tag:blogger.com,1999:blog-83790503025434721872024-03-17T13:27:06.244+01:00le ravaudeurLe ravaudeur n'a pas collecté toutes les pièces du puzzle. Le ravaudeur ravaude, j'entends par là qu'entre les morceaux de sa peine il suture, et que suturant il renonce à l'unité de ce qu'il rassemble et sa tâche c'est de faire tenir ensemble, et son travail un manteau d'Arlequin.Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.comBlogger567125tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-37213604829137087392024-03-17T13:26:00.000+01:002024-03-17T13:26:18.950+01:00Pas de mais<p style="text-align: justify;"> Lorsque nous aurons fait le tour du monde, de la question, du pâté de maisons, lorsque fatigués jusqu'en nos dimanches, nous nous assoirons pour écouter le temps passer dans la rue comme dans nos artères, et nous rirons de nos dernières dents au souvenir de nos passions vaines. On croyait qu'il serait possible de voler le feu, de nos propres ailes, se brûler un peu, tomber dans la mer et nager la brasse sans couler, s'enfouir sous les cendres des visages aimés mais n'en pas mourir. Or <i>il n'y a pas de mais</i>, comme disaient les mères pour faire taire les enfants raisonneurs, pas de mais, pas d'échappatoire, et foin des modalisateurs. Dans cette fatigue au fauteuil, demi sommeil, demi deuil, s'aviser du poing refermé qui nous tient et nous serre les côtes, la gorge, les couilles -à chacun son enfer- jusqu'à ce que Tanguy survienne et propose qu'on sorte, on s'en sort en sortant, pas besoin de la mappemonde, on se contentera d'un tour sur la côte, de jardin, d'un passage à la pépinière, promesse de lupins, parfum de chèvrefeuille et feuilles de verveine.</p>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-64735081074317982712024-03-07T10:49:00.001+01:002024-03-07T10:49:11.201+01:00Lumière de mars<p style="text-align: justify;"> La lumière nous réveille au matin, la lumière crue de mars qui frappe les carreaux, et les volets ouverts, prend la maison d'assaut, impérieuse, effaçant sans effort des mois d'anémie grise. Au travers de ses faisceaux volent des poussières enfiévrées et quelques poils de chats. Ils sont sortis, les chats, ils prennent la chaleur contre les silex du mur. Le jardin s'enivre de fleurs, l'herbe est d'un vert aussi acide que la palette de David Hockney, le ciel s'éclaire enfin, s'affranchit du bleu durci de l'hiver, et déjà Tanguy rempote les deux pieds d'artichaut dans la véranda. On devrait être blasé, ce chambardement des cycles, le chant des oiseaux, le bariolage du prunus, des forsythias, des pêchers, des bouquets de jonquilles, on devrait se méfier, tant on a souffert des morts de mars, on sait que c'est un mois brutal, n'importe, on se laisse embarquer, on espère des morilles, des tricholomes de la Saint-Georges, c'est un peu tôt, on regarde pourtant.</p>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-52504181066288414602024-03-04T11:04:00.001+01:002024-03-06T09:56:56.497+01:00Gelée blanche et fleurs de pêcher<p style="text-align: justify;"> Il a gelé blanc, on l'avait bien dit, les fleurs de pêcher c'est si joli mais ici, peu de chances pour des pêches en été, un gel en mars et c'est fini, tant pis, les fleurs ça nous suffit, même si pour ne rien cacher, on garde un peu d'espoir pour les pêches de vigne, en boutons sur la tige, on aime leur chair sanguine, pour elles on attendra les fleurs et peut-être en septembre le jus rouge sous la peau cotonneuse, ce serait bien, mais pour l'heure c'est le soleil qui chante aux fenêtres, deux grives se battent et Fidelio dort sur mes copies, merveilleux prétexte pour différer l'ennui.</p>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-14056980165086443812024-02-26T12:11:00.005+01:002024-02-26T12:15:50.205+01:00Saint-Benoît-des-Ombres<p style="text-align: justify;"> Il y avait, ces années-là, un homme à Saint-Benoît-des-Ombres, plus seul que cet homme-là, cela ne se peut pas. C'est dans un pli des bois du Vièvre sur le bord du plateau, on peut descendre bien bas, mais c'est un beau village, s'y tient un pèlerinage, on en repart avec une branche d'if béni qui protège du mal fait (mais si le mal est fait, qu'y faire? -je ne sais pas); c'est le jour du printemps et de la Saint Benoît, la petite église est remplie jusqu'au caquetoire, on y vient de l'Orne on y vient de loin, on protège maisons et troupeaux, le saint bonhomme y veille sinon en personne, du moins en effigie (sur le caquetoire, sa statue de bois). A la Saint Benoît, l'homme restait chez lui, avec son crayon gris, l'if béni ne suffisait pas, l'église il la préférait vide, elle l'était la plupart du temps, pour graffiter de son crayon comme un journal de sa misère sur l'enduit, entre les Ex-Voto "Reconnaissance à Saint Benoît", les épisodes de sa vie encalminée là, Saint-Benoît il n'en bougeait pas, pas le permis, rien pour partir, sa prière elle revenait quelques fois, avoir assez d'argent pour prendre le bus et fuir, jusqu'à Evreux peut-être, mais où prendre le bus, il n'y a pas de bus, sauf ramassage scolaire, Saint-Benoît il n'en bougerait pas, il sera l'ombre de Saint-Benoit, l'ombre c'est encore trop peut-être.</p>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-59782146865741037482024-02-18T12:14:00.000+01:002024-02-18T12:14:20.905+01:00Point de lendemain<p style="text-align: justify;"> A peine sorties, déjà courbées, les jonquilles ploient sous la pluie, ce dimanche gris comme ventre de souris, le vent qui vous saisit de biais ne vous transit pas pour autant, ce sont des rafales tiédies, les chats ne sortent pas, qui craignent le vent plus que la pluie, le chat noir dort près du poêle ronflant, Tanguy écoute la messe en ut, qui pourrait croire à la guerre qui gronde, à la mer qui monte, à la fin du monde? Laurent ne viendra pas ce jour chercher les pierres qui lui manquent, partie remise, un autre dimanche, rien ne presse, la guerre ce n'est pas pour demain quand-même, nous sommes de ces chanceux qui ne savent pas ce que c'est, cela nous paraît insensé, les bambous plient sous le vent tiède, ce qui advient, pas pour demain, c'est la fin du lendemain même, et bambous de se balancer.</p>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-83420702249028879752024-02-17T14:15:00.002+01:002024-02-17T14:39:26.067+01:00Trop tôt<p style="text-align: justify;"> Ce qu'on se dit du temps qui passe, entre deux avis de décès, le bois qu'on a brûlé, les cendres qu'on a répandues, les braises qui se sont éteintes, ce qu'on se dit à voir le chat se rouler dans la poussière grise, à humer l'odeur de la fumée dehors, du temps qui passe, qui accélère tout, c'est l'hiver il fait chaud, les crocus sont arrivés, orange les premiers, puis les violets, on attend les préférés blancs veinés, on attend peu, trop peu, sont arrivées les premières fleurs sur le prunus et toutes les jonquilles, c'est février c'est le printemps ce qu'on se dit du temps qui passe, on reprend les tours de jardin, les fruitiers en boutons bien trop tôt, avril mordra les fleurs d'un gel fatal aux fruits, ce qu'on se dit, ça va trop vite c'est bien trop tôt la fin de la dormance, les oiseaux s'enchantent, on ne leur dira rien, des étourneaux, leur laisser l'insouciance, la grâce des murmurations.</p>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-26991877121288316452024-02-04T11:10:00.003+01:002024-02-04T11:10:43.289+01:00Un frémissement<p style="text-align: justify;"> Le soleil point c'est un peu tôt mais la terre frémit on voit les taupinières, ça se réveille, les jonquilles boutonnent, les hellébores fleurissent les primevères tapissent, revient l'envie du jardin, se mouiller les pieds pour voir si jamais les crocus mais pas encore, la première fleur du camélia mais non les oiseaux chantent tôt le matin la vérité du merle de Gautier, chanter trop tôt, célébrer dès avant fi du gel le printemps parce que l'hiver fatigue, il n'est pas encore temps mais nous vivons d'impatience et nos élans sont ceux de vieux enfants.</p>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-35040260516422413182024-01-28T16:41:00.001+01:002024-01-28T16:41:27.590+01:00Jardin d'enfants<p style="text-align: justify;"> Dans ce jardin-là, ce qui s'est passé, ce qui se passa, un poirier foudroyé, des enfants roulant par la pente de la pelouse, le sable du bac s'écoulant vers septembre quand la pluie revenait, des merles tués par balles et j'ai gardé la carabine. Des aoûtats l'été, ça ne sert à rien de se gratter, la mère n'est pas là, elle parle avec sa mère dans la chambre de celle-ci, assise dans une bergère tendue de toile de Jouy, c'est joli non? c'est doux la bourgeoisie. La mère redevenue fille oublie, s'enivre de potins avec sa mère chérie, plus d'enfants -ils jouent au jardin- plus de mari, plus de place pour rien mais la joie d'abolir le temps et le chagrin, le temps qui s'éternise dans le jardin où les enfants jouent, où les enfants s'ennuient -il ne se passe rien le temps très lentement, le bruit des voitures à cheval des derniers paysans, samedi matin tôt, ils vont vendre au marché, le bruit franchit le mur, c'est un événement, on s'ennuie ferme, il ne faut pas déranger maman.</p><p style="text-align: justify;">Dans ce jardin-là, ce qui s'est passé, ce qui se passa, un poirier foudroyé jadis, des tourterelles abattues d'une balle par le père, une odeur de plumes brûlées qui sort de la cuisine, le père range la carabine, le mère de la mère est contente, les roucoulements la réveillaient. Le tas de sable a fondu qui révèle des veines de terreau noir, impropre aux jeux d'enfants, les châteaux, les pâtés, on pourra se gratter, il ne reste qu'à s'ennuyer, se courir après se cacher dans les buissons, dans les greniers, entre les rangs de groseillers, dans l'ombre où les pommes sommeillent sur des claies, dans la serre abandonnée où fleurissent les ruines de Rome et pourrissent des clapiers vides, c'est un deux trois soleil! cache-cache, cache-tampon, chasse au trésor, beaucoup de noms pour peu de jeux, des enfants qui restent dehors.</p><p style="text-align: justify;">Ce jardin-là, ce qui s'y passa, ce qui s'y est passé ne passe pas, le poirier foudroyé n'était plus qu'une souche recouverte de lierre, on ne comprenait pas qu'il manque, on s'ennuyait autour, on aurait bien voulu sortir, où était le danger? la maison on la retrouverait, l'araucaria dominait le quartier, mais le portail restait fermé alors on jouait résignés. Le père parfois s'en mêlait, le père se mêlait aux jeux, dénichait les petites filles cachées comme des oisillons au nid, le père ne jouait qu'à son jeu, le père ne s'ennuyait pas qui jouissait, fille et nièces le subirent dans ce jardin-là, quand leurs mères parlaient à leur mère dans un décor de bergerie.</p>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-18633532948485552472024-01-17T09:20:00.003+01:002024-01-17T09:20:20.778+01:00Verglas<blockquote style="border: none; margin: 0 0 0 40px; padding: 0px;"><p style="text-align: justify;"> Des branches de verre sous le lampadaire qui pleurent, flaques par terre, parfois il pleut des pierres. La mare est prise où se réverbèrent silence fendillé et craquèlement des tiges ployées sous la la glace, fine carapace où glisse un merle aventureux. C'est un matin gris où luit la stalactite, où plient les bambous givrés qu'il aurait fallu couper l'été dernier, s'y perche la mésange charbonnière qui attend son tour pour picorer la boule de graisse de la mangeoire. Ce que je vois de ma fenêtre ne se laisse pas épuiser, c'est un monde incertain, dans l'entre deux: ce qui coule se pétrifie, ce qui fond se fige, la glace goutte, les flaques vitrifiées défient le marcheur téméraire. Il faudrait rentrer du bois, il est urgent d'attendre, on verra bien quel état choisit le monde, liquide ou solide, coulant, stupéfié, glacial ou radouci.</p></blockquote>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-21083965516435398112024-01-10T17:38:00.000+01:002024-01-10T17:38:00.325+01:00Paysage sous la neige<p style="text-align: justify;"> La neige est tombée, pas des tonnes, non, mais assez pour faire revenir l'enfance, les bruits si nets, la qualité du silence, le froid, cette rareté qui nous stupéfie. La neige est tombée comme une surprise, au matin, et ce fut un cliché noir et blanc, Kertész, Kundelka, un photographe en K, un qui sait nous donner froid. Ce soir tout est un peu fondu -en Normandie la neige ne dure pas- un peu sali, du blanc rouillé, de la bouillasse, des brins d'herbe et les perce neige relevant leurs boutons qui veulent mériter leur nom, et c'est Arpad Szenes qui hante mon jardin, un lavis d'espaces ras, j'aurais préféré Maria Helena Vieira da Silva, je me serais perdu dans les bois, elle aurait peint un souriant labyrinthe, et, sans avoir l'air d'y toucher, d'une touche chantante, elle aurait apporté la lumière qui manque à la neige ce soir.</p><h1 class="firstHeading mw-first-heading" id="firstHeading" style="background-color: white; border: 0px; flex-grow: 1; font-family: "Linux Libertine", Georgia, Times, "Source Serif Pro", serif; font-size: 1.8em; font-weight: normal; line-height: 1.375; margin: 0px; overflow-wrap: break-word; overflow: hidden; padding: 0px;"><br /></h1>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-84981611953558653722023-12-28T15:45:00.002+01:002024-02-18T11:45:36.446+01:00Jardin d'hiver<p style="text-align: justify;"> Brouillée, la lumière du jour, mouillée, l'odeur du jardin, l'infusion des feuilles mortes dans la mare -il aurait fallu les ramasser, couper les bambous qui ont repoussé, mais non, cela reste à faire, quelle importance? Brouillées les lignes du jardin, qui ne sera pas bien propre et que m'importe? J'ai enfin coupé les vieilles tiges des glaïeuls, Tanguy a planté le poirier offert à Noël -un william bon chrétien- on verra bien. On l'aime comme il vient le jardin, le jardin c'est du temps qui passe, de la terre remuée, des taupinières de glaise molle, la haie de thuyas qu'il faudrait arracher -il est urgent d'attendre. Le jardin je n'y comprends rien -ça qui m'enchante- mais il me connaît bien, il dit les choses m'apaisent, me promet des fruits -ça n'engage à rien- des fleurs pour demain -un jardin c'est toujours demain.</p>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-4269465880821540862023-12-27T13:32:00.002+01:002023-12-27T13:32:41.713+01:00Funérailles en boucle<p style="text-align: justify;"> Est venu l'hiver tiède, l'interminable nuit pluvieuse qui poisse et embourbe. Les chemins ne sont plus qu'ornières où pleurer la mort de Ristat, le printemps perdu sans retour, les chemins sont creux qui recueillent nos larmes, on sourit au souvenir du capitaine des pompiers qui pleurait dans son casque, on se prend à rêver au reflet chromé du casque, comme une lumière incongrue, regarde Marceline, même les pompiers pleurent et le débord de leurs larmes fait trébucher le prince qui en meurt à son tour, ça ne nous console pas de la mort de Ristat.</p>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-313409958653666322023-12-22T16:55:00.002+01:002023-12-22T16:55:18.400+01:00Allumer un feu<p style="text-align: justify;">Le feu je m'en étais passé après un hiver à brûler des stères, tant de bûches consumées dans l'âtre de l'ancien presbytère, cet hiver froid de mes trente ans, ce qu'il fallait brûler de bois pour dix-sept degrés, j'ai eu froid près de la cheminée, j'en ai charrié des paniers de bois, je revenais trempé de la remise, ça m'avait vacciné, le charme des flambées, la tiédeur douillette des chaumières, pas pour moi, pendant trente ans j'ai préféré les radiateurs, la chaudière, supporté l'odeur du fioul livré tous les six mois. Mais voilà qu'un poêle à bois ronfle dans la salle, qu'il fait bon voir danser les flammes derrière la vitre un peu noircie, que la braise lézarde les rondins, jusqu'à la mélancolie des cendres qu'on verse dans le jardin, vites refroidies, sitôt dispersées par le vent et la pluie, ça fait comme un raccourci, une vie brève, une vanité dans le jour qui tombe et dieu sait qu'il tombe ces temps-ci.</p>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-40313093661808967872023-11-29T17:25:00.000+01:002023-11-29T17:25:08.155+01:00Si la neige<p style="text-align: justify;"> Il y aura peut-être -ainsi va, pêle-mêle, la théorie des nuages- sur la plaine assombrie, les terres gorgées où pourrissent les semis d'hiver peut-être il y aura -quand auront couru loin le coq faisan et ses deux poules au plumage de feuilles mortes- des nuages tellement plus bas qu'ils raseront l'herbe d'une rosée glaciale et là, une vallée, une colline, un pont sur l'autoroute pour bloquer l'haleine blanche qui versera ses cristaux crissant. Et si l'enfance à jamais perdue s'exaltait à s'en brûler les mains, roulant bonhomme à chapeau cassé, nez de carotte, nous nous contenterons de voir les flocons choir, lourds ou farineux, fondants ou glacés, sur le sol détrempé, disparaitre puis tenir jusqu'à l'horizon désiré, ce silence dont la qualité même inquiète. Le jardin stupide aux formes estompées sera neuf à notre œil et des oiseaux perdus s'accrocheront aux mangeoires, éclats bleus de mésanges, traits vert pinson, angles droits des troglodytes, jusqu'à l'orangé chaud du plastron du rouge-gorge dont on voudrait tant qu'il échappe aux chats. C'est la chance de la neige, les chats ne sortent pas, les nôtres du moins, et les autres on les voit de loin sur fond blanc, ils peuvent jouer les indifférents, les oiseaux perchés ne s'y trompent pas.</p>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-33503319269387619542023-11-25T15:14:00.002+01:002023-11-25T15:14:55.560+01:00Un figuier<p style="text-align: justify;"> Et ce fut la première gelée, on ne l'espérait plus, les feuilles lui en sont tombées au figuier qui fatiguait, restent ses figues couillonnes au bout des branches squelettiques, un figuier, quoi qu'on en ait, c'est toujours un peu fantastique, d'où qu'on le considère, torves racines, rebonds, tiges que rien ne contrarie, un acharnement à vivre offrant au ciel sa frondaison tardive, au sol ses sondes capricieuses, on l'aime pour cet appétit-là, dès lors c'est stupéfiant de le voir nu -un figuier nu c'est comme un vieillard pathétique, mais nous n'en serons pas la dupe, il se remettra bien du gel et ses figues pendouillantes des oiseaux savent les ouvrir et s'enivrer de la pulpe violette qui semble-t-il, a fermenté.</p>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-58838788160996722512023-11-20T17:26:00.001+01:002023-11-20T17:26:20.219+01:00Assassins sous la pluie<div style="text-align: justify;">La pluie ne calme rien de nos passions mauvaises, nous avons la haine boueuse et l'anathème au bout du pébroque. Etonnant, à la fin, ce que nous remâchons de peurs rancies, de rancunes qui puent la moisissure. Vieux débris nous-mêmes d'une espèce navrante, il faut pourchasser plus haïssable sous l'averse et nous trouvons toujours un monstre dans la tourbe de nos rêves pour se persuader qu'il n'est d'autre issue qu'étriper son semblable sous de piteux oripeaux que la drache a trempés. La haine n'a ni rime ni raison, elle tue les enfants comme si rien ne comptait, elle nous veut inhumains, injustes, assassins sous le crachin qui ne lave rien des fautes mais alourdit la terre du sang de nos crimes, assassins transis, indifférents.</div>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-50268111839178580242023-11-12T16:04:00.002+01:002023-11-12T16:04:54.776+01:00Vœux de novembre<p style="text-align: justify;"> Quand seront tombées les dernières feuilles, que la lumière nous manquera encore davantage, nous brûlerons les branches des arbres abattus par la tempête, si elles ont séché. Le poêle ronflera, les chats se tiendront près et nous loin des rages du monde qui nous rattraperont bien assez tôt -car elles nous rattraperont, et ce qu'il adviendra du jardin, je ne sais. Tanguy a planté des arbres, choisis au Neubourg à la foire, les verrons-nous, les pêches de vigne et les cerises reverchon, les comices et les elstar, le gel deviendra-t-il rare au point que nous mangerons nos bergerons et les figues noires? Il faut parier sur les fruits, accueillir les abeilles et prier un dieu mort de ne pas injurier ce qui respire encore.</p>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-24212628643005390712023-11-08T17:22:00.003+01:002023-11-08T20:06:30.774+01:00Plein emploi<p style="text-align: justify;">A l'aube le chant clair des bicyclettes ouvrières, des vélomoteurs, des solex où freiner faisait faire un soleil. Je les voyais passer, c'était un autre monde, de tabac brun, de cottes usées, de cafés ouverts tôt dans la nuit de l'hiver, un monde où le travail tuait et la fatigue arquait les corps fatigués sur les vélos qui rentraient entre chien et loup, qu'on saisissait tard dans le pinceau des phares. C'étaient des vies qu'on entr'apercevait depuis notre confort d'enfants bourgeois, suffoqués par des haleines au blanc sec, les aigreurs d'aisselles dans le train de banlieue ou l'autocar aux sièges ponceau de moleskine qui brûlaient l'été et collaient à l'automne, c'était le mystère des pauvres, ceux qu'il fallait plaindre, ceux qu'on ignorait.</p>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-24375516124590111812023-11-05T14:19:00.001+01:002023-11-05T14:19:06.672+01:00Retour du vent<p style="text-align: justify;"> Le ciel est sans mémoire, c'est au sol qu'on voit les traces, les branches brisées, les derniers dahlias couchés, et les fleurs de safran hachées par la pluie. Un sol d'automne, feuilles tombées, dix-huit coulemelles dans le pré, la tempête a glissé ici, sifflant ses vents de mauvaise haleine, faisant gémir le poêle dont les braises s'épuisaient. Vider dans le bac à compost le tiroir des cendres blanches, comprendre à les voir s'envoler que le vent reprend, les chats rentrent sans qu'on ait à les appeler, un rebond de bourrasque, le ciel lavé déjà s'oublie.</p>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-25446621246839918742023-10-19T16:01:00.003+02:002023-10-19T16:01:58.910+02:00Dans les fougères<p style="text-align: justify;"> Dans les couleurs d'automne enfin revenues émerge une image oubliée d'une forêt disparue, près de la mare aux sangsues, une forêt pauvre, trop de bouleaux, chênes étiques, des résineux faute de mieux, quelques bolets bais, les cèpes du pauvre, mais ceux qui hantaient les bois n'avaient pas de panier cet automne-là. A surgi roux dans la rousseur des fougères un faune à la peau laiteuse, au visage grêlé de taches de son, la barbe d'un roux plus foncé que les cheveux, la fièvre dans les yeux bleus, les mains dans les poches de son survêtement. Il faut aimer l'ombre des arbres, les troncs rugueux, le craquement des glands sous les bottes, l'odeur des aiguilles de pin, la sève des lactaires orange, aimer la larme qu'on essuie, le jean mouillé, les joues en feu. Il faut aimer la pluie qui tombe et qui vous trempe sans vous transir, dans la fièvre transmise, les fougères couchées, les aiguilles dans les cheveux qu'on ôte, déjà relevés.</p>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-78268935160120571092023-10-14T18:34:00.003+02:002023-10-14T18:40:29.965+02:00Une odeur de brûlé<p style="text-align: justify;"> Du chagrin dans le crachin, mais hier tout autrement des vents chauds qui soulevaient des poussières de terres et des feuilles vertes et sèches, un camaïeu caméo qui tourbillonnait donnant au bocage un air de camouflage, tandis que régnait à nouveau, sur Rouen, une odeur de brûlé (Jeanne d'Arc? Lubrizol? Non, en ces temps mondialisés c'était l'odeur de Madère en feu, qu'apportaient de délirants vents tropicaux). J'ai tâché d'écouter la radio, impossible, trop pour moi. Je vis dans un pays où l'on hait le vivant, les doux, les fragiles, où l'on se repaît des morts, où l'on canonne et canonise, où l'on hommage et anathématise, où l'on égorge et panthéonise. Les morts je les préfère vivant, je songe à ce monsieur qui fit corps défendant, en mourut pour que d'autres vivent, ce mort ils l'embaument d'odeur de sainteté, j'aurais tant voulu qu'il survive. </p>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-89092892189195806812023-10-11T10:10:00.001+02:002023-10-11T10:10:24.061+02:00Bien aises<p style="text-align: justify;">Il pleut du soleil sur la mare, le bambou repoussé jaunit, c'est l'invraisemblable été qui s'éternise sous des jours raccourcis et la lumière oblique engourdit les chats qui s'étirent, qui sur mon bureau, qui au seuil de la porte entrouverte. C'est une fin du monde bien agréable, ne peut-on s'empêcher de penser. "Bien aises" disait l'aïeule dans la tiédeur de juillet, "nous sommes bien aises", <i>bénaises</i> disait le jardinier, c'était en juillet, ces mots me reviennent en octobre, en toute obscénité, ils sont la douceur même, la douceur qui effraie dans un monde hurlant d'égorgements, d'anathèmes, de familles déchirées, la torpeur heureuse de l'été étouffera l'espèce qui redouble d'horreurs et ne veut pas savoir que ses jours sont comptés.</p>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-70899852291464595692023-10-08T17:13:00.001+02:002023-10-08T17:15:09.140+02:00Méconnaissable<blockquote style="border: none; margin: 0 0 0 40px; padding: 0px;"><blockquote style="border: none; margin: 0 0 0 40px; padding: 0px;"><blockquote style="border: none; margin: 0 0 0 40px; padding: 0px;"><p style="text-align: justify;"> Le jadis s'insinue, l'ai-je été, ce jeune homme aux angles aigus, qui battait la campagne au printemps froid des saints de glace, je me souviens mais m'y perds, que reconnaître du révolu, je me souviens de la salle des pas perdus, du tabac froid, de Saint-Lazare, des regards croisés, des briquets battus, des trains pris trop tard. On se souvient, un peu honteux, des faux-fuyants, des faux amis, comment on fit défaut dès lors qu'il s'agissait d'aimer, on se souvient du temps perdu à s'efforcer d'être léger, on le fut, pauvre blague. Reste si peu (de jours, d'abeilles, de neige, de pluies à l'horizon), on s'est arrondi, on s'endort vite, on ne court plus, on regarde les grives, on perd son temps, on aime encore dans ce monde de sang, cela m'est doux, c'est pas trop tôt, c'est un peu tard, non, c'est ainsi.</p></blockquote></blockquote></blockquote>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-64880790246998532402023-10-07T15:44:00.002+02:002023-11-24T09:34:39.104+01:00S'arranger du désordre<p style="text-align: justify;"> Les arbres naissent de l'ombre et l'ombre des arbres. C'est la ronde des futaies sombres, des mousses vert bouteille et de l'eau noire des mares où hésitent à tomber les feuilles qui tardent à jaunir, c'est la ronde des taillis obscurs que rompt le soleil attardé qui perce la canopée, dessèche les moiteurs fécondes, invente d'autres corruptions, génère des théories de larves au mois où les premiers gels devraient poindre, mais non. Les cèpes sont nombreux mais pourris de vers, les pommiers déboussolés fleurissent tandis qu'on prépare un folklore de sorcières et de potirons sous un ciel d'été. Les arbres meurent de chaleur, nous suffoquons un peu, nous cherchons l'ombre née des arbres qui meurent, nous voudrions dormir en paix mais nous allumons inconséquents le grand incendie spectacle ultime de notre effarant théâtre.</p>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-8379050302543472187.post-87042987625507937942023-10-04T10:43:00.002+02:002023-10-04T10:44:28.745+02:00Feu le jadis<p style="text-align: justify;"> Il fut un temps, je l'ai connu, où les garçons naissaient de l'ombre des arbres dans la nuit des forêts, et c'étaient eux qui brûlaient, pas les branches, incendiant les passants de l'amadou de leur peau blanche. Aujourd'hui où les arbres brûlent et brûlent mille fois, cendrant Brésil, Grèce, Canada, sont-ils cendres eux-mêmes, les garçons dont le sillage sentait le tabac froid, les faunes masqués d'after-shave? Ce qui a brûlé, ce qui brûle, n'est-ce pas aussi le désordre railleur de Puck, l'enfance de Poucet? Où se perdre sinon, quel fourré, quel taillis pour faire gîte en lagomorphe, oreilles dressées?</p><p style="text-align: justify;">Ce jadis de la cachette d'où jaillissaient urgent le désir d'aimer comme celui de mordre, ou plus caravagesque et plus trivialement le briquet battu et la braise d'une cigarette, a brûlé dès avant les arbres, faisant des forêts incendiées nos sœurs, réduisant en fumée le cœur de nos amants.</p>Hervé Chesnaishttp://www.blogger.com/profile/07124398881611857778noreply@blogger.com0