Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

lundi 30 mars 2015

Satori

Tu voulais voir les crocus sur la pelouse en pente, ce furent des jonquilles et les premières tulipes. Printemps donc que tu vis voilée dans ton écharpe, et j'ai chanté des chansons idiotes, poussé trop vite ton fauteuil sur le parking du CHU, à faire trembler les perfs sur l'étrange potence qui te faisait comme un paratonnerre un mètre au-dessus de ta tête. Tu riais de ce visage de vieillarde et de petite fille qui t'était venu depuis quelques semaines, et te poussant j'apercevais ton cou maigre et l’œdème de tes joues. Nous avons fait trois fois le tour du rond point: lumière, ombre lumière, ombre, lumière ombre. Un vieil infirmier fumait sous le porche et nous a regardés. J'ai chanté Méditerranée en accentuant tous les e muets, tu as ri puis tu as toussé puis tu as eu froid. J'ai repris le chemin de ta chambre lentement, par l'ascenseur des patients, la chambre de ta mort et tu souriais encore.

vendredi 27 mars 2015

l'heure approche

L'heure approche où vous tenir
la main sera pour vous dire
qu'on est là
mais qu'on est là ce n'est rien
et ce lieu qu'on nomme on ne l'atteint pas.

Vous serrer la main
vous dire qu'avoir peur cela ne sert à rien
la gorge me serre
et je ne dis rien.

Vous mentir encore
dire que ça ira bien
vous dire de tenir
bon quand rien ne tient
plus que je n'y peux rien.

Vous sentir partir le long de ma main
voir s'évanouir l'espoir du matin
tomber votre corps
le regard lointain
rimer des je t'aime
le regard éteint
demander encore
et n’obtenir rien.

lundi 16 février 2015

Pour Lubin Baugin

Fatigué comme on ne l'est pas, on gravira cependant les marches du musée, on traversera les deux grandes salles, on ne regardera pas le Nouveau-né sur-éclairé, non, la seule vertu ce jour à combler le chagrin, c'est la douceur de Lubin Baugin. Des bleus tendres, des mains jointes à la base du cou d'une vierge si douce, l'enfant la main tendue pour caresser la mère, il y a dans cette manière matière à consolation, et de fait, le pas lourd encore de la petite chose qu'on vit à l'hôpital, méconnaissable dans son sommeil, la peau ridée sur la chair perdue, on redescend presque serein, on ne sait pas par quel chemin, mais on rend grâce à Lubin Baugin qui nous a redonné la paix.

dimanche 8 février 2015

Jour d'enfance à Niamey

L'enfance me reprit, c'était un samedi, c'était sur le Niger et je revois l'ombre du manguier où la pirogue nous attendait, et je revois les merles bleus, et je brûle de ma peau rouge de blanc repu d'hiver, ma peau d'hiver saisie par le soleil d'aplomb, cet enchantement d'herbes, d'oiseaux surpris, plongeons d'hippopotames et rires sur les rives. Sur l'île, je ne me souviens pas d'hommes, ils pêchaient sans doute, juste des mères, des théories d'enfants fiers de me mener à l'école, à peine de l'institutrice, du tableau plein de grammaire à la craie. Je fus enfant ce jour pour la dernière fois, et grande fut ma joie aux pets d'hippopotames.
Je pourrais dire: c'était un autre temps, le monde était offert, le soleil exact et ma peau naïve; un autre temps pas si lointain, mais la herse est tombée comme le soleil le soir dans le fleuve, et l'enfance avec avec lui.

lundi 2 février 2015

Qu'elle tombe

Et voilà qu'elle tombe et nous voue au silence. Elle est la loi d'un nouveau monde, et tout nous est méconnaissable. C'est à la vue qu'elle s'attaque: elle abolit les les paysages, conteste la profondeur, nous fait douter d'être là. C'est à l'espace qu'elle s'en prend, à nos ombres, à nos pas qu'elle étouffe, qu'elle efface. Et nous voilà rêvant qu'elle tombe assez longtemps pour que figeant le jour les crimes en soient lavés, que la fée qu'elle nous semble nous donne les trois vœux qui changeraient la donne, aboliraient la rage et la boue qui nous pèsent.

jeudi 22 janvier 2015

Ombres de nous-mêmes

Et personne, alors, pour nous dire ce que nous allions faire, comment nous allions rire, quand il fut bien clair que ce bélître de dieu gisait, mort de ses prétentions. L'homme qui nous l'apprit l'avait lu dans le regard perdu d'un cheval fouetté, à Turin, l'homme y avait vu que libérés de dieu nous nous vengerions sur les bêtes, et bêtes enragées nous vomirions le vivant, nous le ferions saigner d'une haine vile. Nous furent refusés et l'espoir et la paix, et c'est à nous-mêmes qu'il fallut se vouer, de nous mêmes qu'il fallut désespérer.
Sans dieu pour enchanter le ventre creux des pauvres, sans dieu pour justifier les appétits des grands, sans dieu pour sacrer la sueur de nos amours, sans dieu pour éclairer le jour, accepter la nuit, sans dieu pour pardonner les fautes prétendues, sans dieu pour sonder nos reins douloureux, nos coeurs écoeurés, serrer les dents sans dieu, et sans dieu se tenir debout dans un deuil joyeux.

mardi 20 janvier 2015

Promesse de neige

Les enfants attendaient la neige. Les enfants sont sans patience. Ils criaient pour crever les nuages, dessinaient sur leurs cahiers des canons pointés vers le ciel bas, faisaient cercle dans la cour, païens sous les arbres dépouillés, défiant de toutes leurs forces l'équilibre des nues. Qu'ils tombent, les flocons sur les paumes rouges de nos mains dégantées, qu'ils couvrent la route de l'école, qu'on ne la retrouve jamais, qu'y disparaisse l'auge gelée des boeufs et la voiture du père, qu'ils figent dans le silence l'élan terrible de la vie, qu'ils soient la vie même avant de recouvrir la vie. Ils sont énervés disaient les maîtresses qui les voyaient tendus vers les fenêtres, jusqu'à ce que la cloche de quatre heures et demi les libère dans la nuit tombante, la boue, la pluie, puis les premiers flocons qu'ils faisaient fondre sur la langue avec de petits gloussements transis.

samedi 17 janvier 2015

Sages comme des images

La saison de mélancolie, jours bornés, vue raccourcie, gués en crue dans la vallée ronde, semble devoir durer, pesant sur nos vies blêmes. La boue s'épand des champs, verse sur les pentes des ruisseaux café au lait. On peut courir de la place à la boulangerie, c'est trempés qu'on rentre, le pain sous le manteau, le bon pain d'ici qu'on sauve de la pluie. Dans les arbres nus des oiseaux blottis, sous les haies d'épines des troupeaux accablés. Au creux des nuages amassés, le visage haineux des dieux morts.Les enfants laissent au garage les ballons et les bicyclettes, les enfants sages dans leurs chambres préparent sur leurs écrans les crimes de demain, nous tiennent pour comptables des poisons du siècle, occultent leurs fenêtres, se moquent du jardin miteux où nous guettons les premiers bourgeons. Ils s'éraillent les yeux à chercher d'autres signes, s'inventent un idéal plein de fautes d'orthographe. Que dévoreront-ils sinon nous qui avons déjà tout mangé? Quelle lumière, quel sens à leurs jours sous les nuées roses des poussières de nos feux? Prévenant leur colère, nous leur donnons des images aux enfants sages de la caverne moderne. Nous leur bandons les yeux d'étoffes chatoyantes et les menons mélancoliques sur le chemin dont l'horizon s'effondre.

mercredi 14 janvier 2015

Ce n'est pas mon pays

Et, s'arrêtant soudain, passée la porte de la ville où s’érigeait le pilori, devant les rangs de la milice qui beuglait un Te Deum de patronage, elle se figea la vieille Tessa, cracha par terre et dit: "Ce n'est pas mon pays". Puis elle se retourna, reprit le chemin, franchit la poterne et s'éloigna dans l'écho de la marche martiale et ridicule qu'entonnaient de jeunes gens ivres.

mardi 13 janvier 2015

Règne des morts

Alors ce furent de grands cris par la plaine. On porta les corps, on les lava, les plaies furent recousues et les sutures masquées à la cire. Assis sur le trône, les morts régnèrent tout un jour, et leurs noms furent inscrits sur les stèles des carrefours, leurs portraits brandis parmi les reliques et les bannières. On vint en procession les saluer et les enfants chantaient leur gloire. Enfin on leur soumit les vaincus qui furent agenouillés et le boucher passa derrière chacun d'entre eux, les égorgeant de son meilleur couteau et chaque jaillissement de sang sur l'arène fit retentir des hourras. Il fallut toute l'énergie des gardes pour empêcher la foule de les démembrer et jeter leurs restes aux pourceaux.
Il y eut des fleurs brandies par des bras tremblant de haine et des prières remâchées. Les dépouilles des martyrs furent promenées par la ville, que suivait le prince sanglotant à bouillons pendant que dans les faubourgs brûlaient les maisons des maudits. On y avait enchaîné leurs épouses, leurs pères, les enfants et les domestiques. On brûla jusqu'à leur bétail, et les hurlements des incendiés causèrent la joie d'un très grand nombre. Je me trouvai bien seul à m'effarer des promesses atroces d'un temps où l'on s'efforçait d'enrager la rage.