jeudi 19 avril 2018

Printemps chinois

Et cette chaleur éclatante, le sucre jaune du colza, les jacinthes en tapis dans les sous-bois, les cerisiers en fleurs, nous les avons connus, nous les avons aimés les printemps normands, les reverdies des Yvelines, les premiers lézards sur les murs de granit des chemins du Croisic, voilà c'est revenu et ce n'est pas pareil, c'est plus chaud, plus tôt, c'est la poussée de sève et le début de la fin du monde et c'est sans toi, l'inversion du Gulf Stream, la mort des oiseaux. Un bébé pleure que j'entends par la fenêtre ouverte, nuit de juin pour un soir d'avril. Il fait chaud à faire fondre le chocolat des tablettes, à faire éclore des nuées d'insectes, mais les papillons sont rares et tu manques et c'est nul. J'aurais voulu te dire que ton fils est heureux, qu'il vit en Chine et s'ouvre des possibles dans un monde où tout est difficile, que ce printemps est sien quand j'entends son bon rire au téléphone, qu'il vit à sa façon foutraque, baroque et bordélique. Son chemin n'appartient qu'à lui, ce qu'il trace nulle idée, mais l'élan de vie, ça je sais, tu aurais tellement aimé le voir ainsi si vivant qu'on aurait pensé, contre toute logique, la fin du monde ce n'est peut-être pas quand même pour tout de suite.

2 commentaires:

  1. Traduction en Oc de Stéphane Lombardo:

    Prima chinesa

    E aquesta calor esclatanta, lo çucre jaune dau caulet-raba, lei jacintas dins lei bòscs, lei agriotiers en flors, leis avèm coneiguts, lei avèm amadas lei primas normandas, lei reverdidas deis Yvelines, lei premierei renglòras sus lei parets de granit dei camins dau Croisic, vaquí es tornat e es pas parier, es pus caud, pus lèu, es la possada de saba e la debuta de la fin dau monde e es sensa tu, l'inversion dau Gulf Stream, la mòrt deis aucèus. Un bambin plora qu'ause per la fenèstra dubèrta, nuech de junh per un mes d'abriu. Fai caud a far se fondre lo chicolat dei tauletas, a far espelir de nivoladas d'insèctes, mai lei parpalhons son rares e me languisse de tu e es minable. T'aguèsse vougut dire que ton fiu es urós, que demòra en China e se duerb de possibles dins un monde ont tot ven a mau, qu'aquesta prima es sieuna quand ause son bòn rire au telefòn, que viu de son biais, fotrac, baròc e bordelic. Son camin es pas que sieu, çò que traça ges d'idèa, mai l'abriva de vida, aquò o sabe, t'aguèsse tant agradat lo veire ensin tant viu qu'òm se seriá pensat, còntra tota logica, la fin dau monde es benlèu pas, pasmens, sus lo còp.

    RépondreSupprimer
  2. Ce texte poignant mêle avec brio les émotions personnelles et les préoccupations écologiques actuelles. L’auteur, véritable artiste des mots, parvient à tisser un lien subtil entre le bouleversement climatique et une intimité touchante, où le manque et la mémoire jouent un rôle central. La métaphore du « printemps chinois » n’est pas anodine : elle évoque à la fois une réalité lointaine et l’idée d’un dérèglement global qui affecte désormais tous les printemps, même normands. Les images fortes — la chaleur prématurée, les jacintes précoces, l’inversion du Gulf Stream — dessinent un paysage à la fois familier et inquiétant. Ce mélange de poésie et d’alerte environnementale rappelle que les changements climatiques ne modifient pas seulement le monde extérieur, mais aussi nos rapports humains et notre manière de vivre le temps. En arrière-plan, l’évocation du fils en Chine ajoute une dimension universelle à cette réflexion sur l’avenir incertain de la planète. On ressent, malgré l’angoisse, une forme d’espoir dans cette vitalité juvénile qui persiste, contre toute logique, face à l’effondrement annoncé.

    RépondreSupprimer