Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

samedi 22 mars 2014

Trois vieillards

J'aime les vieillards indésirables qui contemplent mélancoliques la beauté des jeunes gens dans les villes lentes du sud. A Lisbonne, à Rome, sur le port d'Alexandrie, ils s'attablent dans des cafés et attendent que le temps passe. Peut-être voudraient-ils être aimés des jeunes gens, peut-être ils font tinter la monnaie dans leur poche, rêvant d'un improbable satori. Ou, plus simplement, ils leur diraient aux jeunes gens, qu'il faut se hâter d'aimer quand il est temps, mais quelque chose les retient. Qui sont-ils, pour ainsi prétendre donner leçon, qui sont-ils Sandro, Fernando, Constantin assis le journal à la main à voir passer les gens? Ils ont laissé passer l'instant, ils ont vu se refermer sur eux les possibles et baisser le soleil. Alors, à l'ombre des cafés tranquilles, aux fond des villes lentes du sud, ils se taisent et regardent les jeunes gens.

jeudi 20 mars 2014

Verger pour Ritsos

Et, devant le mur recommencé, c'est à l'intérieur de lui qu'il plantait des arbres, et le mur qui le séparait des hommes il se le figurait face à la mer, et derrière il plantait des arbres, à l'abri des vents du large et des colères des dieux, des arbres dont les fruits mûrissaient plus vite à la chaleur des vieilles pierres. Il lui semblait au comble de son rêve, jouir du jus noir des cerises, du sucre mauve des figues granuleuses. Et, dans la grande misère de ces années de Grèce grise, rêver c'était agir, c'était écrire aussi. La nuit à pierre fendre, il se réchauffait des vers d'Aragon.

Sous les eucalyptus

Il faudrait, dit-elle, regardant l'averse de lumière au travers des eucalyptus, il faudrait venir là compter les taches blanches sur les troncs, il faudrait se coucher sur les copeaux d'écorce chaude, être à son tour ocelot changeant, félin solaire. Elle retourne à la rive où son passage fait plonger crapauds et tortues d'eau dont la nage ride d'autres reflets la peau sombre du lac.

vendredi 7 mars 2014

Tout compte fait

Nous n'avons vu ni le rayon vert, ni les cataractes promises. Restés là, assignés, scrutant le ciel et les marées nous avons attendu vainement, et le visage s'est refusé à nous. Une vie de patience, d'échouage, de vase irrisée sous l'eau grise.
Pourtant ce que nous avons saisi, nul ne saurait nous le reprendre: des reflets d'huître, le dessin mou d'un héron s'aiguisant sur le banc, l'extase en croix d'un cormoran luisant sur le rocher. Cela seul importe, et dès lors il convient de demeurer.