Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

dimanche 29 septembre 2013

In beauty I walk

Puisque perdue dans les pois, vous nous perdez sous les spots et liez les led en guirlandes d'un Noël sans arbre,
puisque à notre tour enfants dans le noir nous regardons à l'infini nos peurs et nos espoirs et nous titubons ivres dans le reflet de nos désirs quand nous marchons sur l'eau sans peine, sur l'eau noire,
puisque dentelles électriques, vos rêves de petite fille hantée nous valent cette averse de lumière,
Soyez remerciée, Yayoi Kusama, d'enchanter l'autre monde où sourient des ombres errantes.

mardi 24 septembre 2013

Casablanquer, 2

Tôt le matin la corniche, les pêcheurs fatigués sortent des égouts sombres leurs boyaux à la main. Dans les hôtels de stuc on remplit les piscines, et les putains sont hâves qui hèlent les taxis. Les bidonvilles autour du phare tremblent de la saumure où gisent les lépreux. Dans les cils des enfants le sel fond sur les lentes qu'ils écrasent d'une main gourde de trois doigts. Bethsaïda. N'attendez rien du roi, rien des saoudiens, rien de l'Amérique, rien des coopérants français. N'attendez rien. Personne n'est là pour aider. Personne n'est là pour plaindre. La plainte c'est le vent c'est le vent de la mer et le sable des plages adoucit le boulevard d'un enrobage ocré. Les grèves, elles sont désertes des combats de la nuit. La police est passée quand dormaient les cadavres. Des coureurs en satin flottent en foulant la misère des nuits. Oubliez tout. Devenez coureurs comme Saïd Aouita, qui n'était rien, qui trône olympien dans sa villa d'Anfa. A quatre heures du matin les assassins des plages suspendent étourdis leurs crimes. Ivres de bière, fumeurs de kif, ils entendent des prières, ils pleurent prosternés ; chant des coqs, aboiements des chiens. La gloire de Dieu souffre une seule épithète. Des amants magnifiques ont joui cette nuit devant la presqu'île. La feuille de journal (Maroc-Soir) que l'humidité déchire, ne couvre plus le pare-brise, rien ne les protège de l'inquisition des phares. Dans les yeux de la fille, la larme du plaisir, la peur de la grossesse –elle a du sable autour du sexe. Il faut partir : on voit dans l'aube les murs chaulés du marabout sur l'isthme au ras des flots. Tôt le matin Casablanca, piège à sommeil, morsure de sable, brûlure de sel. J'ai roulé toute la nuit, les bars étaient fermés, j'ai roulé en veilleuses, j'ai cherché, je ne sais pas moi, l'ombre amicale d'une peau, la rondeur chaude d'une bouche. Je suis fatigué, seul, je mords une grenade, ma chemise est mouillée par la buée du matin. Je cherche un sommeil différent.

samedi 14 septembre 2013

Ce que chante le vieux jeune homme

Des femmes comblées au botox sourient comme des bougies fondues aux oeillades d'un vieux jeune homme dont le visage est lisse autant que ses bras tombent.
Il reste quelques mois, les mères affolées giflent des enfants maigres et un soldat au bras cassé baise les pieds d'un prêtre - c'est ce que chante le vieux jeune homme au masque énigmatique et ça fait vomir un pédé, et l'on sait aux larmes du vendeur de journaux que cette fois-ci c'est pour de vrai. Il reste cinq ans, chante le vieux jeune homme dont un œil pleure et l'autre sombre.

samedi 7 septembre 2013

Les dieux n'aiment pas donner

La torche fumeuse, tu l'épouses, elle meurt, le pied percé d'un croc. Les suivantes pleurent, où est passée la noce? Tu l'épouses, elle meurt, tu la pleures et tu descends la chercher.
Il n'est pas de porte, il n'est pas de guide, il n'est pas d'exploit: la catabase est sans encombre et tu parviens aux dieux sans gloire, sans histoire à raconter. C'est nu qu'il te faut chanter, c'est nu à faire pleurer les pierres, c'est nu qu'il faut la réclamer. La plainte, obscène, saisit les damnés, suspend l'éternité, fige et l'eau du baril et le rocher sur la pente, oblige les dieux à céder. Les dieux sont comme les fées qui n'aiment pas qu'on les oblige, ils conditionnent ils sont mesquins. Ce qu'ils donnent ils le reprendront et citrouille le carrosse, ombre à nouveau l'épousée qui remeurt, ravalée, car le chanteur s'est retourné qui n'a pas même pu l'embrasser.

mardi 3 septembre 2013

Briques à la sauce caillou

Elle faisait tout Denise, elle écossait les haricots, épluchait les pommes de terre, donnait à la cuisine une odeur de compote, disait des gros mots, et nous faisait jouer à cache-tampon, au bouchon, à tu gèles tu brûles, même jeu sous différents noms. Elle disait des mots gros comme ses doigts noirs dont les ongles fendus nous étaient une énigme: la misère on ne savait pas.
Ce qu'on voulait savoir -les enfants sont des estomacs, répétait la mère de la mère- c'était ce qu'on mangerait ce soir. Elle ne répondait pas c'était là son pouvoir, jouer sur les appétits des enfants des bourgeois. Elle nous disait des clous, des briques à la sauce caillou, des crottes de bique en zinc. Des crottes de bique en zinc! On ne voyait pas très bien mais on riait beaucoup.

dimanche 25 août 2013

Les enfants s'ennuient

C'est une maison très bourgeoise, maison de maître on dit ici, murs de briques, ampélopsis, glycine pleurant sur le côté, volets dont le vernis cloque l'été. Tout le jeu c'est, pour les enfants qui s'ennuient, de crever les cloques de vernis sur les volets du rez-de-chaussée, côté jardin, leur côté, côté des fruits, du sable enfui avec la pluie, des allées qui montent vers la prairie où courent les poules de Denise.
A l'étage, la chambre où la mère parle avec sa mère, une chambre avec un joli lit, directoire à ce qu'on m'a dit, des bergères tendues de toile de Jouy, et bergères elles-mêmes en Arcadie de provinciale bourgeoisie, elles parlent tout l'après-midi, les enfants qui frappent à la porte elles les congédient, les renvoient du côté des fruits, du jardin, du sable enfui, les enfants elles les oublient, et les enfants en veulent à l'aïeule de leur avoir ravi la mère, et les enfants cassent des branches du noisetier pour en faire de mauvais arcs, et les enfants shootent dans les pommes pourries, et les enfants mangent des fruits trop verts: Les enfants s'ennuient.

vendredi 23 août 2013

Honfleur, jardin.

Le père chassait dans le jardin les tourterelles à coups de carabine, une carabine si lourde que les enfants ne pouvaient pas viser, une vieille carabine d'une guerre oubliée, transformée sur le tard pour tirer de toutes petites balles, d'un calibre ridicule. Les tourterelles c'était du gros gibier pour de si petites balles, mais le père visait bien, il était militaire, il savait tuer à l'évidence. Il rapportait les tourterelles, les grives, les merles, les étourneaux aussi, on les mangeait, on aimait cela. C'était pour la bonne cause, pour préserver les fruits, même hors la saison de la chasse. Le père avait toujours de bonnes raisons pour s'affranchir des règles, il pissait sur la loi le père, tel était son plaisir, plus que chasser encore, pisser sur la loi même et faire manger ses proies aux enfants qui ne savaient pas. Les oiseaux comme un bouquet d'ailes sur la table de la cuisine, et bientôt l'odeur de la corne brûlée quand Denise les passait à la flamme, et immédiatement la faim montait dans le ventre des enfants.
Aux enfants les groseilles, les framboises, les bigarreaux Napoléon, des fausses reines claudes, et, dès août une avalanche de pommes, des transparentes de Croncels à la chair fragile. Des fruits mangés trop verts, à prendre la colique, mais il faut croire qu'on aimait les choses acides, sans quoi nous n'aurions pas mordu les feuilles d'oseille qui nous faisaient venir les larmes aux yeux.

mercredi 21 août 2013

Épuiser l'épuisement

Quand seront lancées toutes les pierres et qu'il n'y aura plus rien qu'on n'ait déjà brûlé, que l'eau ne tombera plus du ciel, qu'il ne nous restera que nos ongles pour creuser, nous craindrons des dieux oubliés, nous tremblerons et l'hiver et l'été, nos magies nous seront vaines et la peine trop plus qu'humaine.
Pourtant nous voudrons vivre encore, quitte à tuer qui n'aurait plus la force, pour un coin à l'abri, une part de pain, une paire de lunettes, un coin à champignons. Jusqu'à ce que plus rien.

vendredi 2 août 2013

Souviens toi que tu n'es que cendres

Nous désirons l'aurore, elle nous brûlera tous. Passionnément combustibles, nous aspirons à la cendre. Quelle erreur ce fut que s'abstraire, s'affoler du vivant, s'enivrer du grand souffle quand tout en nous tend à la fin vers la pierre, la terre, la paix des sables. Que nos liqueurs se perdent dans les fleuves qui, taris, s'oublient dans leurs lits de boue ocre et verte, que l'on sépare le limon de l'eau, et l'eau qu'elle fonde sous un soleil impartial, que le soleil absorbe les nuages comme le coton hydrophile sur la plaie des enfants.
Que l'on se couche déjà mort.
On désirait l'aurore elle nous enterra tous.

Retour du refoulé

Tu reviendras, méconnaissable et je ne te reconnaîtrai pas. D'où viens-tu, d'où reviens-tu, où as-tu été traîner, toutes ces années de crimes et de peau tombée, te revoilà rougi blanchi bouffi tremblant mais te voici qui t'avance obscène, ému. D'où viens-tu peu importe, nul ne te reconnaît, chacun te traverse, car tu es bien le seul à te croire vivant.