de scones, va pour une madeleine, la pluie ça nous va bien, on brûle le vieux saule pleureur, c'est un arbre léger qui fond sous la flamme, dont il ne reste rien après avoir brûlé.

jeudi 3 octobre 2024

Au dedans

 Je n'ai pas gardé les photos, ou si peu et par accident, et celles que j'ai conservées je ne les regarde jamais, il ne faut pas se retourner, on perd son âme en un coup de vent, on s'émeut de succédanés, d'oripeaux jaunis, couleurs d'un autre temps qui n'a jamais été celui qui s'offre à voir. C'est tuant de se retourner, il fallait les aimer vivants ceux qui nous manquent, sentir leur souffle sur la nuque, hallucinant, se détromper, ceux qu'on aima ne nous suivent pas, ceux qu'on aima sont au-dedans, vivent en nous sans peser et font comme si de rien n'était.

dimanche 29 septembre 2024

A la chaleur du poêle

 On a refait du feu, la maison est humide, la braise nous ranime, on brûle le saule-pleureur mort voici deux ans, c'est un bois léger qui se consume vite, flammes élégantes, cendres fines, pas un bois pour l'hiver, nous n'en sommes pas là. Là où nous sommes, nous faisons comme si la paix allait durer, des efforts de fleurs, de potager, de cuisine, de chats repus sur les fauteuils, une vie paisible, mais les écrans hurlent et des visages tordus de haine éructent des obscénités, qu'ils crèvent dit un jeune imbécile dont le père a été quelqu'un, je ne veux la mort de personne, pas non plus celle du jeune crétin, je veux accueillir l'étranger, celui qui fuira le cyclone, les bombes, les tyrans, la faim, je veux envisager l'autre, vivre en bon voisinage, et tout homme m'est prochain.

mercredi 25 septembre 2024

Passe avec la pluie

 Ce qu'il y a dans le bruit de la pluie, le clapotis clair sous les nuages gris, peu de lumière mais un hachis d'espaces indéfinis, ce qui se dit du temps qu'il fait tant pis, ce qu'on a fait du temps aussi, c'est à l'averse qu'on se plie, baleine tordue de parapluie, on perle trempé, perclus, soupir.

Enfant tu lançais des pierres dans les flaques et la boue t'étoilait des bottes au kabig rouge, et parfois nous y sautions à pieds joints -l'âge bête, disait la mère, l'âge bête cela expliquait tout mais n'excusait pas les taches de boue.

On ne court plus sous la pluie, on ne glisse plus dans la boue, c'est le temps qui pleut et fuit, nous laissant comme pierres au lit, moi fourbu presque à terre, toi dessous.