Le ciel entre par la fenêtre, encore pâle, affaibli par le feuillage, l'automne se devine, je regarde, avec les espérances de saison: qu'il reste quelques roses, que poussent les champignons avant que la maison ne rétrécisse autour du poêle, finalement la soupe au potiron ce n'est pas si mal, mais attendons un peu, ce matin le ciel bleu entre par la fenêtre, les feuilles frémissent sur les arbres, les premiers gels n'ont pas eu lieu, et vendredi encore, nous avons dîné dehors à Rouen, c'était agréable, c'était inquiétant, le chaos s'amorce, ces temps sont atroces, mais dieu qu'il fait bon.
Le ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.
Ronde jaune et orange
Arpad Szenès, Ronde jaune et orange, 1955
lundi 22 septembre 2025
mercredi 17 septembre 2025
Embrasser l'instant
On a guetté toute sa vie durant, on a guetté trop longtemps peut-être le bon moment. Ce que c'est, si seulement on le savait ce que c'est, on s'en serait saisi, on s'en saisirait, ça mordrait à l'hameçon, il n'y aurait plus qu'à ferrer le poisson d'argent, le poisson d'or et faire un vœu, or non, le bon moment, ça qu'on ignore, on y a rêvé souvent, à quoi ça ressemblerait faire la bonne chose au bon moment manger la poire mûre mais pas blette, guetter le rayon vert en juin sur une falaise de craie, décider qu'il est temps de boire le vieux vin? Le kairos, c'est pour les cuistres, nous ce qu'on veut, c'est embrasser l'instant, lui trouver du goût, du sens, le trouver bon, le moment, bon au point que ça valait la peine d'attendre.
dimanche 14 septembre 2025
Sous le vent
Il y a eu tant de dégâts, les nuages, on les laisse filer, on espère juste qu'ils crèvent un peu plus loin, qu'ils lapident ailleurs ou moins fort, un peu plus loin. Nous avons pu cueillir des quetsches, elles n'étaient pas formées lors de la grêle de juin, mais il ne reste que peu de coings, les poires sont tordues et noircies, les figues tombées par terre avant d'avoir mûri. Le petit ciel de la fenêtre a viré au gris, revient au bleu, c'est qu'il vente, on écoute le vent souffler, on fait des vœux pour qu'il vente ailleurs, qu'il aille plier d'autres haies, qu'il aille arracher d'autres arbres, ailleurs, les nôtres ils ont déjà souffert, feuilles déchiquetées, troncs grêlés à faire sauter l'écorce, alors oui nous craignons le vent, l'eau, les pierres tombées du ciel qui brisent les carreaux, les ardoises, qui hachent blé comme lin, on voudrait croire à l'accident, mais nous savons qu'il n'en est rien.
mardi 9 septembre 2025
Au téléphone (souvenir)
Voici quelques années, mon père venait de mourir, je l'avais appris un peu par hasard, j'en étais surpris, pas affecté, surpris, il était mortel après tout, j'avais fini par en douter, j'ai téléphoné à Maryelle et Jean pour les en informer, c'est lui qui a décroché, et avant que je puisse rien dire, il m'a appris la mort de son frère Roland, je n'ai pu que répondre mon père est mort aussi. S'ensuivit un silence, il a chuchoté à Maryelle Paul est mort, puis a repris nous avons une drôle de conversation, ce qui était exactement observé -mon oncle était un homme aussi bon que précis. Il n'a pas eu le temps d'ajouter je te passe ta tante, qu'impatiente elle avait pris le combiné et d'un souffle: De toute façon pour toi il était mort depuis longtemps, et c'était la vérité même, une parole de fée qui délivre d'un sort.