Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

jeudi 1 décembre 2016

Hivernal

Faut-il qu'il ait venté, faut-il qu'il ait gelé pour qu'en si peu de temps plus une feuille aux arbres, mes cheveux blancs, cheveux tombés, peau décousue des plis du cou, faut-il que je sois nu sans vous mes mortes, faut-il que j'aie froid dans le vent qui vous emporte. Je reçois les courriers adressés à maman, les factures que je ne peux plus régler pour elle, les catalogues Damart, un stylo humanitaire, quelques lettres de condoléances en retard mais qu'importe il n'est dans ma saison que feuilles mortes, troncs noirs et nuits tombées. La banque m'adresse ce jour un "dossier succession", la photo d'une vieille dame un peu mélancolique, il faudrait que je l'ouvre, et je ne le peux pas, je compte sur le vent pour feuilleter ces pages, je compte sur le vent pour les disperser loin, dissiper le mirage, en vain: chaque jour me renvoie vos images, chaque soir vous rappelle et les soirées sont longues, et votre silence revient comme la houle contre la falaise, comme le givre sur l'herbe stupéfiée, et ces appels sont insensés. La lampe allumée ne produit que des ombres étirées dans la nuit, la lampe que je porte projette vos ombres de mortes sur la vie fuyante, la lampe dont la flamme me creuse n'éclaire rien qui vaille, la flamme est froide et la nuit bleue se perd dans le ciel vide de vous, au dessus des arbres grinçants.

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