La ville au bord de l’eau

La ville au bord de l’eau
La ville au bord de l’eau huile sur toile, 1947 Donation Pierre et Kathleen Granville, 1969 © Musée des Beaux-Arts de Dijon/François Jay © ADAGP, Paris

samedi 15 août 2015

Ton sommeil

Tu aimais le sommeil, et tu savais le présenter à tes enfants comme un bonheur de l’existence et jamais je n'ai connu d'enfants plus prompts à réclamer et le lit et l'histoire quand l'heure était venue. Moi qui ne dors plus guère que par intermittence, j'ai toujours envié ce don que tu avais de dormir, d'endormir, de s'accorder la paix des draps, de l'offrir. La première fois que je suis venu en février au CHU, je t'ai vue assoupie par la fenêtre de ta chambre et je ne suis pas entré. J'ai attendu que tu t'éveilles et s'échappait de toi -tu te contrôlais tant, ta veille, ton qui-vive- et la petite fille et la très vieille femme que tu étais tout à la fois dans le raccourci du cancer, fragile comme les animaux de verre filé que nous achetions gamins au zoo de Vincennes, fragile et plissée, ton visage posé sur l'oreiller blanc, familier, méconnaissable, paisible cependant de ce sommeil de juste dont tu savais l'art comme personne.
Maintenant que morte tu ne dors plus, me manque ce visage qui concentrait toute ta vie, pas seulement ce qui en restait, pas seulement le signe de ta fin prochaine, mais bien toute ta vie dans ces plis, et ton cou gracile comme celui du cygne de verre acheté en juin au zoo de Vincennes il y a quarante ans déjà.

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