Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

dimanche 31 octobre 2010

Lost Song / Chant perdu

Un jour, juillet, j'ai
perdu le chant,
et de fait
accroupi dans le coin
dans l'angle mort de ma maison
il n'était plus rien à chanter

Et je suis devenu la pluie sur les ardoises
la pierre roulée dans les ruisseaux
et j'ai perdu le goût du thé

Les arbres ont jauni, sous lesquels des folles pleuraient
maigres de leur amour
les oiseaux dessinaient des inepties dans le ciel
et j'ai compris que cela ne reviendrait pas.

J'ai jauni moi aussi, entre l'index et le majeur
je suis devenu cendre de mon souffle
j'ai titubé de vins médiocres
et j'ai grimacé la jouissance.

samedi 30 octobre 2010

casablanquer 11

Ce jour est rouge et c'est de sang. Par la ville sèche, coule, bouillonne, de l'interstice des dalles jusqu'aux égouts engorgés la soupe rubiconde des moutons égorgés –odeur sucrée de protéine. le boucher passe et partout son couteau fend l'aorte et c'est le beau fleuve rouge de sang. Ce jour est rouge, à en coller aux pieds. Prêtres tachés du sacrifice, incisez les bêlements jusqu'au rauque des gorges, que la mer en rougisse, qu'on ait enfin la paix. Moi ? En ce jour je chante la joie des cafards et l'appétit des crabes.

vendredi 29 octobre 2010

Interruption

Du coup qui fut donné, la mort vint, aucun doute. Tête de fleur coupée d’un ongle acide. Le suc, poisseux, collait au pistil. Naîtrait de cette poix le rêve. On la brûlerait sous des fronts ténébreux, et les vapeurs du songe susciteraient un sourire pour une heure, puis les fronts caves reprendraient la résonance vaine du ressassement. Tombe le poing sur le crâne du songe creux. Dents d’or arrachées d’une misère admise. Comment gît ici celui qu’un fumeur de pierre fractura.

vendredi 22 octobre 2010

Happy together (together alone)

Le tango qu'ils dansaient ne les unissait pas, et les bières sur la table, ils en avaient trop bu pour rire, ils titubaient leurs pas, lorsqu'il fallait encore une fois aller pisser. Il avait proposé : repartons à zéro, ils étaient partis en effet, ils étaient partis en été ils étaient arrivés l'hiver, tout l'argent y était passé, il avait fallu travailler, apprendre la langue, louer une chambre, sourire aux touristes japonais qui ne comprenaient rien. Arrivés à zéro, dans l'exact envers du monde, ils ont cessé de s'aimer, ont fait lit à part, ont attendu que les mains cicatrisent et que l'hiver s'éloigne, dans des odeurs de nouilles chinoises. Le tango qu'ils dansaient ne les unissait pas. Étanches au monde, ils le devinrent l'un à l'autre, et celui-là qui se rendit seul aux chutes, n'en fut pas émerveillé. Reste la lampe dont la lumière tourne et repart à zéro dans les mains en larmes de celui qui n'a pas vu les cataractes.

mercredi 20 octobre 2010

La vieille chanson

On reprend c’est la vieille
Chanson qui revient
Dans notre sommeil
Et Verlaine le vieux
Démon qui nous tient

On lie comme on peut la botte
Des fredaines des refrains
Bouts de ficelles brins d’osier
Brins de paille petits riens
De rimes et rien qui vaille
La peine de la note

mardi 19 octobre 2010

Acanthes

Il dit qu’il couvrirait son corps d’acanthes, que dessiner c’est aussi ça, promettre ce qu’on ne tiendra pas : pardonnons au menteur qui promet la beauté. Feuilles d’acanthes au feutre vert, l’enfant déborde et c’est tant mieux. Regardons décillés ce qu’augurent les dessins des amants, les coloriages des enfants (Michaux dit : les commencements). On y lit les guerres, les conquêtes, les cadeaux des rois-mages. Des pères énormes avec d’énormes mains menacent l’horizon dont le soleil pâlit. Une mère à la robe triangulaire ressemble à la maison même, même triangle pour le toit. Son corps d’acanthes, il a dit ça, je couvrirai ton corps d’acanthes. Couronnement ? Funérailles végétales ? Et si ce n’était pas sa feuille ? Dans un drap de bain, blanc se tient l’enfant qui, César, prête vie, ou non. Lauriers dont l’enfant ceint le front de qui saura bien lui chanter les chansons qui l’endormiront. Sous un manteau de feuilles d’acanthes. Patiente la mère les broda. Le père ne pouvait pas : trop gros les doigts pour manier l’aiguille. Ces doigts que l’enfant dessina.

lundi 18 octobre 2010

Au marché

Ils parlent de la mort en marchandant des fruits, se donnent des nouvelles qui sont toujours mauvaises, le cancer de la cousine, l'infarctus du maire, la totale de la crémière. Jusqu'à leurs chiens qui sont malades, si malades qu'on ne sait plus de qui ils parlent, du corniaud, du grand-père, du docteur, du vétérinaire. Ils posent les cabas, se claquent des bécots, pourquoi ton mari n'est pas là ? Œil humide et polyclinique. Les commerçants font mine de les rouler, mais on la leur fait pas : c'est grand rire et plaisanterie normande. Ils savent exactement ce que valent les choses, exactement ce que contient leur porte-monnaie, connaissent à la virgule près leur taux de cholestérol. Elles ont les cheveux violets; ils sont chauves. Ils râlent contre la Sécu, ils font et défont la renommée des médicastres, ils apportent un pot de confiture vide, le font remplir de crème, ils apportent leur boîte à œufs. Ils trichent dans les queues. Les enfants ne viennent jamais les voir, les enfants viennent trop souvent, les petits enfants sont fatigants. Insuffisance respiratoire. Ils sortent des mouchoirs à carreaux, se mouchent. Rhume ou chagrin, on ne sait pas. Hors du cabas, la botte de poireaux.

jeudi 14 octobre 2010

Une vision

La vision que j’ai de toi, celle que je garde au secret, s’insinue et me hante jusqu’au creux de mon lit qu’elle réchauffe. Une vision insaisissable, qui chatoie puis s’évanouit dans l’illusion d’un brasier ; la vision d’une vision, qui me garde des terreurs d’enfant la nuit, et ce tant que mon amour tiendra contre la marée des saisons.
J’ignore où tu finis comme j’ignore où je commence, c’est tout simple, tu entres en moi, tu m’ouvres, tu romps les digues de la mémoire : je me souviens m’être éveillé entre tes bras, je me souviens m’être perdu pour découvrir que tu m’avais trouvé, dans notre amour qui se tenait contre la marée des saisons.
Sois mon enfant, sois mon amant, avale-moi dans ton gant de feu, prends ma langue et mon tourment, prends ma main, tiens-la serrée. Laisse-moi vivre dans ta vie, puisque avec toi tout prend sens, laisse-moi mourir dans tes bras, ainsi la vision ne disparaîtra pas dans la marée des saisons où mon amour tient bon.

mercredi 13 octobre 2010

Bordures 2

Elles ont des maillots de satin, elles portent des shorts en lycra, elles montrent des jambes interminables à l’orée des allées. Les camionnettes devaient coûter trop cher : il est patent que les nouvelles filles baisent dehors, et qu’ainsi elles baiseront l’hiver les lèvres gercées par le gel parmi la rouille des ronciers. D’où venez vous, hétaïres à cent sous ? On croit lire sur vos visages entrevus le temps d’un feu rouge, forêt de Saint-Germain, des masques andins, mais on peut se tromper, on ne prend pas le temps de s’assurer, de quel réseau dépendez vous, Colombiennes au bustier lacé, trébuchant dans le sous-bois sur des talons incongrus, grues offertes aux phares, qui dès le matin nouez aux branches basses de la lisière des sacs de plastique blanc comme jadis rouges luisaient les lanternes aux maisons ? On peine à vous deviner une histoire, mais ne doutez pas qu’on la cherche, et que les sacs noués sur les branches en balise de votre commerce, on en respecte la grammaire, tant vos malheurs y sont écrits, quand le sac veut bien se gonfler de vent.

lundi 11 octobre 2010

Un cendrier en 59

Il est rentré changé. Longtemps, il a hurlé la nuit, rêvé des corps abattus, des camarades émasculés, c'est bien le moins lorsqu'on a tué, qu'on n'en est pas mort. Il avait changé, son regard s'absentant elle voulait croire à son remords mais non rien là non plus, à peine le regret d'avoir perdu. Perdu la paix, gagné la guerre, il rajoutait. Les soirs de murge, il croyait mâcher ses propres couilles.
Il est rentré changé, plus maigre, plus tranchant, le scorbut aux gencives. Il tient sa femme à distance, qui ne mesure pas ses crimes, qui ne mesurera jamais ; elle sourit dans l'aveuglement d'un soleil vertical. Lui si maigre que sans ombre. Elle ne se méfie pas de lui, convient qu'il a changé. Elle avait accepté les morpions comme le reste, ils s'étaient rasé le sexe, enduits de pommade au mercure, ils avaient brûlé les poils dans un cendrier. Aventure coloniale. Elle avait ri, elle fumait les Gauloises de ses rations, elle regardait ces poils brûler comme une preuve d'amour, un marivaudage organique. D'où venaient les lentes ? De quel pubis, de quel bordel ? En spécialiste, elle travaille à son ignorance. Elle se lève le matin, surprise par son ventre lisse, elle part à l'hôpital Mustapha. Elle est infirmière, et sans doute, il lui est arrivé de panser ceux-là mêmes qu'il avait torturés. Elle laisse dans les rues d'Alger des volutes de Gauloises bleues.