Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

jeudi 23 avril 2015

Souvenir du 14 mars

Si le père, un jour, me lisait -il aurait bien tort, mais sait-on jamais? Parfois on désire les mots qui condamnent, parfois c’est la vérité qui gagne- si le père me lisait, qu'il sache qu'une semaine peu ou prou avant ta mort, tu étais assise très droite -tu pouvais être bravache- très souriante, très soulagée aussi de ne plus délirer sous la morphine. On était contents de te voir comme ça Philippe et moi, de te voir si droite, frêle et forte, de te voir si toi, on t'a trouvé bonne mine, on te l'a dit tu n'y croyais pas trop, mais c'était tellement mieux que tes pleurs du mardi, quand tu te voyais pressurée comme par le piston d'une cafetière, on te l'a dit tu as souri, et comme une évidence, tu as tranquillement, benoîtement, sereinement affirmé que ce jour-là, de toute façon ce jour-là ne pouvait être le jour de ta mort. J'aurais dû comprendre, je n'ai pas compris, j'avais oublié, tu me l'as rappelé: Le 14 mars, puisque je parle de ce jour, c'était l'anniversaire du père, et tu tenais, une dernière fois, tu tenais radicalement à survivre à ça. Tu es morte à cinquante ans, et tu as tenu à dépasser, de quelques jours à peine, mais tu l'as dépassé, l'anniversaire du père, ses putains de quatre-vingt-un ans. Qu'à une semaine de ta mort, peu ou prou, tu aies pensé à ça, tu aies pensé à lui de la sorte, cela suffit pour comprendre à quel point tu l'as subi, à quel point ses mensonges sont cendres et qui veut encore les entendre qu'il crève avec le vieux bonimenteur, et que le vieil homme tremble, car le repos c'est fini pour lui.

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