Sans titre

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Tal Coat

mardi 29 octobre 2024

Le bel aujourd'hui

 Le soleil presque laiteux ce matin dans ce ciel bleu layette donne à Mozart des parfums d'automne, de boskoop à la peau rugueuse, saveur de passe-crassane un peu pierreuse, les quatuors dédiés à Haydn  esquissent des danses de feuilles heureuses, il n'est pas poisseux Mozart, les feuilles scintillent d'une rosée tardive, dernières roses perlées, derniers dahlias ployant sur des tiges trop fragiles, l'automne a ce sourire timide de vieillard pendant l'éclaircie, c'est maintenant, c'est aujourd'hui. Les écrans vomissent des haines recuites, des joies mauvaises, il ne les éteint pas Mozart, du moins on aime croire qu'il les affaiblit (pas si sûr, disons qu'il les met en sourdine, déjà ça, ce repli qu'il permet, cette joie fragile). 

On aimerait que traverse ici l'écureuil qui zèbre le jardin dans sa razzia d'octobre (les noisettes y sont toutes passées), voir s'enfouir sous les feuilles le hérisson menacé d'extinction, s'assurer qu'il passera l'hiver, un rêve d'arche de Noé, Mozart s'alanguit, c'est une autre mouvement, plus mélancolique, que reste-t-il du vivant? Le jardin frémit, juste un peu de vent, Palestine, Liban, atrocités sur les écrans, ce qui se passe est accablant, le jardin n'en peut mais, on a coupé Mozart, horrifiés on regarde jusqu'où la rage à l'horizon toujours renouvelé.

lundi 28 octobre 2024

Le temps nous manque

 Il ventait à la Torche, sur la pointe du Raz, sur la côte sauvage, on en était saisis, comme si rien ni jamais ne pourrait changer là, comme si l'écume jaune et blanche, comme si la stupeur du granit, la houle fracassée entre vert, bleu, gris et bronze, comme si le ciel, l'élémentaire orgie jouait d'un autre temps, qui ne pouvait être le nôtre. Et cependant la côte recule, les abers nous annoncent le destin des fleuves, on a empierré, c'est un peu vain, les bords de la plage où nous avons dormi derrière un un rideau théâtral, à Plougasnou où cinq surfeurs attendent inlassablement la vague de bonne période, question de rythme, affaire de temps. Le temps nous manque la dentelle blanche de l'éventail se déploie sur la grève brunie d'algues, laminaires arrachées des fonds par la marée, par la tempête, comme le furent les pins les cupressus qui protégeaient le jardin Georges Delasselle au bout de Batz -je nomme le jardin, pas la tempête. Le temps nous manque et cependant on a reconnu la Laïta, ses dix kilomètres ses restes d'abbaye dans une lumière inchangée un chêne beau comme un poème, jusqu'au Pouldu cet étrange estuaire dont la barre d'écume brille comme l'acier, brisant la douceur de l'anse. On s'est arrêté là, c'est là qu'on reviendra, une autre fois, qu'on tâchera de retrouver.

mercredi 9 octobre 2024

Lachrimae

 Il pleut des cordes, des chats des chiens des seaux, ça tombe du ciel, pas la manne pas un fléau, rien que de l'eau, un mois de pluie en quelques heures, un déluge sans radeau, de quoi remplir la mare et la citerne enfouie, de quoi verser dans l'automne, ciel bas, feuilles déchues, chats dormant sur le bureau, où nous en sommes, chaleur du poêle, lampes de bureau, des airs de Dowland, goûter la mélancolie même, la Normandie sous ce vent là c'est campagne anglaise, on va faire siffler la bouilloire, boire un mug de thé noir, pas de scones, va pour une madeleine, la pluie ça nous va bien, on brûle le vieux saule pleureur, c'est un arbre léger qui fond sous la flamme, dont il ne reste rien après avoir brûlé.

jeudi 3 octobre 2024

Au dedans

 Je n'ai pas gardé les photos, ou si peu et par accident, et celles que j'ai conservées je ne les regarde jamais, il ne faut pas se retourner, on perd son âme en un coup de vent, on s'émeut de succédanés, d'oripeaux jaunis, couleurs d'un autre temps qui n'a jamais été celui qui s'offre à voir. C'est tuant de se retourner, il fallait les aimer vivants ceux qui nous manquent, sentir leur souffle sur la nuque, hallucinant, se détromper, ceux qu'on aima ne nous suivent pas, ceux qu'on aima sont au-dedans, vivent en nous sans peser et font comme si de rien n'était.