Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

lundi 31 octobre 2016

La hutte des kangourous

Je ne sais si, de Branféré, tu avais gardé le souvenir, j'entends, la visite avec l'oncle Jean, nous n'étions pas bien grands, toi probablement toute petite, et l'oncle Jean petit breton râblé lui-même, je m'en souviens à peine de la visite à Branféré mais quand même, il m'est resté l'image étrange de nous deux entrant dans une hutte pour kangourous -les kangourous n'étaient pas dans l'enclos, on nous avait ouvert, c'était un privilège, l'entregent de l'oncle Jean- il faisait sombre dedans, ça sentait mauvais, c'était donc ça que ça sentait le kangourou, on est sortis un peu déçus, puis ce fut tout. Tu as bien dû y retourner avec tes propres enfants, c'est un beau parc animalier, avec des enfants on visite bien des zoos, forcément tu y es retournée, peut-être t'es-tu souvenue de la hutte des kangourous. Maman est allée à Branféré en septembre, les infirmières de l'EPHAD avaient tout organisé, la bouteille d'oxygène, un tricycle électrique. Une photo la montre souriante, un oiseau perché sur la tête. Je lui parle de la hutte des kangourous, elle ne s'en souvient pas du tout.

dimanche 16 octobre 2016

Rêvé de toi

L'autre nuit j'ai rêvé de toi, c'est bizarre, moi qui ne rêve pas, ou si peu, et plus étrange encore que je m'en souvienne, mais je m'en souviens, tu n'étais plus morte, c'était très normal que tu ne le sois plus, tu l'avais été, tu ne l'étais plus, cela coulait de source, tu ne revenais pas, tu étais là de nouveau et la vie reprenait son cours et nul n'était surpris, ni joyeux, ni bouleversé, tu n'étais plus morte il fallait en profiter, nous avons fait comme si c'était l'été, sur la plage que tu aimais étendu des draps de bain tremblants de lumière et nous avons nagé dans une vague ni chaude ni froide et quand nous sommes ressortis tes enfants nous attendaient qui n'avaient pas mis la table et Thibaud portait le pyjama de Bastien, ce qui t'a surpris mais pas moi, rien ne me surprenait jusqu'à ce que prenne fin le rêve et ta présence, encore que toute la matinée ait persisté l'ombre d'un doute, le vertige de Sigismond.

dimanche 9 octobre 2016

Flavie

Je te parle et te nomme peu, ne t'appelle pas: je te parle dans ton absence, je ne fais pas tourner les tables, j'écris sur celle du bureau des mots que je sais sans réponse. Ton nom manque donc, me manque car il t'allait si bien, tu aimais ton nom, fière de sa rareté, dépitée quand voici quinze ans fleurirent des petites filles le portant. Une célébrité de la télévision s'appelait alors comme toi. Tu aimais ton nom, son histoire aussi, le fait qu'il soit ancien, gens Flavia, patriciens romains plus que la sainte martyre doublure pâlotte de Blandine, qu'il ait été surtout celui d'une marraine aimée de jadis, que tu l'aies hérité de la tante Flavie -son nom de famille je l'ai oublié, Tortebatte me revient, je cherche, c'est un nom ardennais, possible donc, probable même. Ce nom t'ancrait dans le lignage des mères, la nôtre, sa mère, et plus que la mère de sa mère, sa marraine, des femmes fortes et droites, intelligentes, généreuses. Ce nom t'allait comme un gant, ce gant tu l'emportes avec toi, ce nom manque, je te nomme peu, je ne t'appelle pas.