Sans titre

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Tal Coat

lundi 7 juillet 2025

Ordinaire d'un été moderne

 Le ciel désordonné nous fait son numéro d'été, brûle l'herbe, hache les champs, étoile les pare-brise, brise les toits des serres, effeuille le figuier qui ressemble à l'hiver, n'étaient ses fruits pourrissant, tossés par les grêlons, qui pendent aux branches comme couilles de vieillards. Les clématites ne couvrent plus le mur, les glaïeuls ne fleuriront pas, les rosiers grimpants rampent, tiens, le liquidambar a de nouveau perdu la tête. Nous ne goûterons pas le premier bergeron, il reste deux pêches à l'arbre et le marronnier du voisin, en tombant chez nous, a brisé net le nashi, qui git là feuilles et fruits couchés sur l'herbe. Le poirier penche qui épousa le vent, des fuchsias il ne reste rien, le vieux lilas s'est fendu en deux -les vieux manquent de souplesse.

Au téléphone on attend, on déclare, on sinistre, on apprend que les bosses sur la voiture ne seront pas réparées, mais qu'il existe une indemnité pour préjudice esthétique; que le jardin est assuré pour ses aménagements, qu'on peut faire changer les portiques, et le nashi si le cœur nous en dit. On fait revenir le couvreur, les velux posés la semaine passée sont cabossés de la carène, on appelle son frère qui est paysagiste, puisqu'il faut un devis pour remplacer portiques et nashi, on appelle un installateur de véranda -la nôtre a le toit percé, on dépose des photos dans le dossier sinistre, on est moderne on tape 2 parce que non pas de dégât des eaux, on explique ce qu'est un nashi au conseiller, l'eau est revenue mais pas internet, ah si, quant au courant, il va et vient, mais les chats vont bien, on les avait mis à m'abri.

vendredi 20 juin 2025

Incendies

 Le feu s'approche. Il semble que jadis on le maitrisait mieux, ou, toutefois, on le craignait moins: il était plus rare, relevait du fait divers. L'incendiaire était mis au ban, tenu pour fou, pervers enfant aux allumettes, minable escroc aux assurances, le feu ces années-là, c'était le sud, les Canadair, un monde lointain pour nous gens de l'ouest aux étés verts, amateurs de giroles d'orage dans les bois de chênes, celles qui poussaient en cercles jaunes trois jours après la pluie. Les campings évacués, les garrigues rôties, les squelettes calcinés des pins et la suie sur le visage creusé des pompiers, un autre monde, plus étranger que l'étranger pour nous qui disions que le soleil chauffait l'averse, qui ne sortions jamais le soir sans veste -il faisait cru, il faisait frais, on rentrait les enfants, on dinait dedans. Au matin, le sable de la plage était criblé de petits cratères: il avait plu, et le ciel en était comme neuf. L'été 76, nous n'avons rien compris, nous sommes restés dehors passé minuit attendant la fraîcheur qui ne venait jamais. Il y eut des incendies dans le pays du père, il y partit en meute avec ses frères, des champs, des granges avaient brûlé, ils soupçonnaient le métayer, n'en eurent jamais le cœur net, cet été là tant de champs brûlèrent, le sud s'était rapproché. Ce que ces feux annonçaient cet été de l'impôt sécheresse, nous ne l'avons pas mesuré, René Dumont était un huluberlu qui portait des chandails orange, nous avons oublié, retrouvé la pluie et nos certitudes d'enfants du bocage. Il a fallu qu'en 2003, l'été qui tua tant de vieillards, un matin, revenant du marché où j'étais allé tôt, je passe par la Véronne. Sous le petit pont, à Saint Martin, trois gamins se baignaient, bronzés comme des caramels, ces enfants du bocage hâlés comme des provençaux riaient s'éclaboussaient dans ce qu'il restait d'eau. Le grand incendie s'approchait.

lundi 16 juin 2025

En attendant l'orage

 Le soir de l'orage, je me suis hâté hâté de cueillir les groseilles, les cerises encore un peu blanches, les premières framboises jaunes, on entendait parler de risques de tornade, nous arrivait comme une catastrophe américaine, il fallait sauver les fruits, c'est une année à fruits, en connaitrons-nous beaucoup d'autres? Il a fallu deux heures pour équeuter les groseilles, à la radio la catastrophe israélienne, la guerre mondiale a commencé, elle est préventive -ça qui se dit- mais les carnages n'intéressent personne, et des crétins pérorent, autopromus augures des fluctuations des cours, experts en centrifugeuses persanes, "Tout le flot de purin de la mélodie mondiale", disait Ponge. Les groseilles m'ont rougi les mains, je les ensache et les congèle et je voudrais que le sang que font couler certains, ils ne puissent s'en laver les mains. Quant à moi, j'ai cueilli pour rien: un gros orage, des grêlons peu communs certes, mais de tornade point, les fruits on tenu bon et les fleurs se redressent. Les morts, eux, ne se relèvent pas.

mercredi 11 juin 2025

Happy days

 On le sait dès longtemps, mieux aurait valu ne pas -parler, jouir, fumer, boire, manger gras, écrire, naître sans doute, mais voilà, le mieux, le pas, c'est bien gentil mais il faut vivre, le pas le mieux, ils ont beau jeu les devins qui prédisent le passé, ce que je sais le mieux c'est de ne pas trop retourner sur ses pas, s'abimer dans ses traces, qui s'effacent, elles sont faites pour ça. Je crois qu'il faut dès matin regarder par la fenêtre, y trouver de la bonne humeur, j'ai l'âge de mes douleurs, disait l'aïeule en drama queen, c'est un peu vrai mais il faut en sourire, se souvenir de Jean Genet, de Divine portant son dentier comme un diadème, "Merde mesdames, je règnerai quand-même!" (je cite de mémoire, vérifie qui voudra). Par la fenêtre, ce qu'on voit, il faut parfois beaucoup de bonne volonté pour vivre avec, mais voilà, un rosier blanc, un bout de ciel, le soleil va percer, j'ai de la chance, une belle journée.

vendredi 6 juin 2025

Mother Nature's sons

 On avait allumé un feu pour effrayer les bêtes et déchirer la nuit, dans un cercle de pierres les braises avaient  pâli, et au réveil plus froid que jamais pas même blottis, on était jeunes, on n'osait pas. On était partis dans les bois, chercher le loup peut-être, on s'était perdus, à dessein peut-être, faute de loup, trouver le froid, on ne savait pas, on voulait apprendre, on avait trop lu, il nous fallait juger sur pièces. Nous nous connûmes et ce ne fut pas beau, nous ne serions pas les héros de nos romans secrets, ce que nous avons compris, la leçon, amère.

dimanche 1 juin 2025

Fruits d'été

J'ai cueilli des cerises, les merles en avaient laissé, c'est la première année qu'ils partagent, elles sont charnues, sucrées, les pêches grossissent sur le jeune pêcher, nous semble promis un été de fruits, n'était la grêle qui peut toujours venir hacher les espérances, gâcher la joie des confitures, mais pour l'heure espérons, cela fait vivre dit-on, et l'échéance est raisonnable. J'aimerais surtout goûter au seul abricot de l'abricotier, cet effort d'un fruit dès la première année, mais il ne grossit plus guère, encore n'est-il pas tombé, j'attends un peu pour en désespérer, et s'il tombait n'en serais point amer: me resteraient les grappes de groseilles, de cassis, s'annoncent les framboises en nombre, et le figuier courbe sous le poids de ses figues, énormes dès avant l'été, un été de fruits, ce qui  nous est promis.

mercredi 28 mai 2025

Ohimé

 C'est bientôt l'été. Le temps ne fait que passer dirait-on, à voir les nuages par légions déferler sur l'horizon vague. C'est bientôt l'été, ohimé, le temps ne fait pas que passer, il roule le temps, furieux camion, gros fardier, ohimé, nous brise les os sous les horions, je suis un boxer groggy sous les coups de l'âge, le vieillard  qui divague et titube en ivrogne sur le chemin qu'incendient les digitales. C'est bientôt l'été, j'embrasse son ombre et crains le soleil désormais, ohimé, je tiens à ma peau qui s'écaille, chagrin de lézard albinos qui voyant poindre l'astre, cherche crevasse, anfractuosité où rétracter sa carcasse, bientôt l'été, ohimé, c'est dégueulasse le temps qui passe, j'aurais tant voulu vieillir avec grâce, ce ne me sera pas donné.

vendredi 23 mai 2025

L'effacement

 Voici dix ans passés que tu ne réponds plus, longtemps je t'ai parlé, maintenant plus, j'ai perdu le souvenir de ta voix, peut-être est-elle enregistrée au détour d'un film, je ne sais plus si vous filmiez les premiers pas de vos enfants, c'est possible, je ne me souviens plus. Dix ans sans toi, ton effacement, j'ai lutté sans succès, on sait qu'on va perdre, on lutte pourtant, mais tu ne cesses de disparaître, cela qui t'effrayait tant. Sans toi, plus d'enfance commune, plus de témoin, mon passé, comme une fiction, s'échappe, un rêve de frère et sœur qui ne survit pas à mon réveil, a-t-elle seulement existé l'enfance que j'évoque à tes enfants, toujours étonné que tu leur aies si peu parlé de toi, de nous petits. De tout cela que reste-t-il, pas grand chose, de moins en moins, on s'approche du rien, mais si tu ne cesses de disparaitre, c'est que tu n'as pas disparu, pas totalement disparu, le rien qu'on approche est hors d'atteinte, la flèche de Zénon ne touche pas son but.

dimanche 18 mai 2025

Provisoire Arcadie

 Passe avec l'heure la brume de mai. Le pavot a tombé la coque et déploie son éclat froissé sous le soleil revenu. Le figuier croule sous des fruits étonnamment précoces, les poires promettent d'être nombreuses, les cerises rosissent, les groseilles aussi: chacun se hâte de vivre de prendre le soleil qui s'offre, de boire l'eau de la terre et la mare s'en est ressentie. Ici on entend les grives glorieuses et l'âne nain qui braie comme un grand. On pourrait croire que rien ne change, chaque mouton à tête noire  porte une cloche qui teinte le soir, on se dit quand on rentre qu'on échappe au chaos, que l'extinction, pas ici, on se trompe évidemment, mais dans l'effondrement général, l'illusion aide à vivre, une Arcadie de provision, roucoulement de pigeons, cri du paon qui vague au hameau, éclair roux de l'écureuil qui grimpe au charme, un enchantement, un sort heureux jusqu'à ce que.

samedi 10 mai 2025

Maille à l'envers

 Il suffirait de tirer le fil, de faire rouler la pelote, quitte à détricoter le pull comme  s'y employait la tante experte, jadis, lorsque la marraine avait encore imaginé le filleul comme un être aux bras trainant par terre, et la petite dame rousse reprenait la laine perdue des manches infinies pour ajouter au torse les rangs de mailles qui manquaient. Cela prenait du temps, il fallait de la patience, de l'attention, compter, penser aux diminutions, mais à la fin de l'été le chandail -on disait ainsi- était prêt, aux mesures de l'adolescent maigre paré pour affronter l'automne. On rêve qu'il en aille de même des souvenirs, qu'on puisse en reprendre la trame, renouer les points, réparer les erreurs, mais on s'esquinterait en vain, rien n'est rattrapable, alors on laisse filer.