Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

dimanche 5 juillet 2015

Mordre la pomme

Il y eut un été vert et mauve, de granny smith et de robes indiennes, où tu te trouvas moche et grosse en dépit de l'évidence, où tu ne t'aimas pas. Tu avais seize ans et, cet été-là, tu portas ces robes sacs, de larges chemises, et tu mordais dans ces pommes acidulées. Il te fallait des salades, des haricots verts, je ne comprenais pas, moi qui n'étais que maigreur dévorante, nul n'a compris, mais maman inquiète t'a préparé ce que tu voulais, et ce furent fruits, légumes, verdure et crudités qui me faisaient râler, moi qui mangeais tant, moi qui brûlais tout. On ne savait pas, on ne voyait pas, ton corps empaqueté, la presque anorexie, il aura fallu des années pour rabouter les signes de ta souffrance, ce que tu signifiais, la honte de ta chair, il aura fallu des années pour en faire émerger le père que tu tentais de dégoûter en te dégoûtant de toi-même. Tu le mordais en croquant dans les pommes vertes, tu t'en gardais dans ces sacs de toile indienne qui flottaient informes et mauves au large de ton corps meurtri.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire