Nicolas de Staël, Face au Havre

Nicolas de Staël, Face au Havre
Nicolas de Staël, Face au Havre

samedi 18 décembre 2010

Quant au vieil âge de ma mère, 2

C’est alors qu’elle frappe à ma porte, qu’elle entre, qu’elle dit qu’elle n’en peut plus, qu’il faut qu’elle rentre, qu’elle vient de vomir, qu’elle a peur. Je regarde ce visage aux traits brouillés, j’y vois la promesse de jours atroces, je lui dis oui, je referme la copie à demi-corrigée, je l’aide à préparer son sac, elle pleure assise sur le lit elle dit « j’en ai marre » et elle pleure. Elle demande pardon, je n’ai rien à pardonner.
Je la reconduis chez elle, on ne dit rien dans la voiture, il n’y a rien à dire, je la reconduis c’est tout, elle ne comprendrait pas que je me mette en colère, si je lui disais, à chaque mois de juin c’est pareil, tu viens chez moi et puis tu meurs, et puis tu ressuscites pour aller chez ma sœur, en juillet ou en août, non, elle ne comprendrait pas. C’est deux heures de route pour aller chez elle, je la dépose, « tu ne veux pas rester un peu » me dit-elle ? Je ne veux pas. Elle dit qu’elle comprend, elle ne comprend pas. Elle n’a pas vu les champs de lin en fleurs, elle n’a pas terminé ces confitures qui encombrent ma cuisine, elle n’est même pas allée sur la tombe de ses parents. Elle va mieux chez elle, elle prend des rendez-vous, cardiologue, kiné, prise de sang, aliénée rassurée elle respire entre les salles d’attente.
Je ne suis pas parti qu’elle est déjà très loin.

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