Sans titre

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Tal Coat

jeudi 21 août 2025

Synchrones

 C'est l'été, disent les imbéciles en se voilant la face, les forêts ont toujours brûlé l'été, c'est la saison des chaleurs, il y du bonheur dans les glaces vendues en bord de mer, il faut profiter de l'eau chaude et  du soleil, il faut profiter, c'est leur verbe, tant pis pour les forêts qui repousseront et pour le reste, la clim à fond et dieu pour tous.

Notre jardin souffre, les arbres perdent leurs feuilles, je ferais bien des danses de pluie, n'était la crainte du ridicule et la vanité de l'effort. On arrose modérément, les nappes phréatiques sont en baisse. Je ressemble au jardin, je vieillis, ça craint, mais au train où va le monde, il n'est pas certain que je n'en voie pas la fin, que nous ne soyons pas, pour une fois, synchrones.

vendredi 8 août 2025

Drôle d'été

Un peu de vent dans les feuillages, un ciel gris clair, dix minutes de crachin qui n'étaient pas prévues, la canicule tarde à pointer par ici, qui s'en plaindrait?  Elle viendra dans quelques jours, durera moins qu'ailleurs, on ne lui tiendra pas rigueur de son départ, bon vent, bouffée de chaleur, jusqu'à la prochaine fois. Il faut arroser le jardin, l'estragon mexicain jaunit, il faudrait tondre, l'herbe est encore verte, comme un pré fleuri d'ombelles blanches -pourquoi tondre alors? les ombelles se balancent au vent dans un bourdonnement d'insectes qu'on souhaite mellifères, le glaïeul rose pointe sa hampe de survivant de la grêle, les aillets fleurissent au pied des rosiers chargés de boutons vitalité, fragilité, on ne sait trop, on ne choisit pas, on jouit de l'air chargé d'arômes, le persil monte en graine, et je confonds sarriette et serpolet.

lundi 28 juillet 2025

Un mois après

Trois glaïeuls en fleur s'annoncent dans le hachis des feuilles brisées, quatre roses au sommet du grimpant, quatre roses roses, Pierre de Ronsard, quatre roses sont revenues d'après la grêle, Pierre de Ronsard est un têtu, quelques tiges de fuchsia se hasardent à clocheter en carmin parme, les althéas s'épanchent en bleu blanc violet, la sauge ananas a doublé de volume et la ciboulette chinoise fleurit, la menthe chocolat aussi, c'est l'insidieuse chanson de la résilience, l'habituel sparadrap sur les malheurs modernes. Car dire cela c'est choisir de ne pas voir les centaines de branches blessées, les plaies des troncs si nombreuses qu'ils en sont écorcés par endroits, livrés à la vermine et aux champignons divers, cloques, encre du châtaigner, c'est ignorer qu'aucune figue n'est exempte d'impact, que les deux pêches encore accrochées à leur tiges ne grossissent plus, que les poires criblées ont noirci, j'en passe et des plus moisies. Le jardin s'en remettra, on veut le croire, mais pas de miracle (on le savait déjà).

lundi 7 juillet 2025

Ordinaire d'un été moderne

 Le ciel désordonné nous fait son numéro d'été, brûle l'herbe, hache les champs, étoile les pare-brise, brise les toits des serres, effeuille le figuier qui ressemble à l'hiver, n'étaient ses fruits pourrissant, tossés par les grêlons, qui pendent aux branches comme couilles de vieillards. Les clématites ne couvrent plus le mur, les glaïeuls ne fleuriront pas, les rosiers grimpants rampent, tiens, le liquidambar a de nouveau perdu la tête. Nous ne goûterons pas le premier bergeron, il reste deux pêches à l'arbre et le marronnier du voisin, en tombant chez nous, a brisé net le nashi, qui git là feuilles et fruits couchés sur l'herbe. Le poirier penche qui épousa le vent, des fuchsias il ne reste rien, le vieux lilas s'est fendu en deux -les vieux manquent de souplesse.

Au téléphone on attend, on déclare, on sinistre, on apprend que les bosses sur la voiture ne seront pas réparées, mais qu'il existe une indemnité pour préjudice esthétique; que le jardin est assuré pour ses aménagements, qu'on peut faire changer les portiques, et le nashi si le cœur nous en dit. On fait revenir le couvreur, les velux posés la semaine passée sont cabossés de la carène, on appelle son frère qui est paysagiste, puisqu'il faut un devis pour remplacer portiques et nashi, on appelle un installateur de véranda -la nôtre a le toit percé, on dépose des photos dans le dossier sinistre, on est moderne on tape 2 parce que non pas de dégât des eaux, on explique ce qu'est un nashi au conseiller, l'eau est revenue mais pas internet, ah si, quant au courant, il va et vient, mais les chats vont bien, on les avait mis à m'abri.

vendredi 20 juin 2025

Incendies

 Le feu s'approche. Il semble que jadis on le maitrisait mieux, ou, toutefois, on le craignait moins: il était plus rare, relevait du fait divers. L'incendiaire était mis au ban, tenu pour fou, pervers enfant aux allumettes, minable escroc aux assurances, le feu ces années-là, c'était le sud, les Canadair, un monde lointain pour nous gens de l'ouest aux étés verts, amateurs de giroles d'orage dans les bois de chênes, celles qui poussaient en cercles jaunes trois jours après la pluie. Les campings évacués, les garrigues rôties, les squelettes calcinés des pins et la suie sur le visage creusé des pompiers, un autre monde, plus étranger que l'étranger pour nous qui disions que le soleil chauffait l'averse, qui ne sortions jamais le soir sans veste -il faisait cru, il faisait frais, on rentrait les enfants, on dinait dedans. Au matin, le sable de la plage était criblé de petits cratères: il avait plu, et le ciel en était comme neuf. L'été 76, nous n'avons rien compris, nous sommes restés dehors passé minuit attendant la fraîcheur qui ne venait jamais. Il y eut des incendies dans le pays du père, il y partit en meute avec ses frères, des champs, des granges avaient brûlé, ils soupçonnaient le métayer, n'en eurent jamais le cœur net, cet été là tant de champs brûlèrent, le sud s'était rapproché. Ce que ces feux annonçaient cet été de l'impôt sécheresse, nous ne l'avons pas mesuré, René Dumont était un huluberlu qui portait des chandails orange, nous avons oublié, retrouvé la pluie et nos certitudes d'enfants du bocage. Il a fallu qu'en 2003, l'été qui tua tant de vieillards, un matin, revenant du marché où j'étais allé tôt, je passe par la Véronne. Sous le petit pont, à Saint Martin, trois gamins se baignaient, bronzés comme des caramels, ces enfants du bocage hâlés comme des provençaux riaient s'éclaboussaient dans ce qu'il restait d'eau. Le grand incendie s'approchait.

lundi 16 juin 2025

En attendant l'orage

 Le soir de l'orage, je me suis hâté hâté de cueillir les groseilles, les cerises encore un peu blanches, les premières framboises jaunes, on entendait parler de risques de tornade, nous arrivait comme une catastrophe américaine, il fallait sauver les fruits, c'est une année à fruits, en connaitrons-nous beaucoup d'autres? Il a fallu deux heures pour équeuter les groseilles, à la radio la catastrophe israélienne, la guerre mondiale a commencé, elle est préventive -ça qui se dit- mais les carnages n'intéressent personne, et des crétins pérorent, autopromus augures des fluctuations des cours, experts en centrifugeuses persanes, "Tout le flot de purin de la mélodie mondiale", disait Ponge. Les groseilles m'ont rougi les mains, je les ensache et les congèle et je voudrais que le sang que font couler certains, ils ne puissent s'en laver les mains. Quant à moi, j'ai cueilli pour rien: un gros orage, des grêlons peu communs certes, mais de tornade point, les fruits on tenu bon et les fleurs se redressent. Les morts, eux, ne se relèvent pas.

mercredi 11 juin 2025

Happy days

 On le sait dès longtemps, mieux aurait valu ne pas -parler, jouir, fumer, boire, manger gras, écrire, naître sans doute, mais voilà, le mieux, le pas, c'est bien gentil mais il faut vivre, le pas le mieux, ils ont beau jeu les devins qui prédisent le passé, ce que je sais le mieux c'est de ne pas trop retourner sur ses pas, s'abimer dans ses traces, qui s'effacent, elles sont faites pour ça. Je crois qu'il faut dès matin regarder par la fenêtre, y trouver de la bonne humeur, j'ai l'âge de mes douleurs, disait l'aïeule en drama queen, c'est un peu vrai mais il faut en sourire, se souvenir de Jean Genet, de Divine portant son dentier comme un diadème, "Merde mesdames, je règnerai quand-même!" (je cite de mémoire, vérifie qui voudra). Par la fenêtre, ce qu'on voit, il faut parfois beaucoup de bonne volonté pour vivre avec, mais voilà, un rosier blanc, un bout de ciel, le soleil va percer, j'ai de la chance, une belle journée.

vendredi 6 juin 2025

Mother Nature's sons

 On avait allumé un feu pour effrayer les bêtes et déchirer la nuit, dans un cercle de pierres les braises avaient  pâli, et au réveil plus froid que jamais pas même blottis, on était jeunes, on n'osait pas. On était partis dans les bois, chercher le loup peut-être, on s'était perdus, à dessein peut-être, faute de loup, trouver le froid, on ne savait pas, on voulait apprendre, on avait trop lu, il nous fallait juger sur pièces. Nous nous connûmes et ce ne fut pas beau, nous ne serions pas les héros de nos romans secrets, ce que nous avons compris, la leçon, amère.

dimanche 1 juin 2025

Fruits d'été

J'ai cueilli des cerises, les merles en avaient laissé, c'est la première année qu'ils partagent, elles sont charnues, sucrées, les pêches grossissent sur le jeune pêcher, nous semble promis un été de fruits, n'était la grêle qui peut toujours venir hacher les espérances, gâcher la joie des confitures, mais pour l'heure espérons, cela fait vivre dit-on, et l'échéance est raisonnable. J'aimerais surtout goûter au seul abricot de l'abricotier, cet effort d'un fruit dès la première année, mais il ne grossit plus guère, encore n'est-il pas tombé, j'attends un peu pour en désespérer, et s'il tombait n'en serais point amer: me resteraient les grappes de groseilles, de cassis, s'annoncent les framboises en nombre, et le figuier courbe sous le poids de ses figues, énormes dès avant l'été, un été de fruits, ce qui  nous est promis.

mercredi 28 mai 2025

Ohimé

 C'est bientôt l'été. Le temps ne fait que passer dirait-on, à voir les nuages par légions déferler sur l'horizon vague. C'est bientôt l'été, ohimé, le temps ne fait pas que passer, il roule le temps, furieux camion, gros fardier, ohimé, nous brise les os sous les horions, je suis un boxer groggy sous les coups de l'âge, le vieillard  qui divague et titube en ivrogne sur le chemin qu'incendient les digitales. C'est bientôt l'été, j'embrasse son ombre et crains le soleil désormais, ohimé, je tiens à ma peau qui s'écaille, chagrin de lézard albinos qui voyant poindre l'astre, cherche crevasse, anfractuosité où rétracter sa carcasse, bientôt l'été, ohimé, c'est dégueulasse le temps qui passe, j'aurais tant voulu vieillir avec grâce, ce ne me sera pas donné.