Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

vendredi 21 février 2014

Par la Grande Porte

Les filles aux seins nus et les garçons ensanglantés, que disent-ils que nous n'entendons pas, vieillards calfeutrés à l'ouest? Elles urinent dans des églises, ils frappent des ombres et tombent dans la fumée des pneus, et les façades noircies on ne les reconnait plus du tout, pour un peu on penserait même à la Syrie, décidément la Russie a des amitiés calcinantes.

(Un cosaque fouette une Pussy Riot.)

Mais Kiev, pour moi, c'était la Grande Porte dans les Tableaux d'une exposition, l'aquarelle étrange de Hartmann, cette scie merveilleuse qu'on donne à entendre aux enfants pour qu'ils aiment la musique classique.

Kiev, c'était, pour moi, cette porte ouverte vers l'orient des contes, une icône othodoxe et le départ de caravanes improbables, or ce matin sur mon journal le visage les yeux fermés d'un probable cadavre, visage encore visage, à jamais clos sur son mystère. Ce jeune homme au pull gris à col camionneur, je veux, pour lui, que sonnent encore les trois cloches de la Grande Porte, qu'elles sonnent le glas, avant que ne se redéploie toute la pompe de la Grande Porte, un triomphe, un requiem.

lundi 10 février 2014

Pour Olivier Greif

Dans la Sonate de Requiem, il y a des enfants qui courent loin du glas du piano, des zébrures du violoncelle, un air polonais qui me raconte des histoires, il y a des enfants qui chantent, un piano qui balbutie la comptine jusqu'à ce que les doigts butent et que les enfants butés stoppent, et que j'oublie ces paroles.

Dans la Sonate de Requiem, la plainte ne se plaint pas. Le chant polonais dit: Que revienne le temps où je savais chanter, où j'aimais à courir, où ma mère était sur le seuil qui nous regardait, où ma mère chantait en polonais.

Dans la Sonate de Requiem, je vois ma soeur aux joues rondes et rouges auprès du frigidaire, et ma soeur est ce chant, ma soeur est polonaise. Le second air c'est une ronde, le troisième une valse, et cela j'aime moins. Rien ne dure et pas plus la valse brisée que la joie des enfants qui courent. Mais que revienne le chant de l'enfance, et de fait il revient, concassé sous la valse, l'air polonais, il reviendra jusqu'à la fin, la fin du souffle de la mère, l'élan brisé du violoncelle et l'enfance arrêtée là, au seuil même où la mère est tombée. Je regarde ma soeur qui n'a plus rien de polonais, qui a perdu ses joues d'enfance et nous marchons dans la forêt sous une pluie blanche et tiède.

mardi 4 février 2014

Zombies

Ils marchent, froissement de vestes matelassées, froufrous de pantalons de velours lourds lourds lourds, suent sous les lodens, un camaieu de bleu marine, de carreaux sages, de vert bronze, de gris souris.

Ils poussent des poussettes, des landaus bleu marine tapissés de toile écossaise où leurs bébés se croient sous les kilts de leurs mères; à leurs mains des grappes d'enfants blancs lavés au savon Cadum.

Et les petites filles chantent: C'est pour qui la banane, c'est pour la guenon.

Ils crient leur peur à la face des autres, de tous les autres, des bronzés, des sales, des sales juifs, des sales pédés, des affreux francs-maçons, les méchants athées, les nègres bestiaux, les hérétiques, les apostats et les relaps.

Ils ont peur du diable et le diable est noir.

Ils aiment beaucoup les petits enfants, même lorsqu'ils ne sont pas blancs.

Ils ont des nostalgies d'autodafé, ils crient: les pédés au bûcher.

Ils ont tous attrapé la crève dans les courants d'air de leurs églises vides à prier leur dieu mort.

Ils croient au péché originel, à l'Immaculée Conception, au Sacré Coeur de Jésus Christ, au génocide vendéen, à la grâce efficace, à la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie, à l'infaillibilité pontificale, à la résurrection des corps.

Ils s'émerveillent d'être encore si nombreux, eux qui craignent tant d'être remplacés, et pour un peu, multipliés comme pains un jour de noces, ils se croiraient bénis, croisés en marche, invincibles,alors qu'en effet,

Ils sont déjà morts.