Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

mardi 9 novembre 2010

Passage des hôtes

Alors fragiles comme au réveil le sont ceux qui rêvent trop fort, il faut vous soutenir, vous aider au passage, ne pas vous faire honte du drap mordu de l'idéal, être doux comme la laine, comme la peau des mères aux lèvres des enfants. Vos visages sont frappés d'absence, c'est tout un voyage pour que reviennent sur vos traits les plis qui nous sont chers. Prenez votre temps : dans la maison l'odeur du linge chaud, sur la table des fleurs en vrac. D'où vous venez je ne sais pas, ces terres inconnues je n'en ai pas idée, je suis celui qui reste, qui attend, qui accueille. Soyez sans crainte. Nul ne nommera le monde dont vous êtes, nul ne vous demandera de parler si vous souhaitez vous taire ou boire le thé qui fume en bas. Je vous promets, nul ne lira sur vos visages la carte de votre histoire. Peut-être, un jour, vous voudrez la raconter. Nous serons heureux de l'entendre, lorsque le temps sera venu.

lundi 8 novembre 2010

Vecteur

Tu lanceras des pierres dans la mer de pierre verte, des éclats de rire dans l'écume brassée qui mousse de galets, tu crieras le nom des falaises, un nom de sel et de craie. Des enfants s'envoleront sous des cerfs-volants rouges, à grands fracas de mouettes et de rouleaux virides. Ton cheval cabré luira d'embruns, et l'écume au mors sera plus claire que celle des vagues. Les mégères diront leurs calomnies, mais ton passage, vacarme d'honneur, les stupéfiera. Elles seront pierres à leur tour, silex de méchanceté, chues là que la valleuse a dévalés. S'effondreront, pourries de ravinements, par pans énormes, les parois de craie que ne retiennent plus prés ni arbres. Rien ne pourra t'atteindre. Ton élan sera tel qu'aucun désastre vertical ne t'empêchera d'aller vers.

dimanche 7 novembre 2010

Géométrie d'amour

Nous prendrons notre tour, ce sera notre temps, ce seront des jonquilles dans l'anse des fossés. Nous danserons ensemble, paix du corps, joie des peaux, nous prendrons notre tour aux angles des tréteaux. Ta larme perlera pour l'amant de Saint Jean ; je l'essuierai de mon mouchoir blanc. Dans ce carré très pur, liseré bleu de lin, broder le trait qui nous dessine, enlacés, nous jouant des lignes.
S'il s'agit de durer, perdurons, j'ai confiance… Ce tour que nous prenons, cet anneau dans nos vies, ces ronds dans l'eau des mares et nos visages reformés, voici le cercle du parcours, l'orbe où nous sommes les yeux fermés, aire que nous connaissons par cœur, sans que nos cœurs en soient lassés : c'est notre temps, c'est notre tour, c'est le cercle dans le carré.

samedi 6 novembre 2010

Ce qui a disparu

Tout avait changé dans la ville, et jusqu'au nom des rues, aux raisons des bâtiments qu'elle ne reconnaissait pas : avais-je vu, enfant, le Bassin du Commerce en eaux ? Et la gare de jadis, l'avais-je connue avant qu'on ne ferme la ligne ?
La maison de famille, vendue voici onze ans, s'ouvre de volets bleus qui la font souffrir. Je me souviens avec elle du gris perle d'avant, plus discret nous en convenons. Et le portail, blanc désormais, pourquoi ? Automatique, soit, mais blanc, mais pourquoi blanc ? Elle n'entrera pas.
Chaque demeure reconnue livre le nom de propriétaires - morts, dit-elle, et parfois elle se souvient des circonstances d'une fête. On dansait le dimanche à la ferme de la Grande Cour. D'autres noms au hasard des rues, méconnaissables de propreté. D'autres noms disparus.
Le clocher sonne de l'église où elle s'est mariée. Le cimetière où ses parents sont enterrés sous une dalle de marbre noir, elle y a sa place, elle me la rappelle, cette place qui reste dessous la lame c'est pour elle, à la sortie de cette ville où elle ne connaît que des morts.

vendredi 5 novembre 2010

Spartakiste

Je reprendrai ma colère avec mon souffle. Vous le savez, j'attends pour bientôt le retour des démons, mais maintenant, c'est de repos dont j'ai besoin. C'est le repos qu'ils nous refusent, ils veulent encore ces instants-là, ils ne seront contents qu'ils n'aient tout, eux qui possèdent déjà tant voudraient poser patente sur les portes du sommeil des pauvres, sur les paupières des vieux, tant qu'il leur reste encore un peu de lumière dans l'œil.
La colère me reprend mais le souffle me manque. Quant au repos, je n'échangerai pas ma fatigue contre le sommeil qu'ils proposent et qui n'est pas le mien, je ne veux pas de ce poids-là sur mon front, ni de leurs gouttes sous ma langue. Plutôt ne pas dormir, mais regarder le sac de nos vies, regarder pour comprendre que la guerre n'a jamais cessé, que nous mourons de croire à l'armistice. La paix, c'est le luxe des maîtres, l'ambroisie des vainqueurs. Il faut porter le feu jusque dans leurs piscines, que leurs écrans reflètent les creux de nos visages épuisés, nos dents noires, notre crasse incrustée. Qu'ils nous craignent. Que nous possédions leur peur, que nous la leur fassions payer. Nous ne serons pas de bons pauvres : nous porterons la rage aux murs des hauts quartiers et nous ne dormirons que notre soif éteinte.

jeudi 4 novembre 2010

Envie de l'eau

Les femmes y sont anguilles, elles lancent, hardies, des harpons, des baleines les déshabillent. Il pleut du feu sur le Japon malade. L’expert en foie regarde enfin la pêcheuse trempée, Eve que peut-être la pluie noire ne gangrènera pas. Les femmes au geyser tiède volent du fromage pimenté dans les supermarchés, fabriquent des gâteaux pour les maisons de thé, attendent des années celui qui les a fait jaillir, ruissellent d’eau fécondes où les poissons s’abreuvent. Les hommes ne savent pas qui être, et regardent l’eau couler sous le pont rouge. Heureux celui qui le matin délaisse l’épervier, les dorades, les mulets d’eaux saumâtres, et court boire à la source, et donne l’huile pour remercier l’eau.

Quant au vieil âge de ma mère, I

On ne sait quoi dire. On se téléphone, la sœur et le frère, fiers de se comprendre, un peu pathétiques de lucidité. La maladie de la mère, nous l'avons retournée , nous en avons malaxé les signes dans l'espoir vain d'en tirer le suc qui les soirs d'orage, d'orphelinat humide en dépit de la douceur des couettes, semble contenir le vaccin de nos insomnies, l'élixir dont nous attendons tant pour elle.
Est-elle seulement malade ? Souvent nous décidons que non, en dépit de la cortisone et des antalgiques, nous optons sans vergogne : le psychosomatique; elle brode elle invente, elle s'empare des symptômes que nous lui refusons pour tresser ce mal inouï qui ne ressemble qu'à elle, dont elle jouit.
Elle se punit, bien sûr, et c'est justice. Aveugle, elle ne s'est pas crevé les yeux à la façon des mythes, elle s'est rongée comme les statues des cathédrales qu'érodent les vapeurs du siècle. C'est par morceaux qu'elle tombe, c'est par morceaux que nous la ramassons sachant que ce puzzle-là, nous n'en remembrerons rien. Sachant encore que nous ne voulions pas de cette souffrance-là, que c'est vivante qu'il nous la faut. Car c'est vivante qu'elle pourra nous dire ce que nous voulons savoir.
Nous regardons les doigts très blancs de sa main trembler pour déplacer le pion sur le plateau de Monopoly, nous observons ce sourire forcé qui leurre le petit fils qui joue, qui joue… Nous scrutons les filaments blancs de ses yeux sans larmes. Nous non plus, nous pleurons pas.

mercredi 3 novembre 2010

Arrière-saison

Il fait cru, tu dis, les fruits je les ai posés sur la corbeille, tu préfères le raisin italien. Passent les nuages dans des ciels très normands, Boudin Poussin, mêmes nuages au fond, ciels de Seine bouleversés. Septembre. C'est l'entre-temps, qui brouille dedans dehors, températures incertaines, le linge il ne sèche qu'à peine au fil de la voisine, ni le mien sur le palier. C'est trop tôt pour le chauffage, on ne veut pas tuer l'été, car c'est encore l'été, n'est-ce pas ? Les prunes, les fraises, ces goûts-là ne peuvent tromper. Pour plus tard les cèpes, les potimarrons, les vestes huilées sur nos chemises de flanelle.
Nous dormons l'un dans l'autre, nous dormons mieux, la fraîcheur du matin nous engourdit, c'est à qui n'ira pas chercher le pain (tu gagnes souvent, presque toujours à ce jeu-là). C'est la mucreur, on dit ici (nous avons des mots pour tous les états de l'eau).

mardi 2 novembre 2010

Flor do mar

Encore faut-il que la mer prenne la fleur qui lui fut jetée, qu’elle l’entraîne au cœur des marées, que le nœud des courants la tienne frêle sur la crête des vagues, et qu’elle infuse doucement, or du pollen, goût de safran tout le long des plages où l’on prie la déesse. C’est un pays de plages, on s’y tue en dansant.
Rouge l’hibiscus des menstruations vaines, blanche la tresse de jasmin : Il est une fleur pour chaque malheur, à la déesse on peut tout confier, le viol qui vous fit putain, la corde de guitare brisée, l’enfant qui n’est jamais venu, la déesse peut tout entendre, pourvu que la mer emporte la fleur loin de la grève. Elle peut tout comprendre, la déesse, intercéder, s’il le faut, auprès de la Vierge Marie, elle a très bien connu le Christ, à ce qu’on dit.
Verse un verre de rhum sur l’autel des Lares, lave d’eau de Lourdes la fleur que tu vas jeter. Pourvu que la mer la prenne, ta prière sera exaucée, la déesse peut tout entendre, la déesse peut tout apaiser, si elle accepte ton offrande, elle colligera sur le sable les restes de ta vie pour en faire un collier.

lundi 1 novembre 2010

Toussaint

Le vent sur le carreau qui tremble et mon oreille engourdie qui ne sait plus les bruits de la vieille maison, voici, de ce samedi, le poème inutile.
Je n'attends rien. Les choses adviennent. Nul ne sait plus ce qu'est le chaud, le froid, la passion ni l'envie dans ce cosmos gris qui pleure sur mon toit des foutaises d'harmonies.
Le vent passé devant ma porte a pris mon amant, mes amis, salaud de vent qui de la sorte m'oublie. Le seuil où l'on se tient seul ce n'est pas une vie, tu entres, tu sors, mais tu choisis.

Le vent sur le carreau fendu comme le cœur aux cartes siffle de compagnie. Les pauvres gens qui passent s'effacent sous la pluie.

Le seuil où je me tiens ni chaud ni froid ni rien.